Américains et Japonais/IV

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CHAPITRE IV

LES JAPONAIS AUX ÉTATS-UNIS

L’IDÉE D’ASSIMILATION

Jugée à distance et en bloc, la civilisation japonaise a toujours séduit les imaginations d’Amérique. Le Japon moderne qui, en cinquante années, a tiré tant de force de sa culture occidentale, c’est l’Américain qui l’a éveillé de sa torpeur, conseillé, éduqué. De tous les peuples d’Orient, le Japonais, son élève, est le seul qui soit bien gouverné, qui choisisse ses représentants, vote ses lois, contrôle son commerce, décide sa politique, traite de pair avec les grandes puissances, le seul aussi, qui soit affranchi de l’emprise de l’opium. L’optimisme national des Japonais, leur foi en l’avenir, le crédit qu’ils laissent aux jeunes gens dans les affaires, plaisent aux Américains. De même qu’un étudiant de Harvard ou de Yale gagne souvent ses frais d’université, comme domestique ou comme conducteur de tramways, au Japon le kurumaya qui vous traîne, ou le boy qui vous sert est peut-être un étudiant en médecine ou en droit.

La vie des deux pays se ressemble par l’audace, la croyance au progrès, par un élan de jeunesse. Les étudiants japonais sont assez aimés aux États-Unis ; on apprécie leur ambition d’éducation américaine et de se préparer ainsi à de hauts postes en leur pays. Au Japon, le jeune Samuraï peut difficilement gagner sa vie ; les guildes d’ouvriers l’en empêchent. Il vient alors aux États-Unis, en Californie surtout, où les high-schools et les universités l’accueillent gratuitement.

Et le Japon a son histoire : l’Américain se plaît à tirer des civilisations d’Europe et d’Asie l’impression de mystérieux passé. Du vieux Japon, on admire le Bushidô et l’esprit d’honneur ; le Shintoïsme et le respect des ancêtres, la révérence pour le Mikado, l’attachement à la terre japonaise ; le Bouddhisme, et ses légendes, ses temples, ses fêtes et sa pitié. Lafcadio Hearn a célébré le miracle de cette vie qui des siècles durant a été vécue loin de notre monde dans les îles japonaises ; il a délicieusement détaillé les charmes de cette coquille merveilleuse avant qu’on commençât de la briser, et Whistler sut en évoquer quelques reflets.

Les victoires japonaises furent pour les Américains de nouveaux motifs d’admirer. Sous l’armure moderne du soldat japonais, l’âme du vieux Japon faisait merveille : un héroïsme, un patriotisme, une discipline d’autrefois s’adaptaient aux armements, aux sentiments d’aujourd’hui. Sur les champs de bataille les Samuraïs usaient du téléphone et du télégraphe ; les soldats observaient les plus stricts soins d’hygiène et respectaient les morts[1].

À distance, tout cela paraît beau, émouvant. Mais voici que cette civilisation débarque en Californie, représentée par des nuées de coolies et d’artisans : elle n’inspire au contact que mépris et que crainte, non seulement aux ouvriers blancs devant la concurrence d’une valeur de travail inférieure, mais à la plupart des citoyens devant les dangers moraux, sociaux politiques que l’installation d’un grand nombre de Japonais fait courir à la civilisation américaine :

La Californie doit rester une Californie de Blancs et non pas devenir une Californie de Japonais, disent les Japonophobes, et ils affirment que tel est l’argument principal de l’antijaponisme. Le journal, The Chronicle, répondant aux attaques des journaux de l’Est qui disent que l’antijaponisme n’est que flatterie envers les ouvriers, affirme que « si la Californie est antijaponaise, ce n’est pas seulement une question de travailleurs, c’est surtout pour empêcher qu’elle ne devienne la propriété des Japonais. Les Japonais arrivent comme travailleurs ; puis ils sont fermiers, puis propriétaires. Aujourd’hui les Japonais, dans toutes les localités, ouvrent des magasins, y possèdent des terrains ; leur influence y est considérable. Si les choses vont ainsi se développant, la Californie sera fatalement la proie des Japonais. Les Européens, en s’américanisant, deviennent de jour en jour de bons Américains, les Japonais restent toujours Japonais. En même temps que leurs entreprises s’y développent, un empire se fonde en Californie. L’antijaponisme est indispensable à la Californie pour se défendre[2].

Ceux mêmes qui sont disposés à reconnaître que parmi les Chinois et les Japonais il y a de bons travailleurs, de fidèles domestiques, et qu’il est de mauvais Italiens ou de mauvais Américains comme il est de mauvais Japonais, ceux-là sont opposés à la libre entrée des Japonais. Tous avouent que leur attitude ne peut que gêner les relations avec l’Extrême-Orient : le boycottage des marchandises américaines par les marchands chinois le leur a prouvé. Pour la côte du Pacifique, sa plus grande chance de développement agricole, commercial, industriel est liée au développement de son trafic avec l’Asie et à l’immigration d’une main-d’œuvre bon marché. N’importe : « Périsse tout notre commerce avec l’Extrême-Orient, plutôt que de céder sur l’immigration et de nous laisser envahir par les Jaunes. » L’an dernier à un meeting de l’association antijaponaise, un jardinier s’écria : « Si nous n’employons pas des Japonais, nous ne pourrons pas travailler. Je gagne beaucoup d’argent dans les pruneaux ; mais j’aime encore mieux que ces pruneaux pourrissent, plutôt que d’employer des Japonais[3]. »


I

Sur la côte de Californie, à San Francisco particulièrement, les citoyens craignent que le type de citoyen américain ne se dissolve. Au recensement de 1900, 44,5 p. 100 de la population de l’État y était né ; le reste était né ailleurs, 30,8 p. 100 dans d’autres États américains, 24,7 p. 100 à l’étranger. À San Francisco, en 1900, sur une population de 342 782 personnes, un quart à peine y était né, tandis que les trois quarts étaient nés ailleurs : 140 899 aux États-Unis ; 116 885 à l’étranger. San Francisco est la plus cosmopolite des cités américaines ; elle l’est plus que New-York ou Chicago où pourtant se déverse à gros bouillons l’immigration européenne ; au surplus, Chicago et New-York sont situées dans des régions très peuplées et en plein centre d’américanisme agressif et assimilateur ; San Francisco isolée reçoit d’Extrême-Orient une population qui, n’ayant ni le goût de s’américaniser ni le droit de se naturaliser, engendre l’anarchie : « Un bon gouvernement exige de la stabilité, de l’homogénéité et la lente et continue formation d’une opinion publique. Cela n’existe pas à San Francisco ; et une grande masse de travailleurs orientaux non assimilés et non assimilables complique encore la situation[4]. » Il a suffi du cataclysme pour que la ville manifestât un désordre et une corruption telles qu’elle a étonné d’autres villes américaines, pourtant familières avec les scandales municipaux.

La crainte qu’excitent les Japonais à San Francisco est faite pour beaucoup de la crainte qu’inspirent les Chinois et leur vie à part depuis un demi-siècle, depuis que la construction du premier transcontinental les attira. Ces Chinois, si fiers de leur race, ont chez les diables étrangers un esprit de clan, et cette race qui successivement assimila les peuples d’Asie, Turcs, Mongols, Mandchous refuse de se fondre avec ce peuple américain qui depuis cent années assimile tous les peuples d’Europe. Les traitements que le Yankee, depuis vingt-cinq ans, inflige aux immigrants chinois exaspèrent cet esprit de clan. Le mot d’ordre officiel fut donné aux agents de l’immigration de décourager les Chinois quels qu’ils fussent, même les étudiants ou les marchands que la loi autorise. À la lettre, la recommandation était observée : je revois encaqués dans les geôles étroites et sales des docks, — en l’absence d’une station d’immigration, depuis longtemps promise, mais jamais construite, — les marchands aux robes soyeuses et claires, pêle-mêle avec des vauriens en guenille, subissant une détention et des interrogatoires qui les froissaient. L’isolement du ghetto fut, pendant des siècles, en chaque grande ville d’Europe, le lot d’une minorité persécutée ; au milieu de San Francisco, Chinatown, avant qu’elle fût détruite, formait un ghetto d’Asie où deux couleurs dominaient : le noir des tuniques, des queues et des cuisines enfumées, le rouge vif des affiches, des ustensiles laqués, des entrailles de poisson tranchées en deux. En y débouchant à l’improviste, au sortir d’une avenue américaine, on se sentait dépaysé : ces hommes en camisoles de satinette qui mollement, sournoisement trottinaient ; les discordances de leurs voix criardes et jacasses, les dissonances de leurs orchestres qui, des heures durant, geignaient, pleuraient, vociféraient sans rythme régulier ; les contorsions des dragons qui se balançaient aux enseignes ; la sarabande des grands caractères aux devantures des boutiques, et, sous les lueurs multicolores des lanternes, l’écoulement brun de foules aux odeurs fortes où graillonnaient les relents des cuisines et que pimentaient épices, parfums et fumées, — tout cela entêtait, assourdissait, hallucinait. De subites disparitions de Chinois par un couloir inaperçu évoquaient le souvenir des récits sur la ville souterraine, toute en mystérieux dédales, où vivaient entassés hommes et femmes et enfants, dérobant à la police et à la moralité yankee le spectacle de leurs crimes et de leur luxure, et l’on songeait aussi aux mœurs des taupes et des rats, bêtes à cris aigus et à longues queues, qui par delà le pertuis où ils s’esquivent s’en vont pulluler dans de lointains terriers. On s’y aventurait avec des guides ou des policiers : l’imagination grossissait les moindres aventures de la visite. L’idée de vivre en cette Sodome révoltait les Blancs.

Dès leur arrivée aux États-Unis, les Chinois sont traités en ennemis de la société. Comme la plupart entrent en fraude et que les commissions d’immigration ne l’ignorent point, on les tient tous pour des fraudeurs qui s’obstinent à ne pas avouer. À peine débarqués, ceux dont le cas n’est pas immédiatement clair, sont empilés dans des salles grillées et cadenassées. Coolies aux mains calleuses, riches notables aux doigts longs et pâles comme du jade, sont serrés pêle-mêle dans des pièces où il n’y a ni place ni air. Jusqu’au plafond montent les cases où ils couchent, et des couchettes supérieures, pendent de longues queues lisses.

Déjà, par cette infortune initiale, entre ces Chinois de toutes classes, l’esprit de clan est resserré. Ils comparaissent ensuite devant la commission d’enquête. On les somme de se justifier ; ils ont à prouver qu’ils appartiennent aux classes des marchands, des fonctionnaires et des étudiants qui ont l’entrée libre. Pour la plupart, ce sont des coolies, qui, malgré l’acte d’exclusion, essayent de pénétrer, tant l’attrait des libertés et des salaires d’Amérique est grand sur ces miséreux pressurés par le mandarin : ils essayent de se dire marchands ou étudiants. Malheur à eux si l’on remarque leurs guenilles et les traces de corne que garde la paume de leurs mains ! Le plus souvent ils tâchent d’éviter les ports, où la surveillance est trop stricte. Jusqu’à ces toutes dernières années ils entraient par le Canada, où pendant quatre-vingt-dix jours ils étaient exemptés de payer le droit de 100 dollars ; à Montréal, un ring de Chinois organisait cette importation de coolies.

