Annales de l’Empire/Édition Garnier/Maximilien II

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MAXIMILIEN II,
quarantième-troisième empereur.

1564. L’empire, comme on le voit, était devenu héréditaire sans cesser d’être électif. Les empereurs, depuis Charles-Quint, ne passaient plus les Alpes pour aller chercher une couronne de fer et une couronne d’or. La puissance prépondérante en Italie était Philippe II, qui, vassal à la fois de l’empire et du saint-siége, dominait dans l’Italie et dans Rome par sa politique, et par les richesses du nouveau monde, dont son père n’avait eu que les prémices, et dont il recueillait la moisson.

L’empire, sous Maximilien II comme sous Ferdinand Ier, était donc en effet l’Allemagne suzeraine de la Lombardie ; mais cette Lombardie, étant entre les mains de Philippe II , appartenait plutôt à un allié qu’à un vassal. La Hongrie devenait le domaine de la maison d’Autriche, domaine qu’elle disputait sans cesse contre les Turcs, et qui était l’avant-mur de l’Allemagne.

Maximilien, dès la première année de son règne, est obligé, comme son père et son aïeul, de soutenir la guerre contre les armées de Soliman.

Ce sultan, qui avait lassé les généraux de Charles-Quint et de Ferdinand, fait encore la guerre par ses lieutenants dans les dernières années de sa vie. La Transylvanie en était le prétexte ; il y voulait toujours nommer un vayvode tributaire, et Jean Sigismond, fils de cette reine de Hongrie qui avait cédé ses droits pour quelques villes en Silésie, était revenu mettre son héritage sous la protection du sultan, aimant mieux être souverain tributaire des Turcs que simple seigneur. La guerre se faisait donc en Hongrie. Les généraux de Maximilien prennent Tokai, au mois de janvier. L’électeur de Saxe, Auguste, était le seul prince qui secourût l’empereur dans cette guerre. Les princes catholiques et protestants songeaient tous à s’affermir. La religion occupait plus alors les peuples qu’elle ne les divisait. La plupart des catholiques, en Bavière, en Autriche, en Hongrie, en Bohême, en acceptant le concile de Trente, voulaient seulement qu’on leur permît de communier avec du pain et du vin. Les prêtres, à qui l’usage avait permis de se marier avant la clôture du concile de Trente, demandaient à garder leurs femmes. Maximilien II demande au pape ces deux points : Pie IV, à qui le concile avait abandonné la décision du calice, le permet aux laïques allemands, et refuse les femmes aux prêtres ; mais ensuite on a ôté le calice aux séculiers.

1565. On fait une trêve avec les Turcs qui restent toujours maîtres de Bude ; et le prince de Transylvanie demeure sous leur protection.

Soliman envoie le bâcha Mustapha assiéger Malte. Rien n’est plus connu que ce siége, où la fortune de Soliman échoua.

1566. Malgré l’affaiblissement du pouvoir impérial depuis le traité de Passau, l’autorité législative résidait toujours dans l’empereur, et cette autorité était en vigueur quand il n’avait pas affaire à des princes trop puissants.

Maximilien II déploie cette autorité contre le duc de Mecklenbourg Jean-Albert, et son frère Ulric. Ils prétendaient tous deux les mêmes droits sur la ville de Rostock. Les habitants prouvaient qu’ils étaient exempts de ces droits. Les deux frères se faisaient la guerre entre eux, et s’accordaient seulement à dépouiller les citoyens.

L’empereur a le crédit de terminer cette petite guerre civile par une commission impériale qui achève de ruiner la ville.

La flotte de Soliman prend la ville de Chio sur les Vénitiens. Maximilien en prend occasion de demander, dans la diète d’Augsbourg, plus de secours qu’on n’en avait accordé à Charles-Quint lorsque Soliman était devant Vienne. La diète ordonne une levée de soldats, et accorde des mois romains[1] pour trois ans ; ce qu’on n’avait point fait encore.

Soliman, qui touchait à sa fin, n’en faisait pas moins la guerre. Il se fait porter à la tête de cent mille hommes, et vient assiéger la ville de Zigeth. Il meurt devant cette place[2] ; ses janissaires y entrent le sabre à la main, deux jours après sa mort.

