Amélie Mansfield/Lettre 2

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Ménard et Desène fils (5p. 7-8).


LETTRE II.

ALBERT DE LUNEBOURG À AMÉLIE MANSFIELD,
sa sœur.

Dresde, 3 mai.


Je te remets, mon Amélie, la lettre que tu m’as envoyée ce matin ; elle prouve que M. Grandson a le sens droit, une grande franchise et le cœur excellent. La proposition qu’il te fait mérite notre reconnaissance, et peut-être ton consentement…… Ah ! mon Amélie je n’ai point tracé ce mot sans un effort douloureux, et tu crois bien que si je ne consultais que mon cœur, je te retiendrais ici ; mais tu y es si mal sous tant de rapports, on t’y juge si désavantageusement, on rend si peu de justice aux qualités qui te distinguent, qu’il y aurait de la sagesse à t’éloigner ; j’espère que ce ne sera pas pour toujours. La raison dissipe enfin les préventions, l’absence peut adoucir les ressentimens, et quelquefois le temps a affaibli la haine ; mais, lors même que perdant à jamais l’espoir de retrouver à Dresde la considération dont tu jouissais et que tu mérites, tu croirais devoir te fixer en Suisse, serions-nous séparés pour cela ? Quels que soient les motifs qui me retiennent ici, en est-il d’assez puissans pour m’empêcher d’aller revoir ma sœur bien aimée ? Si tu pars, je ne te laisserai point t’exposer seule aux fatigues d’une route, je te conduirai chez ton oncle, je reviendrai aussitôt faire valoir tous mes droits à la main de Blanche, et, si je l’obtiens, tu connais ton amie, tu sais si son cœur s’entendra avec le mien pour partager notre temps entre notre patrie et celle dont tu auras fait choix ; et s’il me fallait renoncer à la femme que j’aime, si je suis réservé à un pareil malheur, ne sais-tu pas, ô mon Amélie ! que ce n’est qu’auprès de toi que je pourrais m’en consoler ? Je te verrai ce soir, et nous causerons sur tout cela avec plus de détail.