La frontière américo-canadienne, sur des milliers de milles, est sans obstacles naturels : les Chinois pourraient passer inaperçus ; mais ils ont intérêt à se faire arrêter pour tâcher d’obtenir un certificat qui leur permette de résider aux États-Unis, sans risque d’être repris et chassés. Devant les commissaires de la frontière, ils prétendent qu’ils ont le droit de rentrer aux États-Unis, y étant nés. Le ring les assiste d’un soi-disant interprète, en réalité d’un conseil, et leur procure un témoin — un témoignage unique suffit — qui assure que le prévenu est né dans la ville chinoise de San Francisco. Le tour réussit le plus souvent. Si le commissaire refuse l’admission, le prévenu peut en appeler à la cour de district et, en attendant l’appel, être élargi sous caution. Cependant le ring trouve à lui substituer un Chinois qui a besoin de repartir en Chine : le premier prend les papiers du second, et le Chinois, prêt à s’en retourner, se laisse condamner ; aux frais du gouvernement américain et de la compagnie de navigation il rentre en son pays sans bourse délier : le ring, les deux compères, tout le monde y gagne.

Un juge fédéral estime que si vraiment tous ces coolies chinois étaient nés aux États-Unis, il faudrait que toute Chinoise qui vivait en Amérique il y a vingt-cinq ans eût eu plus de 500 enfants[5]. « Ainsi des milliers de Chinois sont entrés aux États-Unis, et, sous prétexte qu’ils sont nés aux États-Unis, ont été reconnus aptes à devenir citoyens américains, à voter. » Un inspecteur de l’immigration disait que, on un point de frontière canadienne, « sur un millier de Chinois qui furent jugés en 1902, 750 environ avaient été consacrés citoyens ». Or peuvent devenir un jour citoyens non seulement ces Chinois admis sur un faux témoignage, mais encore tous les enfants qu’ils veulent bien s’attribuer.

Le gouvernement américain s’est efforcé de restreindre ces fraudes par une entente avec le Canadian Pacific line dont les bateaux et le chemin de fer transportent les Chinois au Canada. Les Chinois, au débarquer, seront désormais remis à des officiers d’administration qui les dirigeront tout droit sur la frontière ; ils n’auront plus cette liberté de quatre-vingt-dix jours pendant lesquels le ring les dressait à la fraude. Il est vrai que si le passage par le Canada devient moins aisé, les Chinois passeront par le Mexique et il ne sera guère plus aisé de surveiller l’immense frontière du sud.

Les commissaires de l’émigration demandent qu’on leur donne le même droit d’appel que le prévenu et que plus d’un témoin soit nécessaire pour établir que l’inculpé est né aux États-Unis : en augmentant les frais du jugement, on diminuera assez peut-être les profits du ring pour qu’il cesse ses affaires. Enfin pour éviter les substitutions de personnes et permettre de poursuivre les fraudeurs, on adopte le système Bertillon des fiches anthropométriques avec l’empreinte du pouce. En dépit de toutes ces précautions, les Américains sentent qu’ils ont été dupés et qu’ils le seront encore[6] : exaspérés, ils sont durs à tous les Chinois, même à ceux que la loi autorise à entrer : ils veulent défendre leur démocratie occidentale contre ces Asiatiques.

Car les milliers de Chinois qui chaque année par fraude gagnent le brevet de citoyens, sont des coolies adultes qui au sortir de prison ignorent tout des institutions et de la langue américaines et qui pourtant peuvent prendre part aux élections. Jusqu’ici ils ont peu voté : on ne peut donc estimer ni le nombre de ces électeurs, ni leur inclination à exercer leur droit. Le Chinois travaille silencieusement, tenacement et sait agir au bon moment. Dès qu’il se sentira assez nombreux pour que son vote soit décisif, il interviendra, et ce vote en masse fera subitement prévaloir une influence de clan. Toutes les fois qu’un intérêt sera en jeu, tous voteront pour la Chine contre les intérêts proprement américains ; dans les autres occasions, le vote collectif sera au plus offrant : ils imiteront ce qu’ils voient faire à beaucoup de citoyens américains, avec d’autant moins de scrupule qu’ils n’attachent aucune dignité à ce droit de vote. « C’est beaucoup plus qu’un problème économique ou qu’un problème de travail qui est en question. La vie politique de notre nation est menacée. Les communautés de Chinois qui se tiennent et qui ont des intérêts unifiés, peuvent par leurs votes concentrés jouer un grand rôle dans les élections. »

À l’existence de cette communauté chinoise, tel un État dans l’État, il y a aussi un danger moral. La fraude en commun renforce le lien de race. Le Chinois entré par fraude reste l’homme-lige de celui qui l’a assisté et qui continue de le couvrir. Souvent de petits établissements d’épicerie appartiennent à vingt associés chinois : chacun d’eux a soi-disant 1000 dollars engagés dans une affaire qui ne rapporte presque rien, et l’on ne voit jamais que quatre ou cinq personnes au comptoir. Les autres associés sont des coolies : la prétendue association n’est qu’un prétexte pour les empêcher d’être arrêtés et déportés. Beaucoup d’entreprises gagnent davantage à importer secrètement des coolies qu’à vendre, au plein jour, du thé, du riz et de l’huile. Entre complices ils se tiennent, et tout comme les Nègres, que traquent aussi les Blancs, il est bien rare qu’ils livrent un des leurs. Le Chinois que les Américains se plaisent à opposer au Japonais comme homme de parole dans les contrats, devient dans ces affaires d’immigration un effronté menteur. Même ceux qui sont dans leur droit, assistent la fraude, parce qu’ils s’irritent à voir toutes les mesures vexatoires pour leur race, et à se souvenir des mauvais traitements qu’on leur a fait subir.

Mais cette solidarité, cette complicité entraîne une morale de sociétés secrètes : menaces, exécutions clandestines. Ces Chinois que l’on a pourvus de faux papiers, peuvent, une fois admis, être repris, convaincus de faux, rapatriés ; aussi parfois les fait-on chanter, eux et leurs familles qui sont restées en Chine : d’où des drames si fréquents que les Chinois honnêtes en arrivent à déplorer la fraude qui fait entrer tant des leurs. Avant l’incendie on se murmurait des histoires de meurtres dans Chinatown, hors des prises de la loi américaine. Et les tentatives de corruption, les menaces ne manquent pas contre les agents de l’immigration.

Tout Chinois qui réussit à faire reconnaître qu’il est bien né aux États-Unis peut amener ou faire venir des esclaves qu’il présente comme étant sa femme et ses enfants : la valeur marchande d’une Chinoise aux États-Unis est de 2 000 à 3 000 dollars. Les conditions de vie faites à ces communautés d’hommes y développent, avec beaucoup de vices, la traite des femmes et des enfants. Sans rechercher les causes anormales de ces mœurs anormales, l’Américain traite de libidineux, comme les Nègres, les Chinois qui sont de mœurs douteuses, faute de femmes. Que d’histoires et de légendes ne colportait point sur les débauches des souterrains de Chinatown ! Les missions se consacraient au sauvetage de l’enfance prostituée. J’ai assisté à San Francisco à une classe de jeunes Chinoises qu’une Américaine avait, après de romanesques équipées dans les déduits de la ville souterraine, dérobées à la luxure, et qu’elle gardait jalousement derrière de gros barreaux de fer par peur de ces Chinois immondes.

De bon rapport par le commerce qu’elle entretenait entre la Chine et les États-Unis, Chinatown était pourtant un défi permanent à l’opinion, ville de termites qui rongeaient la constitution démocratique, et de bêtes ignobles qui offusquaient la morale anglo-saxonne, cité de luxure, de jeux, de fumeries d’opium et de crime. Quand le feu succéda au tremblement de terre, on n’hésita pas à la dynamiter alors qu’elle était encore épargnée par les flammes. Après l’incendie purificateur, les pasteurs et les prêtres s’opposèrent à sa reconstruction. Mais comme les Chinois menaçaient de quitter le pays et que cela aurait coûté gros, on dut tolérer la reconstruction à la même place de cette Gomorrhe.

Et les antijaponais de conclure : Que les Américains, partisans de la libre immigration japonaise se rappellent la campagne en faveur de la libre immigration des Chinois qui aboutit en 1868 au Burlingame treaty. Le Chinois avait une âme et les prêtres ou pasteurs voulaient la sauver ; le Chinois avait de l’argent et les commerçants américains voulaient l’attirer ; le travailleur chinois ne coûtait pas cher, et les économistes prédisaient monts et merveilles à qui l’emploierait. Qu’est-il advenu ? L’obligation d’exclure les Chinois. Que ce précédent serve de leçon : il y a aux États-Unis présentement autant de Japonais que de Chinois (72 171 en 1900). Cette population mongole d’environ 150 000 individus, — pour plus de moitié en Californie, — est presque exclusivement composée de salariés.

Comme les Chinois, les Japonais ont l’instinct grégaire, la tendance à la vie de clan :

M. Okasaki Tsunekichi vient d’acheter 10 000 acres dans le Texas occidental ; il ne cherche pas uniquement des bénéfices personnels. Il a l’intention de bâtir un bourg japonais. Nombreux sont les sans-travail japonais qui rôdent aux États-Unis. Il espère leur venir en aide, en les groupant autour de lui[7]. — Même dans les campagnes les plus reculées, si un Japonais lance une entreprise, d’autres Japonais accourent très nombreux, ouvrent des magasins et fondent un village[8]. — Après que le tremblement de terre et le feu eurent anéanti San Francisco, les Japonais se réunirent en assemblée et décidèrent d’y établir une cité japonaise[9].

Et ces groupements japonais prennent très vite un aspect oriental :

Ces temps derniers, nos colonies des États-Unis ayant prospéré, les lanternes japonaises et les feux d’artifice japonais ont été à la mode. Cette année surtout, dans les lieux habités par des émigrants japonais, on aurait pris la fête de l’Indépendance américaine pour une fête d’Orientaux. Les journaux de Californie se sont demandé : est-ce une fête américaine ou une fête orientale ?… C’est l’aveu fait par eux de la prospérité des entreprises japonaises… Ce fut comme la proclamation d’indépendance d’un État asiatique… Ah ! sous de nombreuses lanternes japonaises, quand pourra-t-on fêter l’anniversaire de la fondation d’un Shin Nihon[10] ?

Pour ces émigrants, c’est le feu qui sur ces villages du Shin Nihon, du « Nouveau-Japon », projette le reflet du Daï Nihon, du Grand Japon d’outre-mer ; feu apaisé des lanternes ballonnées et gonflées de lumière laiteuse ; feu capricieux, éphémère des fusées d’artifice zébrant ou embrasant la nuit. Alors les exilés rêvent des soirs de chez eux où des foules flâneuses errent dans les rues des théâtres, s’écrasent sur la rivière Sumida et dans le parc d’Ueno.

