Annales de l’Empire/Édition Garnier/Henri l’Oiseleur

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HENRI L’OISELEUR,
onzième empereur.

919-920. Il est important d’observer que dans ces temps d’anarchie plusieurs bourgades d’Allemagne commencèrent à jouir des droits de la liberté naturelle, à l’exemple des villes d’Italie. Les unes achetèrent ces droits de leurs seigneurs, les autres les avaient soutenus les armes à la main. Les députés de ces villes concoururent, dit-on, avec les évêques et les seigneurs, pour choisir un empereur, et sont, cette fois, au rang des électeurs. Ainsi Henri Ier dit l’Oiseleur, duc de Saxe, est élu par une assemblée qui ressemble aux trois états établis longtemps après en France. Rien n’est plus conforme à la nature que tous ceux qui ont intérêt d’être bien gouvernés concourent à établir le gouvernement.

Ce n’est pas qu’il y eût alors en Allemagne trois états distincts, trois ordres distinctement reconnus. Ces trois ordres, noblesse, clergé, communes, n’existent qu’en France : jamais dans aucun autre pays le clergé n’a fait une nation à part. Les évêques et les abbés comme grands terriens, comme barons, comtes, princes, eurent de la puissance, et prévalurent souvent dans les élections (les empereurs, jusqu’à ce qu’enfin les sept principaux officiers et chapelains de l’empire s’emparèrent du droit exclusif d’élire l’empereur. Il ne faut pas croire qu’il y ait aucune vérité fondamentale dans la science de l’histoire, comme il en est dans les mathématiques.

Depuis 921 jusqu’à 930. Un des droits des rois de Germanie, comme des rois de France, fut toujours de nommer à tous les évêchés vacants.

L’empereur Henri a une courte guerre avec le duc de Bavière, et la termine en lui cédant ce droit de nommer les évêques dans la Bavière.

Il y a dans ces années peu d’événements qui intéressent le sort de la Germanie. Le plus important est l’affaire de la Lorraine. Il était toujours indécis si elle resterait à l’Allemagne ou à la France.

Henri l’Oiseleur soumet toute la haute et basse Lorraine en 925, et l’enlève au duc Giselbert, à qui les rois de France l’avaient donnée. Il la rend ensuite à ce duc, pour le mettre dans la dépendance de la Germanie. Cette Lorraine n’était plus qu’un démembrement du royaume de Lotharinge. C’était le Brabant, c’était une partie du pays de Liége, disputée ensuite par l’évêque de Liége ; c’étaient les terres entre Metz et la Franche-Comté, disputées aussi par l’évêque de Metz. Ce pays revint après à la France ; il en fut ensuite séparé.

Henri fait des lois plus intéressantes que les événements et les révolutions dont se surcharge l’histoire. Il tire de l’anarchie féodale ce qu’on peut en tirer. Les vassaux, les arrière-vassaux, se soumettent à fournir des milices, et des grains pour les faire subsister. Il change en villes les bourgs dépeuplés que les Huns, les Bohêmes, les Moraves, les Normands, avaient dévastés. Il bâtit Brandebourg, Misnie[1], Slesvick. Il y établit des marquis pour garder les marches de l’Allemagne. Il rétablit les abbayes d’Herford et de Corbie[2], ruinées. Il construit quelques villes, comme Gotha, Herford[3], Goslar.

Les anciens Saxons, les Slaves-Abodrites, les Vandales leurs voisins, sont repoussés. Son prédécesseur Conrad s’était soumis à payer un tribut aux Hongrois, et Henri l’Oiseleur le payait encore. Il affranchit l’Allemagne de cette honte.

Depuis 930 jusqu’à 936. On dit que des députés des Hongrois étant venus demander leur tribut, Henri leur donna un chien galeux. C’était une punition des chevaliers allemands, quand ils avaient commis des crimes, de porter un chien l’espace d’une lieue. Cette grossièreté, digne de ces temps-là, n’ôte rien à la grandeur du courage. Il est vrai que les Hongrois viennent faire plus de dégât que le tribut n’eût coûté ; mais enfin ils sont repoussés et vaincus.

Alors il fait fortifier des villes pour tenir en bride les barbares. Il lève le neuvième homme dans quelques provinces, et les met en garnison dans ces villes. Il exerce la noblesse par des joutes et des espèces de tournois : il en fait un, à ce qu’on dit, où près de mille gentilshommes entrent en lice.

Ces tournois avaient été inventés en Italie par les rois lombards, et s’appelaient battagliole.

Ayant pourvu à la défense de l’Allemagne, il veut enfin passer en Italie, à l’exemple de ses prédécesseurs, pour avoir la couronne impériale.

Les troubles et les scandales de Rome étaient augmentés. Marozie, fille de Théodora, avait placé sur la chaire de saint Pierre le jeune Jean XI, né de son adultère avec Sergius III, et gouvernait l’Église sous le nom de son fils. Les vicaires de Jésus étaient alors les plus scandaleux et les plus impies de tous les hommes ; mais l’ignorance des peuples était si profonde, leur imbécillité si grande, leur superstition si enracinée, qu’on respectait toujours la place quand la personne était en horreur. Quelques tyrans qui accablassent l’Italie, les Allemands étaient ce que Rome haïssait le plus.

Henri l’Oiseleur, comptant sur ses forces, crut profiter de ces troubles ; mais il mourut en chemin dans la Thuringe, en 936. On ne l’a appelé empereur que parce qu’il avait eu envie de l’être, et l’usage de le nommer ainsi a prévalu.


  1. Ou Meissen, capitale du margraviat de Misnie.
  2. Ou Corwei, Corbeia nova ; ou Vestphalie, ainsi que l’abbaye d’Herford, Hercordia. (Cl.)
  3. Erfurth, ville située à quelques lieues de Gotha, et capitale de la Thuringe ; voyez année 1164.