Angéline Guillou/45

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 142-143).

II


Rien n’a transpiré des colloques intimes entre Jacques et sa fiancée après son retour ; mais l’apparence de bonheur qui se dégageait de la personne d’Angéline n’était pas de nature à porter au pessimisme. Elle croissait toujours en grâce et en beauté, à mesure que le temps donnait à son apparence cette perfection qui ne s’acquiert qu’au plein développement de la femme.

De son côté, l’air presque prospère du nouveau propriétaire de mine d’or n’enlevait rien au charme du vaillant capitaine, qui se préparait, avec une ardeur fébrile, à la poursuite de sa découverte.

Ces deux âmes d’élite, faites l’une pour l’autre, unies par une amitié pure et sincère, devaient-elles jamais boire à la coupe de la douleur ? Issus tous les deux de familles humbles, forts de santé et de courage, élevés dans la crainte de Dieu et munis d’une instruction que bien des fils de famille ne possèdent pas, une brillante fortune en perspective, devaient nécessairement procurer aux futurs époux la paix et le bonheur d’ici-bas.

Le soleil qui éclairait l’avenir de ces bons jeunes amoureux n’empêcha pas celui du bon Dieu de faire son œuvre en fondant la neige des montagnes. Le bruit de la chute, causé par le grossissement de la rivière qui refoulait les glaces dans le golfe, annonçait que le printemps attendu avec impatience était enfin arrivé.

L’activité des pêcheurs témoignait qu’ils n’étaient pas pour perdre le fruit des premières pêches. Déjà les plus entreprenants avaient pris quelques morues, et rien n’indiquait que les marsouins feraient leur apparition.

La population, inquiète cependant, se demandait ce que pouvait bien venir faire sitôt dans la saison, le capitaine Vigneault. Les jeunes consultaient les sages du village ; mais personne ne pouvait résoudre le problème. Le père Doiron qui prétendait lire dans les astres et avait l’habitude de prédire la température était harcelé de questions.

— Vous qui avez coutume d’expliquer les mystères, père Doiron, disait un jour un jeune homme du village, pourriez-vous nous dire ce que vient faire, cette année, le capitaine ? Y a pas plus de marsouins que sur la main et tout semble aller bien.

— Mon petit, j’pouvions « bian » expliquer les petits mystères de la température ; mais j’avions pas la clef de celui-ci.

— « Pensa »-vous qu’il soit venu exprès pour voir sa blonde, père Doiron ?

— J’pensions ce que j’pouvions, mais j’croyons que s’il « étà » venu pour voir sa blonde, il « aurà » attendu le premier bateau ?

— Je l’avions ! Il est venu pour les Français perdus l’automne dernier.

— Va lui demander ; quant à moi, je ne ferai pas comme Archélas, pour me faire répondre qu’il vient de la lune.

— Il en « avâ » eu pour son argent tout de même ; car il a fait un beau tour en aéroplane.

— Le temps seul nous le dira, mon petit ; et, en attendant, tenez-vous tranquilles ; vous serez aussi riches à l’automne.