Anna Rose-Tree/Lettre 101

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Veuve Duchesne (p. 154-156).


CIme LETTRE.

Miſtreſs Mountain,
à Mylady Clemency ;
à Paris.

J’attendois votre Lettre avec bien de l’impatience, ma chère Émilie ; ſa lecture m’a rendu la joie que l’incertitude de votre ſort m’avoit fait perdre. Je n’ai jamais douté que votre Époux ne vous rendît toute la juſtice qui vous eſt due, mais je redoutois la ſenſibilité de votre ame ; jouiſſez, mon Amie, du bonheur que le Ciel vous accorde, ſans vous embarraſſer d’où eſt parti le trait empoiſonné, ni des moyens dont le ſort s’eſt ſervi pour en émouſſer la pointe. Mylord Clemency vous aime, ſa Mère vous eſtime ; le reſte doit vous être égal.

Je n’ai qu’à me féliciter d’avoir lié mon ſort à celui de l’aimable Andrew (ma tendreſſe ne peut lui donner un nom qui lui ſoit plus agréable) : je ſuis heureuſe, Émilie, & mon bonheur eſt aſſuré ; mon Époux a peu de défauts, & je lui découvre tous les jours de nouvelles qualités ; il eſt chéri de tous ceux qui le connoiſſent, ſes actions ont toujours un bienfait pour objet : comment n’adorerois-je pas un mortel auſſi parfait ?

Je ſuis un peu incommodée par les commencemens d’une groſſeſſe qui a répandu l’alégreſſe dans nos deux maiſons ; je dis dans nos deux maiſons, parce que Mylord Stanhope nous regarde comme ſes Enfans, & que nous l’aimons comme un Père. Il a éprouvé un chagrin que nous avons tous partagé. Mylady Stanhope eſt morte, c’eſt une bien bonne Amie de moins pour moi. Mylady Wambrance a perdu ſon Époux ; la bonté de ſon cœur lui a fait donner des larmes à ſa mort, qui briſe une chaîne dont le poids l’accabloit. La voilà libre ; mais elle ne veut pas nous quitter ; c’eſt une augmentation de bonheur pour moi, car ſa ſociété eſt pleine de charmes. J’eſpère, ma chère Amie, que vous reviendrez bientôt en Angleterre ; il me tarde de vous embraſſer, & de vous aſſurer de vive voix de tout mon attachement.

Anna Mountain.

De Break-of-Day, ce … 17