En Californie, comme aux Hawaï, les Japonais vivent entre eux : les riches ont leur club ; les ouvriers s’entassent dans une même chambre ; c’est par équipes qu’ils travaillent ; le nombre des restaurants japonais et des marchands japonais augmente[11], qu’ils ne sont pas près d’adopter les besoins preuve — et le régime des Blancs.

Et sitôt qu’un groupement japonais se forme, les Blancs lâchent pied et laissent le champ libre :

Dans la Vaca Valley, il y a peu d’années, les Japonais arrivèrent pour travailler dans les vergers ; quelque temps après, ils commencèrent de les louer puis de les acheter : maintenant la moitié des vergers de cette belle vallée est possédée ou louée par eux… La présence de quelques Japonais dans une communauté attire des boutiquiers, des commerçants, des banquiers, des savetiers, et des Japonais de tout emploi qui enlèvent aux boutiques des Blancs la clientèle de leurs compatriotes… Sur 900 Japonais, résidant à Vacaville, 150 sont marchands. Rien à faire pour le Blanc, le Japonais patronne ses compatriotes… Alors les Blancs vendent ou louent leurs vergers, leurs biens au meilleur prix qu’ils peuvent obtenir des Japonais et s’en vont. De même à San Francisco : qu’un groupe de Japonais loue une maison dans le quartier des résidences, aussitôt le prix des propriétés baisse, — parfois de 50 p. 100 — et l’exode des Blancs commence[12].

Point d’entreprise qui ne soit touchée par la concurrence japonaise. Banquiers, imprimeurs, médecins, dentistes, restaurateurs, marchands, tous les métiers indispensables à une vie urbaine ont des représentants ; les Japonais achètent, vendent, commercent entre eux[13]

Vie à part, morale à part, concluent les Américains. Le réquisitoire qu’ont dressé depuis quarante années contre la bassesse et la bestialité des Chinois, les discours et les rapports du Congrès, on le tourne maintenant contre le Japonais.

Comme le Chinois, il est accusé de manquer de pudeur. Contre la présence dans les public-schools de Japonais âgés de plus de vingt ans à côté de petits Blancs, leurs ennemis n’ont jamais pu établir une accusation précise, mais on disait à San Francisco : « Je n’ai pas entendu parler d’un scandale déterminé, toutefois la loi d’exclusion est bonne. Des Japonais adultes ne doivent pas fréquenter les écoles où vont des enfants blancs. Il n’y a pas de fumée sans feu. » Les Sunday papers ont raconté que dans les Boarding houses japonais, hommes et femmes vivent dans une extraordinaire promiscuité. Aux Hawaï, les dévots Porto-Ricains se plaignent d’entrevoir dans les camps de travailleurs les Japs errer nus et se baigner, hommes et femmes ensemble. Les Américaines, comme les Européennes, sont violentes contre les mœurs des Jaunes : elles n’aiment pas les Japonais ; les Blancs se plaisent trop au Japon pour qu’elles ne se méfient pas de la Japonaise ; un peu trop oublieuses des mœurs américaines ou européennes, elles frémissent à la fréquence des divorces au Japon, au nombre des concubines que souvent un homme marié y entretient, à l’abondance des Japonaises dans tous les ports d’Extrême-Orient. Les missionnaires anglo-saxons prétendent que le Japon est tout entier gagné au matérialisme, et que la grande autorité, même pour ceux qui sont convertis au christianisme, c’est Herbert Spencer.

« Il y a des Japonais tout à fait honnêtes et moraux, mais ils ne forment qu’une petite minorité de la nation, et très peu de gens de cette minorité viennent aux États-Unis. La Californie reçoit la population la plus pauvre et la plus basse du Japon, la classe des coolies, et ils apportent leurs manières de penser et de vivre[14]. »

Quelles manières ! Le cœur sensible des Yankees se soulève :

Ayant visité une douzaine de maisons habitées par des Japonais, l’inspecteur du service d’hygiène a déclaré qu’ils vivaient dans une condition si complètement opposée aux conceptions américaines de propreté et de décence qu’ils menacent la santé publique. Leurs habitudes malpropres avaient laissé des marques sur les murs ; des odeurs malsaines étaient insupportables[15]… Des viandes impropres à la consommation sont en vente dans Chinatown ; c’est là que les restaurants et boarding houses japonais se fournissent[16]… Un consul américain[17] déclare que 50 p. 100 des Japonais qui, au Japon, passent la visite devant les médecins américains avant de s’embarquer pour San Francisco sont atteints de trachoma, cette terrible maladie particulière aux Orientaux. Le mal se communique très facilement ; quiconque touche une serviette dont s’est servie une personne infectée risque d’en être victime.

À l’idée de vivre au contact avec de telles gens, un dégoût physique et moral saisit les Américains. C’en est trop : la concurrence de ce cheap Jap ne ruine-t-elle pas déjà le pays et n’y détruit-elle pas les institutions qui relèvent du travail libre ? L’Américain vertueusement se lamente : il ne pourra plus assurer à sa famille un home confortable ; il ne pourra plus entretenir son église ; il ne pourra plus donner à ses enfants l’éducation qui convient à des fils de citoyens libres ; il sera contraint de se désintéresser de tout, sauf de ses besoins physiques. Et, pour comble, il est témoin de l’immoralité de ces Japonais qui, le plus souvent, n’ont ni familles à soutenir, ni enfants à élever :

Des gens qui ont vécu au Japon et qui savent la langue, m’ont dit qu’il n’y a pas en japonais de mot correspondant à « péché » parce qu’un esprit moyen au Japon ne conçoit pas ce qu’est le péché. Il n’y a pas de mot correspondant à notre mot « home » parce que rien dans la vie domestique au Japon ne correspond à notre home. Il n’y a pas de mot pour « privacy » (intimité) et si le terme et l’idée leur manquent, c’est que l’usage leur manque… Le travailleur qui a le respect des american ideals sur le home, la famille, les enfants, ne viendra plus en Californie si les Mongols continuent d’y pulluler. Il comprendra que cette section de notre pays ne lui convient pas. Qui peut l’en blâmer ? Exposeriez-vous volontiers vos enfants, quand ils deviennent des hommes et des femmes, à ce voisinage d’Orientaux, avec leurs idées semi-barbares et la corruption de leur atmosphère morale[18]?


II

Et les Américains de conclure que ni économiquement, ni socialement les Japs ne peuvent ni ne veulent s’américaniser. Et les Japonais de protester : ils ne demandent qu’à entrer dans les syndicats américains, à se mêler à la société américaine, à en prendre les mœurs, les belles manières. Américanisés, ils gagneront de plus hauts salaires ; ce n’est pas volontiers qu’ils se résignent à des salaires inférieurs.

Les Chinois qui vivent aux États-Unis comme les Américains, habitent dans des quartiers à part, s’adonnent au jeu et même au meurtre. Mais les Japonais s’habillent comme les Américains, vivent comme eux, ont une nourriture identique ; ils habitent les quartiers américains et se plaisent à imiter les belles façons des Yankees[19].

Les Japonais, dans leur hâte à accentuer les différences qui les séparent des Chinois, et leurs ressemblances avec les Américains, font valoir qu’ils sont très propres, beaucoup plus propres que les Chinois ; et depuis que sévit l’antijaponisme, c’est à qui parmi eux insistera sur la nécessité urgente d’adopter toutes les mœurs américaines :

Si nos compatriotes ne sont pas aimés des Américains, ils doivent faire tout leur possible pour s’américaniser. S’ils ne le font pas, tout comme les Chinois ils seront contraints de se retirer… Il faut que les Japonais qui demeurent aux États-Unis y résident le plus longtemps possible et qu’ils prennent les mœurs yankees[20].

Et les Japonais sont enthousiastes d’éducation ; ils s’acharnent à parler anglais ; s’ils demandent avec tant d’insistance de continuer à fréquenter les public-schools, c’est qu’ils sont avides d’apprendre les american ways. À quoi leur servira d’être isolés à l’école orientale, avec des Chinois et des Coréens ? Ils retomberont dans cet asiatisme dont ils veulent se défaire et ne progresseront pas en américanisme. Les journaux des États-Unis publient fréquemment des propositions de Japonais de travailler au pair, comme domestiques, à condition qu’ils aient quelques heures, chaque jour, pour aller à l’école[21]. Aux Hawaï, comme en Californie, les ouvriers n’ont qu’une hâte, c’est d’apprendre des Américains un métier. La réussite du Japon moderne est due à l’imitation par l’éducation, — surtout à l’école des États-Unis, et n’est-ce pas le vœu du gouvernement et du peuple japonais d’obtenir le droit pour leurs émigrants de se faire naturaliser américains[22] ?

Si cet américanisme des Japonais était sincère et si le conflit entre Américains et Japonais n’était qu’économique, on pourrait escompter un rapprochement assez rapide entre les deux races : les Japonais désireux d’acquérir des métiers qualifiés et de gagner de hauts salaires, curieux de manières et de langage américains, prêts à se marier à des Américaines, oublieraient, petit à petit, les îles japonaises et le Mikado ; conquis par l’Amérique et ses possibilités indéfinies, ils ne résisteraient pas à l’attraction de sa civilisation industrielle : chez eux au Japon elle transforme déjà la vie[23] ; à plus forte raison agirait-elle aux États-Unis sur les goûts, les besoins, les pensées des Japonais déracinés et sur leurs enfants qui y sont nés. Pendant une ou deux générations, il y aurait de mauvais moments à passer, mais, au bout du compte, l’on pourrait prévoir une conciliation.

Le conflit n’est-il qu’économique ? Le gouvernement japonais l’affirme, toutes les fois que par des notes officieuses il veut donner à croire que la guerre n’est pas à craindre[24]. Mais, malgré tous les démentis, c’est bien d’une question de race qu’il s’agit : les Américains estiment que le Japonais n’est pas assimilable, et que partout où il émigré, il conserve son caractère national et ses traditions.

Creuset immense, où si vite se fondent et s’allient en un peuple nouveau, tous les peuples d’Europe, comment l’Amérique désespère-t-elle si vite d’assimiler les Japonais ? L’histoire américaine ne s’inscrit-elle pas en faux contre les distinctions de races que les Européens se plaisent à établir entre eux dans leurs querelles de nationalités et d’impérialismes ? Naguère nos historiens pensaient qu’une nation sous un même gouvernement officiel, qu’un peuple parlant la même langue ou que des peuples parlant des langues qui s’apparentent pouvaient être dits de même race ; ce fut une mode, avec Taine et Renan, de disserter sur les caractères de la race grecque, de la race anglaise, de la race germanique, de la race slave, d’opposer les qualités des races aryenne et sémitique. Le Bureau statistique de Washington qui établit le Census décennal ne s’embarrasse pas de toutes ces théories ou distinctions : il ne recherche pas au delà de la seconde génération les origines d’un citoyen américain ; il accorde deux générations aux races d’Europe pour se fondre dans la masse américaine et pour perdre leur langue : parmi les éléments germaniques de la population des États-Unis il ne range que les personnes nées en Allemagne et la première génération des fils d’Allemands nés en Amérique. Dans les statistiques sur les îles Hawaï, tous les Européens rentrent dans le groupe Caucasians, par opposition aux Nègres et aux Jaunes.