Le comte de Serin[3] qui commandait dans Zigeth, est tué en se défendant, après avoir mis lui-même la ville en flammes. Le grand-vizir envoie la tête de Serin à Maximilien, et lui fait dire que lui-même aurait dû hasarder la sienne pour venir défendre sa ville, puisqu’il était à la tête de près de cent vingt mille hommes.

L’armée de Maximilien, la mort de Soliman, et l’approche de l’hiver, servent au moins à arrêter les progrès des Turcs.

Les états de l’Autriche et de la Bohême profitent du mauvais succès de la campagne de l’empereur pour lui demander le libre exercice de la confession d’Augsbourg.

Les troubles des Pays-Bas commençaient en même temps, et tout était déjà en feu en France au sujet du calvinisme ; mais Maximilien fut plus heureux que Philippe II et que le roi de France. Il refusa la liberté de conscience à ses sujets ; et son armée, qui avait peu servi contre les Turcs, mit chez lui la tranquillité.

1567. Cette année fut le comble des malheurs pour l’ancienne branche de la maison électorale de Saxe, dépouillée de son électorat par Charles-Quint.

L’éleclorat donné, comme on a vu[4], à la branche cadette, devait être l’objet des regrets de l’aînée. Un gentilhomme nommé Groumbach, proscrit avec plusieurs de ses complices pour quelques crimes, s’était retiré à Gotha, chez Jean-Frédéric, fils de ce Jean-Frédéric[5] à qui la bataille de Muhlberg avait fait perdre le duché et l’électorat de Saxe.

Groumbach avait principalement en vue de se venger de l’électeur de Saxe Auguste, chargé de faire exécuter contre lui l’arrêt de sa proscription. Il était associé avec plusieurs brigands qui avaient vécu avec lui de rapines et de pillage. Il forme avec eux une conspiration pour assassiner l’électeur[6]. Un des conjurés, pris à Dresde, avoua le complot. L’électeur Auguste, avec une commission de l’empereur, fait marcher ses troupes à Gotha. Groumbach, que le duc de Gotha soutenait, était dans la ville avec plusieurs soldats déterminés, attachés à sa fortune. Les troupes du duc et les bourgeois défendirent la ville ; mais enfin il fallut se rendre. Le duc Jean-Frédéric, aussi malheureux que son père, est arrêté, conduit à Vienne dans une charrette avec un bonnet de paille attaché sur sa tête, ensuite à Naples ; et ses États sont donnés à Jean-Guillaume son frère. Pour Groumbach et ses complices, ils furent tous exécutés à mort.

1568. Les troubles des Pays-Bas augmentaient. Le prince d’Orange, Guillaume le Taciturne, déjà chef de parti, qui fonda la république des Provinces-Unies, s’adresse à l’empereur, connue au premier souverain des Pays-Bas, toujours regardés comme appartenants à l’empire : et en effet l’empereur envoie en Espagne son frère Charles d’Autriche, archiduc de Gratz, pour adoucir l’esprit de Philippe II ; mais il ne put ni fléchir le roi d’Espagne, ni empêcher que la plupart des princes protestants d’Allemagne n’envoyassent du secours au prince d’Orange.

Le duc d’Albe, gouverneur sanguinaire des Pays-Bas, presse l’empereur de lui livrer le prince d’Orange, qui alors levait des troupes en Allemagne, Maximilien répond que, l’empire ayant la juridiction suprême sur les Pays-Bas, c’est à la diète impériale qu’il faut s’adresser. Une telle réponse montre assez que le prince d’Orange n’était pas un homme qu’on pût arrêter.

L’empereur laisse le prince d’Orange faire la guerre dans les Pays-Bas, à la tête des troupes allemandes contre d’autres troupes allemandes, sans se mêler de la querelle. Il était pourtant naturel qu’il assistât Philippe II, son cousin, dans cette affaire importante, d’autant plus que cette année-là même il fit la paix avec Sélim II, successeur du grand Soliman. Délivré du Turc, il semblait que son intérêt fût d’affermir la religion catholique ; mais apparemment qu’après cette paix on ne lui payait plus de mois romains.

