Angéline Guillou/52

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 155-157).

IX


Dès l’aube, les voyageurs se remettaient en route et, à neuf heures et demie du matin, ils étaient en face de la résidence des Guillou.

Le médecin se hâta de pénétrer auprès de la malade qu’il trouva dans un état très critique. Elle n’avait pas repris connaissance durant les sept jours qui s’étaient écoulés entre le départ du cométique et l’arrivée du médecin.

Le bon curé qui craignait qu’elle ne mourût d’un moment à l’autre, lui avait administré les derniers sacrements par mesure de prudence.

La garde-malade ne l’avait pas quittée un instant, excepté pour faire des visites d’urgence aux malades. Au moyen de la glace qu’elle lui appliquait, elle avait réussi à modérer la fièvre et à lui conserver la vie jusqu’à l’arrivée de l’homme de l’art.

Le médecin lui administra immédiatement des stimulants qui la ranimèrent et resta auprès d’elle jusqu’à ce que tout danger fût disparu.

— Je crois que tout danger est passé, dit-il enfin à la garde-malade et au curé qui étaient dans la chambre avec lui.

— J’ai eu bien peur qu’elle me passât entre les mains, docteur, et il était temps que vous arriviez, car je n’aurais pu tenir plus longtemps.

— Vous avez été bien courageuse et je vous en félicite. Je vous laisse une prescription que vous pourrez remplir au dispensaire, je crois ?

Antoinette examina l’ordonnance puis répondit au médecin :

— J’ai tout ce qu’il me faut, merci.

— Suivez bien mes instructions et, dans deux semaines, il devra se produire un mieux sensible.

Au bout de quelques jours, en effet, la fièvre quitta la malade ; mais sa convalescence fut longue et pénible. Le reste de l’hiver lui suffit à peine pour se remettre sur pied.

Au printemps, elle profita d’une belle journée pour faire une visite à l’église et remercier Dieu de lui avoir conservé une vie, dont elle aurait cependant fait volontiers le sacrifice pour sauver celle de son fiancé.

Ayant perdu son cher fiancé, que lui restait-il pour l’intéresser à la vie ? Son père, déjà courbé sous le poids des années et des épreuves, n’en avait pas pour longtemps à vivre. Quant à ses frères et sœurs ils devaient fatalement essaimer comme toutes les familles. Déjà ses frères étaient mariés et en charge de familles ; mais elle ne se laissa pas aller au découragement. Cette âme bien trempée était faite pour l’épreuve, et Dieu sait si elle en avait sa part, qu’elle acceptait désormais avec courage.

Le curé, qui n’avait pas perdu de vue sa pupille, s’évertua à trouver quelque chose pour la distraire. Il l’aida de ses conseils et lui fit envisager l’avenir avec confiance. Il lui donnait de faibles espérances de revoir Jacques, tout en la préparant à la résignation.

— Ce n’est pas le premier qui se soit égaré dans les forêts du Labrador, disait-il ; quelques-uns en sont revenus, si d’autres y ont laissé leurs os. Comme il faut toujours avoir confiance en la Providence, il vous est encore permis d’espérer sans cependant vous faire illusion.

— Je n’en ai plus, Monsieur le Curé. Je vous remercie de vos bonnes paroles, je suis maintenant résignée.

— Les garde-chasse ne sont pas encore de retour ; peut-être auront-ils des nouvelles à nous communiquer.

— Peut-être ? répondit mélancoliquement Angéline, en poussant un long soupir, mais d’un air qui ne reposait pas sur l’espérance.

Le curé la quitta, la laissant seule avec ses pensées. Les paroles mi-pessimistes, mi-optimistes du curé, la préparaient graduellement au grand sacrifice qu’elle devrait faire éventuellement, quand tout espoir serait perdu.