Le peuple Américain est la preuve que les distinctions de race entre Européens ne sont que superficielles : tous ses ancêtres européens ont été assez semblables entre eux pour créer une descendance viable. Et pourtant nul peuple n’a davantage le préjugé de la race. Après une telle réussite, dans l’assimilation des immigrants d’Europe, il est naturel que la notion de Blanc ait pour l’imagination des Américains un sens et un prestige qu’elle ne peut avoir pour un Français. Entre les Blancs d’Europe, Anglais, Allemands, etc., le Français n’est qu’un type particulier, aussi, pour marquer son originalité, ne pense-t-il pas à sa qualité de Blanc et insiste-t-il sur sa qualité de Français. L’Américain, au contraire, dont les ancêtres paternels et maternels vivent depuis plusieurs générations aux États-Unis a toutes chances de résumer bien des types de Blancs (Hollandais, Irlandais, Allemands, etc.) ; il en est l’heureuse synthèse ; il incarne l’idée générale de Blanc. Cette qualité commune à tous ses ancêtres s’exalte en lui ; elle constitue son originalité : Américain, il est l’expression suprême de toutes les variétés de la race blanche, qui en sa personne fait bloc contre les races noire et jaune installées sur le même continent.

Selon lui, l’égalité devant la loi et la liberté personnelle, principes essentiels de son gouvernement, ne valent que pour des Blancs ; et pour que sa supériorité reste toujours évidente, il lui faut à toute force et toujours une race inférieure à mépriser :

The old debt due us for being white
Ain’t safe unless we stop the emission
Of these new notes, whose specie base
Is human nature, with no trace
Of race or color or condition[25].

Ainsi les distinctions de races que les Européens avec leur esprit provincial font valoir les uns contre les autres dans leurs contestations de frontières et dans leurs querelles de langages, les Américains cosmopolites, qui sur leur territoire rencontrent toutes les races du monde, ne les maintiennent que contre les Noirs et les Jaunes. La race, au sens anthropologique, groupe d’hommes pourvus héréditairement des mêmes caractères physiques, ils y croient : autant leur histoire leur donne confiance dans leur aptitude à assimiler les Européens, autant elle leur fait sentir leur lamentable impuissance à assimiler les races de couleurs.

L’idée de race, telle que le problème nègre l’évoque dans l’esprit des Américains, ce n’est pas une théorie, c’est un fait, une réalité : il y a des hommes noirs tous semblables les uns aux autres, tous issus d’ancêtres semblables entre eux : entre ces Noirs et les Blancs la distinction doit rester nette, absolue :

Quand on discute l’immigration japonaise en Californie, on fait appel le plus souvent à des intérêts égoïstes et à des considérations commerciales. Mais cette question devrait être résolue en s’appuyant sur des principes plus hauts, — à la lumière de notre expérience des cent dernières années. Si les Nègres dans ce pays n’étaient que 100 000, et ne vivaient que dans deux ou trois États riverains de l’Atlantique, accueillerions-nous des quantités d’émigrants de couleur, venant d’Afrique, jusqu’à ce qu’ils se chiffrent par millions ? Je crois que tout Américain qui pense répondra par la négative. Pourtant, ce cas supposé est exactement parallèle à celui qui se présente actuellement sur la côte du Pacifique avec l’immigration japonaise. Ayant devant lui le problème de race tel qu’il se pose dans le Sud, le peuple des États-Unis devrait refuser le droit de résidence permanente et de naturalisation à toute race qui ne peut facilement s’amalgamer avec nous[26].

Il y a un siècle, dans le sud des États-Unis les planteurs de tabac et de coton, importèrent une main-d’œuvre noire ; il y a vingt ans, aux Hawaï les planteurs de sucre importèrent des Japonais. C’était faute de travailleurs blancs, mais c’est aussi qu’ils allaient à l’économie, et se souciaient peu du standard of living. Le beau résultat et la belle économie ! Exploiter des Noirs ou des Jaunes n’équivaut pas à les assimiler.

De locale qu’elle était, la terreur du problème nègre petit à petit gagne la nation entière. C’est devenu le dogme des Blancs du Sud, leur plus haut idéal de vie de maintenir contre le contact et la poussée du Noir, leur type physique, moral et intellectuel, — ce type physique qu’ils assainissent et embellissent par le sport, ce type moral et intellectuel de citoyen d’une libre démocratie qu’ils ne cessent d’exalter. Tout mariage, tout commerce entre Blancs et Noirs est condamné : le viol d’une Blanche par un Nègre, c’est le crime suprême que non seulement les lois, mais les pires supplices ne peuvent suffisamment faire expier. Les liaisons de Blancs et de Négresses qui, avant la guerre civile, étaient fréquentes, tolérées, avouables sont aujourd’hui impitoyablement condamnées par l’opinion. Il est au pouvoir d’un État d’interdire les mariages entre Blancs et Noirs. Une goutte de sang nègre pour une Blanche, c’est la souillure indélébile. Qui n’a pas entendu raconter aux États-Unis cette histoire ? Une jeune fille se marie ; l’enfant qu’elle met au monde porte des traces évidentes de sang nègre. Le mari fait faire une enquête sur les ascendants de sa femme et il apprend qu’il y a deux ou trois générations un métis entra dans la famille : la souillure dissimulée chez deux générations a reparu chez le nouveau-né. Le mari demande le divorce et l’obtient.

Les idées sur les relations avec les gens de couleur, les Américains de l’Ouest les ont empruntées aux gens du Sud[27]. Depuis trente années, le préjugé de race a été assez fort pour empêcher les Américains de se mêler aux Chinois et de les assimiler. De même aujourd’hui avec les Japonais :

Toute tentative d’assimiler ces coolies japonais créerait des problèmes de race plus difficiles à résoudre que le problème que nos frères du Sud essayent présentement de résoudre. Quoique les Japonais viennent nombreux en Californie depuis sept ans, il n’y a pas encore de signe que des relations sociales s’établissent entre eux et aucun élément de notre population et je suis sûr, d’après ce que je sais du caractère des Japonais, que peu importe la durée de leur séjour, qu’ils soient nés sur notre sol ou au Japon, ils resteront étrangers, tout à fait Japonais, et ne deviendront pas Américains[28].

Entre la race jaune et la race blanche, il ne peut pas, il ne doit pas y avoir assimilation : la Bible et Spencer en ont ainsi décidé. C’est un fait que Jaunes et Blancs, comme les Nègres et les Blancs ne se mêlent pas, et si par aventure ils se mêlent que les produits de ces unions ne sont pas viables, — générations de métis, qui, sans avoir les qualités des deux races, en ont les défauts physiques et moraux. Or devant un fait, qu’il exprime le dessein de la Providence, ou qu’il soit un des effets de l’Évolution, tout Anglo-Saxon mystiquement s’incline.

« Les ministres de toutes nos religions proclament sur l’autel du mariage cette divine doctrine : « What God hath joined together, let no man put asunder. » C’est également une doctrine divine que « What god has put asunder, let no man join together ». Le doigt du Tout-Puissant a souligné par des caractères évidents, différences de couleur, de caste, de sentiment, de vie, de littérature, de position géographique, bref de toutes façons, la nécessité de garder séparées les races de l’humanité[29]. » Leur bonheur sera mieux assuré si elles demeurent sur les continents qui leur ont été assignés par la toute Sage Providence que si on les transplante sur d’autres continents, dans un intérêt de lucre. Les Jaunes pas plus que les Nègres ne peuvent changer de peau : le léopard ne se débarrasse pas de ses taches. Les Japonais, par leur physique, leur religion leurs traditions millénaires, leurs idées sur la vie de famille sont tout à fait différents des Blancs. À supposer que leur assimilation fût aisé et rapide, serait-elle souhaitable ? « Quelle force ou quelle grâce de corps ou d’esprit que nous ne possédions déjà, cette race totalement différente de nous pourrait-elle nous apporter ? »

Tel est l’avis de Spencer dans la fameuse lettre qu’il écrivit jadis au baron Kaneko Kentaro et que tout le monde anglo-saxon a lue et commentée :

À votre question sur les mariages entre étrangers et Japonais, qui, dites-vous, « est très discutée actuellement par nos professeurs et nos hommes politiques » et qui est « un problème des plus difficiles », ma réponse c’est qu’à parler raison, il n’y a pas là de difficulté. Ces mariages devraient être interdits. C’est non pas une question de philosophie sociale, mais une question de biologie. Les preuves ne manquent pas, empruntées aussi bien aux mariages entre races humaines qu’aux croisements entre animaux : sitôt que les variétés qui se mêlent divergent un peu, le résultat est immanquablement mauvais à la longue… Ma conviction est basée sur de nombreux faits, et je viens encore de la vérifier il y a une demi-heure. Je suis à la campagne en compagnie d’un homme bien connu et qui a une grande expérience des croisements entre bestiaux. Il vient de confirmer mon opinion : prenez différentes variétés de moutons, s’il y a croisements entre sujets tout à fait différents, le résultat, surtout à la seconde génération, est mauvais — c’est un incalculable mélange des traits physiques et une constitution chaotique. Il en va de même chez les humains : les Eurasiens dans l’Inde, les métis en Amérique en sont la preuve. L’explication physiologique de cette expérience me parait être que toute variété de créature, au cours de maintes générations, acquiert une certaine adaptation constitutionnelle à une forme particulière de vie, et que toute autre variété semblablement acquiert une adaptation spéciale. Par conséquent, si vous mêlez les constitutions de deux variétés tout à fait divergentes et qui se sont adaptées à des modes de vie tout à fait divergents, vous obtenez un organisme qui n’est adapté au mode de vie ni de l’un ni de l’autre — un organisme qui ne fonctionnera pas bien, parce qu’il n’est agencé pour aucun ensemble de conditions. Donc par tous les moyens, interdisez les mariages de Japonais avec des étrangers.

Parlant au club japonais de New-York, en 1907, M. Aoki, ambassadeur du Japon aux États-Unis, engageait ses compatriotes établis en Amérique à épouser des Américaines : « Rendez-vous dignes de l’amour des filles des millionnaires américains et quand vos beaux-pères auront pu apprécier votre mérite, ils vous assisteront dans toutes les difficultés. » L’ambassadeur ne pouvait être moins heureusement inspiré : l’idée d’apaiser l’hostilité entre races par des mariages mixtes est tout juste la solution qui paraît la plus chimérique et la plus dangereuse aux Américains.

Entre Japonais, et Américains le conflit n’est donc pas simplement économique, il est racial : c’est une opposition sentimentale, physique, mystique[30] tout ensemble qui interdit les mariages mixtes. À quoi bon dès lors, que les Japonais, économiquement, socialement, réussissent à se hausser aux mêmes rangs que les Blancs ? Ils n’en seront que plus dangereux pour les Américains. Plus l’écart entre les standards of living des deux peuples se comblera et plus les Jaunes et les Blancs appartiendront aux mêmes classes sociales, plus il sera difficile aux Américains de protéger l’intégrité de leur race et plus ils seront unanimes et énergiques à la défendre.


