Aller au contenu

Almanach olympique pour 1920/03

La bibliothèque libre.
Imprimeries Réunies. S. A. (p. 8-12).

Leçons du passé.

Dans les villes essaimées jadis par les Hellènes sur la côte d’Italie, les exercices physiques étaient en honneur, et d’autant mieux que de l’athlète sortait le soldat prêt pour les guerres fréquentes et soudaines. Les rivalités interurbaines qui mettaient aux prises Sybaris, Tarente, Crotone… compliquaient une situation que la piraterie méditerranéenne rendait déjà instable. Il fallait fabriquer de la force civique pour défendre la prospérité naissante, la richesse publique accumulée. On en fabriquait. Des concours locaux entretenaient le feu sacré parmi la jeunesse. Le stade servait de Champ de Mars, et parfois la bataille était au bout de la rencontre sportive. Ne vit-on pas une fois, à Tarente, dix galères ennemies apparaître au pied des murs comme pour narguer la population qui, à l’heure même, rassemblée sous le soleil, acclamait les vainqueurs de ses Jeux pacifiques ? Les athlètes coururent au port. Une escadrille improvisée se rua sur la flotte insolente, coula quatre galères, en ramena une prisonnière et dispersa le reste. Après quoi, peut-être, les Jeux reprirent avec une ardeur avivée par le combat.

C’était l’époque où le fameux Milon de Crotone qui, dit la chronique « remporta six Victoires aux Jeux olympiques, sept aux Pythiques, dix aux Isthmiques, neuf aux Néméens » prenait une part triomphale à toutes les entreprises militaires de sa patrie. La même chronique fait observer que parmi les héros de Salamine figura Phayllos qui, deux fois vainqueur au Pentathlon, avait sa statue dans l’enceinte de Delphes.

Or il advint que Sybaris poussa fort loin le luxe dont s’encadraient chez elle les sports virils… si loin que leur virilité déclina. Le monde a gardé de la cité fameuse non le souvenir de ses exploits guerriers, mais celui de son « sybaritisme ». Les sports avant de finir s’en imprégnèrent eux-mêmes. Une équitation mièvre et raffinée avait remplacé les charges vigoureuses. Les chevaux dansaient en musique, faisant des voltes et de jolies courbettes. La ruse des Crotoniates leur ayant fait entendre une fois, en pleine bataille, leurs airs accoutumés, ces animaux s’empressèrent d’y répondre et de se mettre à danser. Alors sur les rangs où se propageait le désordre, la cavalerie adverse se jeta impétueusement, et la déroute fut complète.

Sybaris ne se corrigea point dans l’épreuve. Tout effort devenait à ses fils une fatigue insupportable. Timée raconte comment l’un d’eux s’étant « surmené » à regarder des esclaves qui piochaient le sol, en fit part à un ami qui répondit : « Ton récit suffit à me donner un point de côté. »… Sybaris tomba. Le tour de Crotone vint. Et Crotone périt comme Sybaris, puis Tarente comme Crotone, parce que, dit Justin « les citoyens avaient cessé de s’exercer au courage militaire et à la pratique des combats ». Cette forte parole est à méditer. Elle établit une juste distinction entre le courage et l’exercice. On peut s’entraîner encore à des sports en vogue, alors qu’on a déjà cessé de s’entraîner à la vigueur morale qui doit les féconder.

Dans l’histoire, les situations se reproduisent parce que l’humanité demeure identique à travers des apparences changeantes. Prenons garde au luxe comme à la foule. L’athlète ivre d’acclamations populaires, si elles le saluent de façon fréquente, est voué à la démoralisation. Et si le bien-être est trop grand autour de lui, il s’en va vers la mollesse fatale. Les gymnases dans lesquels s’encadrera son travail ne risquent point d’être trop beaux ; les arts composeront à ses muscles un cadre ennoblissant. Mais ce qu’il faut craindre, ce sont les soins quintescenciés, les serviteurs nombreux, les facilités multiples, les hydrothérapies complexes et surtout l’absence de l’Esprit dont la présence reste toujours nécessaire autour des portiques où réside l’athlétisme.