Anna Rose-Tree/Lettre 83

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Veuve Duchesne (p. 100-102).


LXXXIIIme LETTRE.

Sir Edward Stanhope,
à Sir Augstin Buckingham ;
à Dublin.

Tu déſapprouves donc ma conduite dans tous ſes points, mon cher Auguſtin. Le commencement de ta Lettre[1] eſt d’un rigoriſme effrayant, & je crois que ſans les termes d’amitié qui la terminent, j’aurois regretté, non ce que j’ai fait, j’ai trop de raiſons de m’en féliciter, mais de t’en avoir inſtruit. Permets que je te faſſe une queſtion : En quittant une Ville agréable & où tu te plaiſois infiniment, pour aller dans un pays ſauvage, y ſervir de garde-malade à une vieille Parente, quel étoit ton but ? D’hériter d’une immenſe fortune ! Et quel eſt l’uſage que tu prétends en faire ? Ton bonheur, ſans doute, conſidéré en général & en particulier, les actions de tous les Êtres penſans ; elles ne tendent qu’à ce même bonheur, tous font leur poſſible pour y atteindre : j’ai fait comme les autres, & j’ai, par deſſus le plus grand nombre, la gloire d’avoir réuſſi dans mon entrepriſe ; après ce raiſonnement, oſe encore me blâmer. Je me repentirai dans la ſuite, dis-tu, de mon imprudence. Me repentir ! hé ! de quoi ? d’être parfaitement content ? Heureux Époux, heureux Père, heureux Ami de tout ce qui m’entoure ; quel motif pourroit exciter mon repentir ? Tu prétends que j’ai déshonoré ma Famille ; une choſe qu’on ignore peut-elle cauſer le plus petit mal ? Mon juge, Auguſtin, eſt au fond de mon cœur, & il ne me fait pas des reproches auſſi graves que les tiens. Lorſque j’étois lié à Londres avec une douzaine de roués (pardonne ſi je te mets du nombre, & ſur mon ame ce n’eſt pas par récrimination), que je paſſois mon temps à jouer, à boire & à ſéduire toutes les Jeunes-filles qui me plaiſoient, faiſois-je plus d’honneur au nom reſpectable que je portois alors. Je fais le plus grand cas de ton amitié ; mais, je t’en conjure, ne cherche pas à troubler ma félicité. Tous mes jours ſe paſſent ſans aucune inquiétude ſur l’avenir, le préſent me charme, & j’ai preſque oublié le paſſé ; voilà mon ſort, crois-tu que je voudrois le changer ? Non, certes, mon Ami, ma place eſt pour toujours marquée dans les bras de ma chère Peggi ; convaincu qu’il n’en eſt pas de plus agréable, je m’applaudis ſans ceſſe d’y avoir été admis. Sois donc abſolument certain que tes ſermons ne changeroient rien à l’ordre des choſes, tu affligerois ton Ami ſans le convertir. Adieu, Auguſtin, mets la ſévérité de côté, & mon attachement pour toi ſera toujours le même.

Edward Stanhope.

De the Litthe-Hill, ce … 17

  1. Cette Lettre a été retranchée du recueil, comme inutile & peu intéreſſante.