III

Le désir des Japonais de s’américaniser est-il sincère et sans arrière-pensée ? Les Américains se défient : le Chinois est moins dangereux, parce que moins curieux de langue, d’éducation, de manières, de métiers occidentaux. He keeps his place, ce que ne fait pas le Jap qui essaye de s’approprier méthodes, trucs et secrets, et qui, peu soucieux du succès immédiat étudie pour plus tard et finira par battre son maître.

Cette hâte un peu enfantine des Japonais à singer l’homme d’Occident, l’Américain ne l’interprète point comme une garantie de complète américanisation. C’est trop affecté, trop en façade pour que derrière ils ne se réservent. De leurs costumes occidentaux et de leurs american ways, on dirait vraiment que c’est un passe-partout pour mieux circuler dans le pays, inspirer confiance, entrer davantage dans l’intimité des gens, voir plus, savoir plus, — tout comme des nattes et des tuniques chinoises qu’ils revêtent en Chine[31].

Chinois en Chine, Américains en Amérique, Japonais toujours : sous ces déguisements, leur souplesse à prendre tous les dehors de la civilisation des pays où ils séjournent, inquiète Américains et Chinois. Cette affectation d’américanisme exaspère les Américains plutôt qu’elle ne les gagne. Les plus haïs des Nègres par the man in the street, ce ne sont pas les braves bêtes du black belt, couleur de la terre noire sur quoi ils vivent passivement courbés : c’est le Nègre endimanché qui, un pli au pantalon et les pieds vernis, s’en va à la ville faire le beau et minauder en roulant ses gros yeux, le Nègre qui joue au foot-ball ou au base-ball, et surtout le Nègre d’université. Pareillement, comme un veston ne change ni la couleur de peau ni la stature des Japonais et qu’au su de tous, chez eux ils troquent avec joie leurs jaquettes, pantalons et souliers trop ajustés pour le kimono et les savates plus lâches, comme ils conservent leur régime, dépensent peu, vivent groupés et serrent de près en tous métiers leurs concurrents américains, leur habit occidental ne paraît aux Américains qu’hypocrisie espionneuse, prétentieuse, dont il faut se méfier plus que de la queue et de la tunique qui, honnêtement, de très loin signalent le Chinois. Comment prendre à la lettre leurs protestations d’enthousiasme pour la civilisation des États-Unis, quand on sait que la vie japonaise est un paravent à deux faces ? D’un côté, chemins de fer, téléphones, usines, trams électriques, sous-officiers à la manœuvre, savants à lunettes penchés sur un microscope ; de l’autre, un jardin japonais, des banzai pour le Grand Japon, de petits vers au Mikado et aux fleurs, des cha-jin admirant la lune.

Qu’est-ce que ces manières des Japonais de s’humilier, de ne pas regarder en face, de se déguiser pour n’être pas reconnus ? Un Américain, un typical western man — le type d’homme précisément qui est en rapport avec les Japonais — c’est un homme très sociable, familier avec les étrangers quoiqu’ils ne soient pas ses égaux, et qui met tout le monde à l’aise en prenant ses aises. Il ne veut pas qu’on l’oublie, il tient à ce qu’on l’appelle par son nom avec toutes les initiales de ses prénoms, et non pas John tout court, comme lui-même appelle indistinctement tous les Chinois. Il parle haut, rit fort, bombe, se hausse, exige qu’on le traite à son rang, plutôt un peu au-dessus, joue franc jeu, pense à haute voix, défend sans modestie sa chance, avoue la bonne opinion qu’il a de ses capacités, respecte infiniment la valeur de son travail et exige sans plus le plus haut salaire. C’est un homme libre. Le Japonais entre en saluant trop bas, sollicite trop humblement qu’on le prenne au pair, qu’on lui fasse le grand honneur de le laisser regarder, imiter. Il n’est pas d’humble métier qui le rebute, celui qu’on lui offre lui ira très bien ; le plus petit est encore à sa taille. Tout le monde connaît aux États-Unis l’anecdote si souvent contée d’un officier de marine américain retrouvant aux Philippines, comme commandant d’un navire de guerre japonais, un boy qu’il avait jadis gardé longtemps au mess de son bord. Le fils d’un Samuraï n’hésite pas à s’engager comme domestique à Yokohama ou aux États-Unis : on l’appellera John. En Amérique, les Blancs se refusent à servir comme domestiques ; à plus forte raison, ils s’y refusent à l’étranger, chez des étrangers.

Le Japonais reste silencieux, mystérieux, souriant. Sauf les officiels, il n’est jamais tout à fait à son rang ou à sa taille à l’étranger. Ce ne sont pas là les manières américaines : dans la lutte internationale, ce n’est pas fair play. Un des plus gros griefs que les Américains, — président Roosevelt, secrétaire d’État Hay ou homme de la rue — firent au Russe lors de la guerre russo-japonaise, ce fut sa duplicité, son art du mensonge, sa politique du secret. Or le Japonais vit sur une réputation d’espion incomparable, qui a fait ses preuves en Chine et Mandchourie. L’Américain le voit partout furetant, enquêtant aux Hawaï, aux Philippines, en Californie, si bien qu’avec toute leur civilisation raffinée, les Japonais ne peuvent faire qu’ils ne lui apparaissent comme des Asiatiques !

Et puis ce Japonais paraît si peu sûr de lui ! L’Américain, lui, est certain que dans son pays il n’est rien qui ne soit the best in the world. Le Chinois, mandarin égaré chez les Barbares, est tellement convaincu de l’excellence de sa race qu’il ne s’inquiète guère des « diables » étrangers et reste impassible sous les quolibets. Certes les Japonais, eux aussi, sont persuadés de leur supériorité, mais leur conviction n’est guère impassible. Toujours inquiets que cette supériorité ne soit pas assez reconnue, ils vont devant un étranger jusqu’à s’humilier par orgueil. Un amour-propre maladif, la crainte qu’on ne les traite pas avec tous les égards qu’ils souhaitent, joints à la peur que la couleur de leur peau et leur faible stature n’excitent le rire, — tout conspire à les isoler, à les raidir : arrogants et brutaux ou trop aimables, au total rarement assez maîtres de soi ni assez détendus pour attirer la sympathie.

Ne parlez pas à un Japonais de la beauté de son pays et de son art, du charme de ses vieilles mœurs et de sa vie simple d’autrefois ; ne lui vantez pas la nudité artistique de sa demeure ni la séduction de ses geishas, toutes choses qu’il aime tenacement, profondément et qu’il regrette à l’étranger. Le voilà gêné et qui ricane en s’excusant : il croit que vous vous moquez, que vous le louez de son passé pour n’avoir pas à lui parler de son présent ou de son avenir. Ses jardins japonais, ses maisons de bois, c’est trop petit, trop simple de style, trop pauvre de matériaux, trop modeste et trop périssable pour plaire vraiment à un Occidental qui construit d’énormes palais de blocs de pierre. L’amour du sol japonais et du Mikado, c’est un sentiment sacré qu’il garde au profond de soi. C’est une passion intense, très prompte à douter des éloges, âpre à les souhaiter et qui se dissimule, s’effarouche, honteuse à s’avouer. Froissez-la au vif, comme à San Francisco, et sous les habits et manières d’emprunt, elle éclate : la douceur souriante s’est muée en arrogance brutale.

Au vrai, si le désir du Japonais de s’américaniser ne paraît aux Californiens que faux semblant, c’est qu’ils croient sentir que le Japonais ne se livre pas entièrement à l’emprise de la terre et de la civilisation américaines, qu’il se réserve et que de l’Amérique il ne veut pas tout prendre, en bloc. Il enquête, juge, distingue, ne s’abandonne jamais et jamais ne perd ni sa tête ni son cœur de Japonais. Or la nation américaine a été une œuvre d’enthousiasme et de foi. Les Européens qui l’ont faite, chassés de chez eux pour des motifs politiques, par des souffrances sociales ou par le désir d’une vie plus libre et plus large, ont en débarquant secoué la terre de leurs souliers et rompu avec leur patrie d’origine. Pourtant ces émigrants ont souvent inquiété l’opinion américaine, toujours prête à rejeter les éléments qui, lui semble-t-il, ne peuvent ou ne veulent s’assimiler et l’hostilité contre les Jaunes n’est qu’une variété de l’hostilité générale que les gens américanisés depuis une ou deux générations ont toujours témoignée, par tout le pays, aux immigrants frais émoulus. Anglo-Saxons, à ce qu’ils croient, sitôt qu’un brevet de naturalisation les a authentiqués et qu’ils ont à peu près réussi à attraper, avec l’accent yankee, le chic du veston trop large et des souliers trop vernis, ces Européens d’hier se gaussent des Allemands et des Irlandais encore mal débrouillés ; ou bien ceux d’origine germanique, faisant bloc contre les Latins réputés superstitieux, dégénérés, sales et bavards, enveloppent, d’un mépris général, les Italiens[32], tous cireurs de chaussures, les Français, tous cuisiniers, les Mexicains, les Brésiliens, et aussi les derniers venus, les faméliques de l’Europe orientale et d’Asie, Juifs, Slaves ou Arméniens. La nation américaine se recrute comme un club ou comme une de nos grandes écoles du gouvernement : the man in the street, qui se croit américain pur sang, fait payer cher aux nouveaux venus en quolibets et en regards de pitié le dignus es intrare : chez tout ce peuple, c’est l’aristocratisme protecteur et cruel des promotions vieilles d’une ou deux années pour le pauvre nouveau.

Nombreuses sont les restrictions d’argent, d’âge, de morale, de santé qui successivement ont été imposées à l’immigration. Tour à tour, les Irlandais, les Allemands, les Italiens et maintenant les Slaves, les Arméniens, tant qu’ils ont vécu groupés par races, par langues, avec leurs régimes et leurs besoins d’autrefois, ont été dénoncés comme des dangers publics. Puis, comme à l’usage on s’aperçoit que les forces convergentes des public-schools, du bulletin de vote, des trade-unions et des églises finissent par dissoudre ces noyaux compacts, par disperser ces individus dans les groupements purement américains, partis politiques, syndicats, sociétés maçonniques, groupements religieux, les preuves de cette force d’assimilation rendent confiance. Les premières brimades passées, quand les immigrants ont dépouillé leurs oripeaux bariolés et leurs accents de terroir pour se fondre le plus tôt possible dans la masse, le mépris tombe.

Mais tous ces Européens sont faits d’une même étoffe. La culture chrétienne et la vie industrielle les ont rendus individualistes, avec un vif appétit de bonheur, de confort, de puissance et ce sont les tempéraments les plus passionnés, les plus exigeants qui émigrent. Aux États-Unis, leurs instincts comprimés s’épanouissent. L’Amérique, c’est pour ces Européens la terre promise, une terre qui ressemble à celle qu’ils quittent, mais avec des espaces plus grands, des horizons plus vastes, un air plus respirable. Ils ne sont ni surpris, ni contrariés par le déracinement : leur formule de vie ne change pas, mais se développe ; leurs patriotismes d’Europe s’évanouissent devant la joie d’une destinée plus large, plus forte, et leur patriotisme américain est fait de reconnaissance pour une terre et une civilisation qui ont agrandi et réalisé leurs rêves de bonheur[33].

Pour le Japonais, il n’en va pas de même. Sa civilisation n’est encore ni chrétienne, ni industrielle. Être soi, être libre, jouir d’un grand bien-être n’est pas l’essentiel de sa formule de vie. Plus que tout, il aime sa terre japonaise[34], rongée de golfes, bossuée de montagnes, aux horizons très proches, de premiers plans et de fonds très marqués, où il vit blotti et qui évoque pour lui tout le passé de sa race ; il est soumis à sa famille et à la nation, famille agrandie dont le père est le Mikado[35] ; il l’aime du même amour que la terre japonaise, parce que son origine divine et l’antiquité de sa famille symbolisent la gloire du Japon chéri des dieux, toujours victorieux, jamais envahi ; de besoins modestes, il a l’habitude de prendre la vie comme elle vient, sans se préoccuper de l’avenir[36]. Son passage aux États-Unis, au lieu d’être le développement de son rêve et l’exaltation des tendances de sa race, marque une rupture dans sa vie : la civilisation qu’il va chercher ne prolonge pas celle qu’il quitte. Ce n’est pas son instinct qui l’y porte, mais sa volonté, sa curiosité, son ambition raisonnée. Cette Amérique ne lui est pas une terre de séjour, un paradis : c’est un pays d’exil, une maison d’éducation, où il ne va que pour étudier la dernière édition de la Somme des vérités industrielles et scientifiques de la civilisation occidentale et aussi chercher les plus hauts salaires que lui puisse réserver l’industrie. Ouvriers, étudiants, hommes de science, capitalistes, soldats, marins, tous se passionnent pour tout ce qui est américain ; mais tous songent aux douces heures de flânerie ou de gloire que leur assureront au Japon leurs économies ou leurs acquisitions américaines.

Car tous se réservent ; aucun ne s’abandonne. De tout ce qu’il voit, chacun choisit ce qui lui convient ; le reste, il le laisse. « Il est tout disposé à apprendre de n’importe quel instructeur tout ce qui peut lui servir ; mais tout ce qu’il apprend et acquiert est pour le Japon. Il n’a ni attachement ni affection sauf pour son peuple et pour sa terre. Son patriotisme, sa disposition à mourir joyeusement pour le Mikado est une vertu, mais qui ne le dispose pas à devenir citoyen américain. Son industrie, sa tempérance, son ambition sont des vertus, mais qui ne comptent pas pour l’Amérique[37] » Exilés pour un temps ils se retournent sans cesse vers leurs îles ; c’est une race envoûtée dans une tradition et qui s’est arrangée une coquille où vivre enroulée ; tout ce qu’ils imitent, ils l’infléchissent dans leur sens propre. Aux États-Unis, ils ne se laissent conquérir ni par la terre ni par l’âme du peuple : ils admirent des grandeurs, ils méprisent l’esprit. Eux qui ne se plaisent que dans leur nature retouchée, humanisée, ils ne se laissent pas griser par les espaces énormes et la nature vierge. En missionnaires patriotes, ils viennent aux États-Unis avec le mépris de l’idéal américain et n’étudient le matérialisme américain que pour lui dérober quelques recettes qui rendront riche et fort leur Japon.

Est-il prudent de la part des Américains de tolérer dans une des régions les moins peuplées de leur territoire, une communauté de Japonais plus disposés à l’hommage lige envers le Mikado qu’au respect de la Constitution américaine ? N’est-il pas contraire à leurs idées démocratiques d’accorder le droit de résidence et de naturalisation aux immigrants d’une race qui ne peut être assimilée ? Les Américains méditent cet oracle de Spencer[38] :

J’approuve entièrement les règlements américains destinés à entraver l’immigration des Chinois, et si cela était en mon pouvoir je réduirais ces immigrants le plus possible, car de deux choses l’une : que de nombreux Chinois aient la permission de s’installer en Amérique, ou bien, s’ils ne se mêlent pas aux Américains, ils formeront une race sujette, et sinon esclave, au moins presque esclave, ou s’ils se mêlent, ils formeront de mauvais hybrides. Dans les deux cas, que l’immigration soit importante, et d’immenses calamités sociales s’ensuivront, — éventuellement la désorganisation de la Société.

Le parti des Américains est pris : « Avec notre forme de gouvernement[39], une race ne peut vivre sur notre territoire légalement sujette d’une autre[40]. »

Au reste, le gouvernement du Mikado fait le nécessaire pour que les émigrants japonais n’oublient pas leur pays. Il ne cesse jamais de surveiller ses nationaux, même de loin[41]. L’avantage qu’il a de bien tenir le peuple en main, on l’a vu pendant la récente guerre : les soldats japonais n’étaient pas très robustes, mais ils étaient méthodiquement entraînés ; la population n’était pas riche, mais elle a supporté tous les impôts de guerre, et, résignée, s’est tue, laissant à ses chefs plein crédit. Leur manque d’individualisme, leur soumission à la discipline, leur désir d’apprendre, leur entêtement à retenir et leur bonne moyenne de culture, l’habitude d’obéir chacun à son rang, d’observer la consigne, de répéter à la lettre les ordres reçus : ces qualités font qu’ils sont interchangeables, et qu’en cas de besoin, tous servent : des soldats dévoués, des cadres intelligents, voilà la force de l’armée japonaise et aussi la force de la nation. Ces avantages, le gouvernement entend les maintenir à l’étranger. Shin Nihon, Nouveau Japon, c’est sous ce nom que les journaux japonais groupent leurs nationaux établis sur la côte occidentale des États-Unis. De fait, c’est bien un noyau qui s’est détaché de la cellule du grand Japon, pour reformer aux États-Unis une cellule plus petite mais analogue de substance et de réactions : les marchandises que les émigrants, tant aux Hawaï qu’en Californie, font venir du Japon, l’argent qu’ils envoient, leurs retours fréquents au Japon et leurs groupements nationaux à l’étranger prouvent que le lien ne s’est pas desserré qui les unit à leur patrie. Le gouvernement du Japon ne témoignerait pas une telle sollicitude pour ses émigrants s’il n’avait la volonté et la confiance qu’ils resteront les hommes-lige du Mikado.

« Jusqu’à présent le gouvernement n’a jamais approuvé que des Japonais se naturalisent à l’étranger.[42] » Toutefois, par orgueil national et pour lutter contre l’antijaponisme, on conseille maintenant aux Japs, qui ne se sentent pas aimés des Américains, de ne pas faire comme les Chinois, mais de prendre les manières yankees ; et même pour calmer les appréhensions que font naître aux États-Unis ces émigrants patriotes et surtout gagner une réelle influence politique, on leur conseille de se faire naturaliser.

Quand des Italiens, des Allemands, des Irlandais, des Russes, des Espagnols, des Portugais ont le privilège de la naturalisation c’est insulter les Japonais que de le leur refuser, à eux seuls. Les Japonais estiment qu’ils sont un des peuples les plus civilisés du monde. Pourtant aux États-Unis, ils n’ont pas le droit que possèdent les représentants de pauvres et secondaires nations de l’Europe… La naturalisation, en droit international est un privilège des peuples civilisés. Les Américains peuvent être naturalisés au Japon. Les Japonais ne peuvent être naturalisés en Amérique. Cela va contre le principe de réciprocité[43]… Les Japonais ne viennent-ils pas d’un pays où le self government local et le gouvernement constitutionnel ont été pratiqués depuis des années ? Les Américains n’accordent-ils pas après quelques années de résidence, le droit de vote, à des paysans russes opprimés depuis longtemps par un gouvernement absolu, et qui n’ont ni connaissance ni pratique du gouvernement libre[44] ?

Satisfaction d’amour-propre, le droit de naturalisation serait aussi pour les Japonais une arme de défense :

L’ostracisme politique et social auquel les Japonais sont condamnés en Amérique tient à ce qu’ils n’ont pas le privilège de naturalisation. S’ils l’avaient, et si trois ans après leur naturalisation ils obtenaient le droit de vote comme les Italiens, les Irlandais, les Allemands et autres peuples, le cri d’exclusion n’aurait jamais été poussé contre eux… Les Japonais sont une race éclairée ; en politique, leur pouvoir peut s’affirmer trop considérable pour qu’on s’en moque. Les politiciens qui maintenant veillent aux plaisirs des Italiens, des Allemands ou des Irlandais serviraient les Japonais avec de douces paroles et ne les toucheraient pas du doigt[45].

Ainsi, capitalistes, fermiers, marchands, tous les Japonais, que leurs intérêts fixent de manière permanente aux États-Unis ont besoin du bulletin de vote pour obtenir qu’on les traite justement et dignement. Et le nombre s’accroît des Japonais qui se fixent de manière permanente en Amérique. Depuis 1901, les Japonaises arrivent plus nombreuses[46]; beaucoup d’entre elles sont venues des Hawaï où leurs enfants en naissant ont gagné le droit à la nationalisation américaine. « Parmi les enfants des Japonais vivant en Amérique, 5 000 environ auront un jour le droit de devenir citoyens des États-Unis, comme étant nés[47] ». Il faut encourager les femmes à aller aux États-Unis.

Si l’on veut réellement que les colonies japonaises du littoral américain sur le Pacifique deviennent florissantes (et il le faut à tout prix), il est nécessaire d’encourager l’émigration des femmes aux États-Unis. Le second Empire japonais ne peut être fondé uniquement par des hommes. Il n’y a pas d’exemples que des colons aient prospéré quelque part, s’ils n’ont pas emmené avec eux des femmes. Une femme qui travaille aux États-Unis peut mettre de côté, au bout de trois ou quatre années, 1 000 à 1 500 dollars[48].

D’après la Constitution des États-Unis, deux races peuvent prétendre à la naturalisation : la race blanche et la race noire. La Cour suprême en conclut que les Japonais n’étant ni blancs ni noirs, mais de race mongolienne, n’ont pas le privilège d’être naturalisés. « Dans quelques États, la naturalisation est permise aux Japonais… des Japonais ont déjà obtenu des papiers pour devenir citoyens et se croient dûment naturalisés. Mais selon la Constitution des États-Unis, les lois des États sont nulles, si elles sont en conflit avec la Constitution fédérale. » Le président Roosevelt dans son message de décembre 1906 a recommandé au Congrès « qu’un acte spécial fût passé, accordant la naturalisation aux Japonais qui viennent aux États-Unis avec l’intention de devenir citoyens américains ».

Mais, promis depuis un an et demi, cet acte spécial n’a pas encore été passé. Les Japonais accusent leur gouvernement de manquer d’énergie. Au total, ils ne seraient pas si nombreux aux États-Unis à se prévaloir du droit de naturalisation. D’après une estimation japonaise[49], on compterait parmi les Japonais des États-Unis, 1 000 officiels ou étudiants, 4 000 marchands ou employés, 1 700 fermiers, 21 707 ouvriers agricoles, 7 471 manœuvres employés sur les chantiers de chemins de fer, 7 483 domestiques, 6 000 divers. Étudiants, officiels, travailleurs retourneront très probablement au Japon, — les travailleurs sitôt qu’ils auront fait quelques économies, les étudiants et les officiers, leur mission accomplie. 1 000 marchands, 410 personnes ayant des professions libérales, 1 700 fermiers, en tout 3 110 Japonais sont susceptibles de demander le droit de naturalisation. Comment le leur refuser ?

Malgré son patriotisme intense et son profond amour pour la terre du Soleil levant, le sujet du Mikado, n’est pas si différent du sujet du Kaiser qui, émigré aux États-Unis, devient en quelques années un admirateur enthousiaste de son nouveau pays, prêt à défendre tout ce qui est américain[50].

Mais l’Allemand est un Blanc, et qui aux États-Unis n’a jamais témoigné de grands sentiments de fidélité envers le Kaiser. Le Japonais est un Jaune, dont le patriotisme est exalté. N’est-ce pas encore le triomphe de l’idée japonaise qu’il veut assurer en demandant le droit à la naturalisation ?

Les Japonais perdraient-ils leur nationalité… : s’ils se réunissent pour fonder un village, une bourgade, il est évident que l’intérêt du Japon ne sera pas diminué. Que ceux qui en ont le désir partent de plus en plus nombreux à l’étranger : lorsqu’ils seront en possession d’une maison d’un bout de terrain, ils devront travailler à promouvoir influence japonaise, même en perdant leur première nationalité[51]… Ah ! sous de nombreuses lanternes, quand pourra-t-on fêter l’anniversaire de la fondation du « Nouveau Japon » ? Les Japonais des États-Unis demanderont alors au gouvernement du Mikado de bien vouloir conférer avec le gouvernement américain pour qu’ils obtiennent le droit de naturalisation. Ce sera la fin du mouvement antijaponais ; ce sera aussi le commencement de la fondation du « Nouveau Japon »[52].


IV

Trois idées sont essentielles à la civilisation américaine : le standard of living, l’assimilation des races, l’égalité démocratique. La présence des Japonais en Californie les menace toutes trois. Dans ce conflit entre Jaunes et Blancs, il n’est pas question de supériorité absolue d’une civilisation, il s’agit, non pas de savoir si les Japonais ont ou n’ont pas une culture plus réelle que les Américains, mais bien si l’écart entre les salaires et les besoins des Japonais et des ouvriers yankees ne menace pas de manière permanente le standard of living des Américains, si la différence de race ne met pas en échec l’idée d’assimilation, et si le nationalisme japonais et ses prétentions à fonder un Nouveau Japon sur territoire américain n’est pas un défi à l’idée démocratique. Le territoire qui va de l’Atlantique au Pacifique, ce sont des Blancs qui l’ont découvert, exploré, mis en valeur. Derrière cette côte du Pacifique mal peuplée, il y a 75 millions d’hommes qui pensent qu’une libre issue sur le Pacifique est nécessaire à la vie de la nation et qui veulent que cette façade qui donne toute sa valeur à l’arrière-pays reste une terre de Blancs et de civilisation anglo-saxonne. Il y a un quart de siècle, la nation décida « to build up the Pacific states on a basis of white labor », d’organiser les États du Pacifique sur une base de travail blanc, — et de cette décision, on ne saurait dévier, « from that decision there will be no turning away[53] ».

En regard des exigences des Japonais aux États-Unis, il est curieux d’énumérer les restrictions qu’ils mettent chez eux au libre séjour des étrangers, de voir comment ils appliquent le dernier paragraphe de l’article II de leur traité de 1894 avec les États-Unis, qui laisse à chacun des deux pays la faculté de régler chez soi le commerce, l’immigration, la police et la sécurité publique ? Au Japon, les Américains ne sont pas admis dans les écoles publiques ; ils n’ont pas la permission de posséder des terrains ou de s’engager dans des affaires de mines. Les étrangers peuvent posséder des bâtiments, mais les terrains sur quoi s’élèvent ces bâtiments, ils ne peuvent que les louer ou les mettre au nom d’un sujet japonais. Lors des traités qui supprimèrent leurs privilèges de juridiction consulaire, les Puissances étrangères stipulèrent que les baux perpétuels en faveur de leurs nationaux dans les ports ouverts « seraient confirmés, sans subir d’autres taxes ou charges que suivant la lettre expresse des baux en question ». Or, pendant la guerre russo-japonaise, le gouvernement japonais, pour faire payer plus d’impôts aux étrangers, essaya de glisser une distinction entre les terrains, francs de taxe, et les constructions soumises au droit commun. La question fut portée devant le tribunal de La Haye qui donna tort aux Japonais. Le travailleur américain au Japon n’a pas la permission de travailler sans une licence de la préfecture du district où il réside. Cette licence ne lui serait probablement pas accordée, si la place qu’il recherche était souhaitée par un Japonais. La révision des tarifs, mise en vigueur en octobre 1906, établit un taux de 40 à 45 p. 100 sur les articles d’alimentation que consomment les étrangers, un droit très élevé sur les articles de luxe, — rubrique qui comprend de nombreux articles de première nécessité pour les étrangers. Aussitôt qu’il lui a été possible, le gouvernement japonais a converti les emprunts conclus pendant la guerre russo-japonaise, désireux de faire disparaître la clause, blessante pour l’amour-propre national, qui donnait à ces emprunts étrangers la garantie des droits de douanes.

La grande affaire de la diplomatie japonaise, depuis vingt ans, a été de regagner l’influence et les privilèges d’exterritorialité qu’elle avait été obligée de reconnaître aux Blancs dans les treaty ports ; en affaires, le Japonais travaille à reprendre aux intermédiaires européens la part prépondérante qu’ils avaient dans les importations et surtout les exportations japonaises. Les settlements étrangers, formant un État dans l’État, étaient insupportables à l’opinion japonaise et pourtant il ne s’agissait que de quelques centaines de commerçants, qui restaient en dehors de la politique, ne prenaient pas racine sur la terre japonaise et que leurs gouvernements respectifs, faute d’entente, soutenaient assez mal. Les États-Unis furent les premiers à renoncer aux privilèges d’une « Nouvelle Amérique » sur terre japonaise. Comment les Japonais ne comprennent-ils pas que leur Shin Nihon, leur Nouveau Japon, aux Hawaï et en Californie inquiète les Américains ? Et il s’agit de 150 000 travailleurs vigoureux et ambitieux prenant possession du sol, s’organisant en groupe national !

En Chine, la diplomatie japonaise a toujours été opposée à la politique des sphères d’influence, à l’accaparement économique et politique d’une région par une puissance d’Europe. N’est-ce pas une sphère d’influence aux États-Unis que les Japonais ont en tête, quand ils parlent d’un Shin Nihon ? Ne pensent-ils pas à recommencer sur cette façade américaine ce qu’ils ont réussi aux Hawaï ? Les Blancs délogés de leurs métiers et emplois, quittant les îles ; de nouveaux immigrants blancs impossibles à recruter dans le monde entier ; planteurs et ouvriers blancs versant par orgueil de race dans l’aristocratie et l’oligarchie et ne se souciant que d’être la tête blanche qui mène des bras jaunes. Les Américains ne veulent pas en Californie d’une question de races comme dans le sud des États-Unis. Par leur seule présence, en détournant du sud pendant plus d’un demi-siècle les immigrants qui débarquaient aux États-Unis, les Nègres ont délimité une sphère où leur influence a longtemps arrêté le développement de la région et continue de troubler la vie des Blancs.

L’immigration très abondante des Slaves et des peuples les plus arriérés d’Europe, depuis quelques années, menace aussi les États-Unis, quoique moins immédiatement et moins sûrement, d’une sphère d’influence slave dans la région New-York, Massachussetts Pennsylvanie, Ohio, Virginie Occidentale[54]. Faut-il escompter que l’on aura une sphère d’influence nègre, une sphère d’influence japonaise, peut-être une sphère d’influence slave, trois dépôts de limon noir, jaune et blanc formés par les flots d’émigrants, partis des trois continents, Afrique noire, Asie jaune, Europe blanche et que des frontières abruptes s’élèveront entre les habitudes, les mœurs, les langues de ces trois races qui n’auraient plus rien de commun ? L’opinion des 75 millions de Blancs qui vivent actuellement aux États-Unis est unanime à refuser cet avenir et à penser que « l’exclusion du travail asiatique est aussi importante et aussi justifiée que leur adhésion à la doctrine de Monroe[55] ».

  1. Sur la sympathie des Américains pour les Japonais pendant la guerre russo-japonaise, cf. Paix japonaise, Japonais et Américains, Paris, 1906.
  2. Osaka Asahi, 20 mars 1907.
  3. Éditorial du Taiyo, décembre 1906.
  4. Address by David Starr Jordan.
  5. Sur tout ceci, cf. Annual report of the Commissionner-general of Immigration, 1903.
  6. Durant l’année fiscale 1906-1907, 503 Chinois qui se glissaient aux États-Unis par le Canada et surtout par le Mexique furent arrêtés ; 336 furent déportés. Seuls 961 Chinois, marchands, professeurs, etc., mais non coolies sont entrés régulièrement.
  7. Tôbei Zasshi, 10e année, n° 7. Art. de Mr. Katayama Hisomu ; cité par Shinkoron, mars 1906.
  8. Id., avril 1906.
  9. Manchyo, 21 septembre 1906.
  10. Shinkoron, septembre 1905. Le Littoral occidental des États-Unis est en train de se japoniser, par Shinowara Yuho.
  11. Nombre de magasins japonais en Californie. Nombre d’auberges japonaises en Californie. Nombre de restaurants japonais en Californie.
    1904…… 224 245 98
    1905…… 376 297 112
    1906…… 561 462 198

    d’après l’Osaka Asahi, 20 mars 1907.

  12. Hayes, House of Representatives, 23 janvier 1907.
  13. Id., ibid., 13 mars 1906. L’accroissement des Japs en certains comtés de Californie de 1880 à 1905 indique leur promptitude à se grouper en communautés indépendantes : silencieusement, pacifiquement mais tenacement ils gagnent l’avantage du terrain, et le gardent. Enquête entreprise en 1905 par la Japanese and Korean Exclusion League. Cf. Minutes du 1er janvier 1907. En Californie, comme aux Hawaï, on remarque chez les Japonais une tendance à déserter les campagnes et les besognes agricoles pour les villes et les métiers urbains. Ils forment à Honoloulou ou à San Francisco des colonies de 10 000 individus environ, de 7 000 environ à Seattle et à Los Angeles, de 4000 à Oakland.
  14. Hayes, op. laud.
  15. La saleté et la misère de down-town à New-York, à quelques pas de Wall Street, des slums de Pittsburg à côté des marbres du Frick building ne révoltent pas autant les Américains. Pourtant la saleté et la misère des Hongrois, Slaves et Arméniens dépassent ce qu’on reproche aux Japonais. Il est vrai que ce sont des Blancs !
  16. Hayes, op. laud.
  17. Consul Miller de Yokohama.
  18. Hayes, op. laud.
  19. Asahi Shimbun, 23 octobre 1905. Les Japonais et les Chinois aux États-Unis.
  20. Tôkyô Keizai Zasshi, 10 novembre 1906. Les Garanties de la Paix japono-américaine, par Mr. Kitazaki.
  21. Les « want » columns de San Francisco étaient couvertes d’annonces dans ce genre : « Japanese young boy, honest, reliable, wants work after school for his board. »
  22. Une loi fédérale de 1906 a décidé qu’il fallait désormais savoir parler anglais pour être naturalisé américain. En 1902, a paru à Tôkyô, sous le titre Beikoku Rôdo Benran, un guide destiné « à encourager nos compatriotes qui traînent au Japon une existence misérable à passer l’Océan pour prendre leur part des richesses des États-Unis, destiné aussi à aider nos compatriotes qui désirent exercer là-bas une profession ». Le guide contient un manuel de conversation anglaise, à l’usage des Japonais du peuple.
  23. J’ai développé ce point dans Paix japonaise. Le Paysage japonais, Routes japonaises, L’Inkyo.
  24. « L’ambassadeur du Japon, le baron Kurino nous a répété ce qu’il nous a dit à diverses reprises, à savoir que la question de l’immigration aux États-Unis est considérée par son gouvernement comme une affaire économique et qu’il n’a pas l’intention de l’élargir pour en faire une question d’amour-propre. » Le Temps, 6 janvier 1908.
  25. Pour que la vieille dette qui nous est due, à nous Blancs, ne soit pas compromise, il faut que nous suspendions l’émission de ces nouveaux billets de banque, dont la garantie est la nature humaine, sans distinction de race, de couleur ou de condition. »
  26. Hayes, op. laud.
  27. Le préjugé des races sur la côte du Pacifique n’est qu’une autre forme du problème des races dans le Sud et n’est pas seulement le fait des malandrins de San Francisco. Très ému dans mon État par « l’insoluble question », ma sympathie va à la population blanche de San Francisco. » Mr. Slayden of Texas, House of Représentatives, 10 janvier 1907. — « Comme les gens du Sud réclament pour eux le droit de régler la question de race en ses aspects locaux, et demandent que leurs intérêts et leurs conseils prévalent dans les règlements de caractère national, ils estiment que le peuple de la côte du Pacifique devrait être autorisé à traiter le problème japonais en ses aspects locaux, comme il le juge bon, et, pour les mesures nationales, à faire prévaloir ses intérêts et ses conseils, tant que l’action qu’il propose est constitutionnelle. » Mr. Simons, Senate, 16 février 1907. Et les gens de l’Ouest répondent : « Nous sommes de cœur avec le Sud… et nous disons à nos frères : « Nous vous aiderions si nous pouvions. Vous connaissez le problème, traitez-le de votre mieux, dans l’intérêt de l’humanité, du bon gouvernement, de la justice pour tous et nous ne nous en mêlerons pas ; nous avons confiance en votre honneur, votre loyauté, votre patriotisme. Mais en même temps nous vous disons : par dieu n’encouragez pas les plans de ceux qui, s’ils réussissaient, nous mettraient dans une situation pire, à la longue, que celle qui vous accable ». Gearin, op. laud.
  28. Hayes, op. laud.
  29. Id.
  30. Il y a quelque chose dans ces antagonismes de race que nous ne comprenons pas — et peut-être n’est-il pas nécessaire que nous le comprenions… Les Japonais ne nous sont pas inférieurs, ils sont différents, voilà tout… Les Asiatiques et les Américaines ne se marient pas, et ne se marieront jamais, sauf de rares exceptions. Nous ne pourrons jamais les absorber… » Hon. J. M. Gearin, of Oregon, Senate, 7 janvier 1907. Cf. dans The Far East, d’Henry Norman ce même mysticisme anglo-saxon : « Nous pouvons aimer le Japon, l’admirer, commercer avec lui ; pour ma part, je ne crois pas qu’il soit possible de connaître le Japon sans l’aimer et l’admirer, et le Japon peut nous aimer, nous étudier, et trafiquer avec nous. Mais l’Anglais, l’Américain, le Français, l’Allemand ne forment qu’une espèce d’humanité, et le Japonais en est une autre. Entre eux se dresse et se dressera toujours, la distinction sacrée et indéracinable de la race. »
  31. « Les Japonais peuvent entrer en intime sympathie avec les Chinois, porter les mêmes robes, vivre de la même nourriture, habiter dans les mêmes maisons, s’adapter aisément et volontiers à l’entourage chinois et éviter ainsi de heurter les préjugés des Chinois.» Rapport du secrétaire chinois de la légation américaine à Pékin. Foreign Relations of the U. S. Washington, 1906, p. 199. À quelques kilomètres de Shanghaï, le collège japonais de Tun-Wen, fondé à la suite du traité de Simonoseki, prépare des jeunes gens à la propagande commerciale et politique en Chine. Il reçoit, au nombre de 300 chaque année, des Japonais qu’entretiennent leurs préfectures. Le programme est divisé en cycles : au terme de chacun d’eux l’élève part pour un « voyage d’investigations ». Les élèves du cycle politique laissent pousser leurs cheveux, puis les nattent et se rasent le haut du front : Chinois d’apparence, ils pourront dans leurs voyages d’informations passer partout. — Cf. une correspondance du Daily graphic, résumée par Le Temps, 9 novembre 1906, et les photographies de l’Illustration, 8 juin 1907. Aux États-Unis, un des tours les plus fréquents des Japonais était d’entrer dans une « gospel society » sous prétexte d’étudier la parole du « White man’s God ». Quand ils avaient appris assez d’anglais, ils quittaient subitement le pasteur ou révérend et les laissaient scandalisés de voir que ces Bouddhistes et Shintoistes avaient feint de se christianiser « for revenue only » ou pour se préparer « to insidiously work into american ways ».
  32. Dans plusieurs villes du Mississipi, les Américains en 1907 ont voulu expulser des écoles les enfants italiens. Les Italiens, de tous les Blancs, sont les moins fiers ; ils s’accommodent des travaux les moins relevés dans le sud des États-Unis, ne refusent pas d’y travailler et d’y vivre à côté de Nègres. Aussi, de la part des Blancs, sont-ils soumis à toutes sortes de vexations.
  33. « Nous ne nous opposons pas à l’immigration européenne ; elle est la bienvenue… Aujourd’hui, le sang du citoyen américain est le sang des peuples de l’Europe qui répandirent la civilisation par le monde et rendirent possibles les républiques. Nos arts, sciences, nos lois, nos institutions, notre civilisation, notre religion, nous les tenons des races blanches qui nous ont précédés dans l’histoire du monde… Nous sommes une nouvelle nation, pourtant nous ne sommes pas une race nouvelle : représentants, dans l’Extrême Ouest, de la meilleure et de la plus juste forme de gouvernement, nous pouvons faire remonter l’évolution de nos principes à travers les siècles, jusqu’au temps où l’homme commença d’apprendre à se contrôler et à obéir… La race blanche dominera le monde, non seulement par des victoires militaires mais par la culture qu’ont acquise, à force de sacrifices, tous les peuples qui nous ont précédés, — culture qui prépare les Blancs à partager les devoirs et les responsabilités des citoyens américains. - Hon. J. M. Gearin, op. laud.
  34. Cf. Paix japonaise. Le Paysage japonais.
  35. « Le Japonais hérite d’idées de servitude et de vasselage tout à fait opposées aux idées de responsabilité, d’autorité et de dignité du travailleur américain. Chez nous pas de classes, point de nobles ni de Samuraï, rien que le peuple (we are all plain people). Nos travailleurs sont une partie du gouvernement, ils sont le gouvernement. Chacun son vote, chacun sa voix… » Hon. J. M. Gearin, op. laud.
  36. Cf. Paix japonaise. Routes japonaises et l’Inkyo.
  37. Interview de O. A. Tweitmoe, président de la Japanese and Korean Exclusion League, publié dans The World-to-day, décembre 1906. Cf. aussi, Hon. J. Kahn (of California), House of Representatives, 18 février 1907 « Si jamais une guerre survenait entre nous et le Japon, les sympathies, l’influence et l’aide des Japonais d’Amérique iraient à leur terre natale. »
  38. Lettre au baron Kaneko Kentaro, op. laud.
  39. La Grèce a eu ses sculpteurs, l’Angleterre a eu Shakespeare ; la contribution des États-Unis à l’histoire de l’humanité, c’est sa démocratie ouverte à tous les Blancs : « Pendant des milliers d’années, les hommes d’État de tout pays se tourneront vers Washington, Jefferson, Hamilton, Franklin, Madison et les autres fondateurs de notre République, les plus grands bâtisseurs de gouvernement libre que le monde ait jamais produits. » Hon. G. G. Gilbert (of Kentucky), House of Representatives, 12 février 1907.
  40. Hayes, op. laud.
  41. Sur le contrôle de l’émigration par le gouvernement japonais, cf. pp. 59-60.
  42. Tôkyô Keizai Zasshi, 20 octobre 1906.
  43. Lettre ouverte adressée au comte Hayashi, ministre des Affaires étrangères, par l’Hon. J. Kumpei Matsumoto, légiste, membre du Parlement, un des leaders des Seiyu-Kwai. Publiée par Daï Nippon, revue mensuelle de Tôkyô ; citée par Amer. Rev. of Rev., march 1907.
  44. K. K. Kawakami, North American Review, 21 juin 1907. Les dernières statistiques de l’immigration aux États-Unis (du 1er juillet au 30 juin 1907) renforcent l’argument japonais : les Austro-Hongrois (338 452), les Italiens (285 731), les Russes (258 943), fournissent à eux seuls les deux tiers du total des émigrants.
  45. Matsumoto, op. laud.
  46. En 1901, 367 femmes arrivent pour 4 902 hommes ; en 1902, 1 856 pour 10 414 ; en 1903, 4 059 pour 15 909 ; en 1904, 1 651 pour 12 613 ; en 1905, 1 226 pour 9 106.
  47. Tôbei Zasshi, cité par Shinkoron, avril 1906.
  48. Jogekku Sekai, août 1906. Extrait des Souvenirs des États-Unis par Abe Iso, professeur à l’Université Waseda.
  49. Kawakami, op. laud.
  50. Kawakami, op. laud.
  51. Tôkyô Keizai Zasshi, 20 octobre 1906.
  52. Shinkoron, septembre 1905. Le Littoral occidental des États-Unis est en train de se japoniser, par M. Shinowara Yuho.
  53. Formule qui revient souvent dans les journaux et les revues.
  54. Dans son rapport sur l’immigration en 1906-1907, le commissaire général, M. Sargent constate que 386 000 immigrants sont restés dans l’État de New-York, 230 000 en Pennsylvanie, 85 000 dans le Massachussetts, etc. L’afflux de ces immigrants à New-York, Philadelphie, etc., constitue, selon lui, un « gros danger ». Ils y forment des colonies, réfractaires à l’américanisme.
  55. Hon. Ant. Michalek (of Illinois), House of Représentatives, 18 février 1907.