Loin d’aider le roi d’Espagne à soumettre ses sujets des Pays-Bas, qui demandaient la liberté de conscience, il parut désapprouver la conduite de Philippe, en accordant bientôt dans l’Autriche la permission de suivre la confession d’Augsbourg. Il promit après au pape de révoquer cette permission. Tout cela découvre un gouvernement gêné, faible, inconstant. On eût dit que Maximilien craignait la puissance des ennemis de sa communion, et en effet toute la maison de Brandebourg était protestante. Un fils de l’électeur Jean-George, élu archevêque de Magdebourg, professait publiquement le protestantisme ; un évêque de Verden en faisait autant ; le duc de Brunsvick, Jules, embrassait cette religion qui était déjà celle de ses sujets ; l’électeur palatin et presque tout son pays était calviniste. Le catholicisme ne subsistait plus guère en Allemagne que chez les électeurs ecclésiastiques, dans les États des évêques et des abbés, dans quelques commanderies de l’ordre teutonique, dans les domaines héréditaires de la maison d’Autriche et dans la Bavière, et encore y avait-il beaucoup de protestants dans tous ces pays ; ils faisaient même en Bohême le plus grand nombre. Tout cela autorisait la liberté que Maximilien donnait en Autriche à la religion protestante ; mais une autre raison plus forte s’y joignait : c’est que les états d’Autriche avaient promis à ce prix des subsides considérables. Tout se faisait pour de l’argent dans l’empire, qui dans ce temps-là n’en avait guère.

1569. Au milieu de tant de guerres de religion et de politique, voici une dispute de vanité. Le duc de Florence Cosme II[7], et le duc de Ferrare Alfonse, se disputaient la préséance. Les rangs étaient réglés dans les diètes en Allemagne ; mais en Italie il n’y avait point de diète, et ces querelles de rang étaient indécises. Les deux ducs tenaient tous deux à l’empereur. François, prince héréditaire de Florence, et le duc de Ferrare, avaient épousé les sœurs de Maximilien. Les deux ducs remettent leur différend à son arbitrage. Mais le pape Pie V, qui regardait le duc de Ferrare comme son feudataire, le duc de Florence comme son allié, et toutes les dignités de ce monde comme des concessions du saint-siége, se hâte de donner un titre nouveau à Cosme : il lui confère la dignité de grand-duc avec beaucoup de cérémonie ; comme si le mot de grand ajoutait quelque chose à la puissance. Maximilien est irrité que le pape s’arroge le droit de donner des titres aux feudataires de l’empire, et de prévenir son jugement. Le duc de Florence prétend qu’il n’est point feudataire. Le pape soutient qu’il a non-seulement la prérogative de faire des grands-ducs, mais des rois. La dispute s’aigrit ; mais enfin le grand-duc, qui était très-riche, fut reconnu par l’empereur.

1570. Diète de Spire, dans laquelle on rend presque tous les États de la branche aînée de la maison de Saxe à un frère du malheureux duc de Gotha, qui reste confiné à Naples. On y conclut une paix entre l’empereur et Jean-Sigismond, prince de Transylvanie, qui est reconnu souverain de cette province, et renonce au titre de roi de Hongrie, titre d’ailleurs très-vain puisque l’empereur avait une partie de ce royaume, et les Turcs l’autre.

1571. On y termine de très-grands différends qui avaient longtemps troublé le Nord au sujet de la Livonie. La Suède, le Danemark, la Pologne, la Russie, s’étaient disputé cette province que l’on regardait encore en Allemagne comme province de l’empire. Le roi de Suède Sigismond[8] cède à Maximilien ce qu’il a dans la Livonie. Le reste est mis sous la protection du Danemark ; on convient d’empêcher que les Moscovites ne s’en emparent. La ville de Lubeck est comprise dans cette paix, comme partie principale. Tous les priviléges de son commerce sont confirmés avec la Suède et le Danemark. Elle était encore puissante.

Les Vénitiens, à qui les Turcs enlevaient toujours quelque possession, avaient fait une ligue avec le pape et le roi d’Espagne. L’empereur refusait d’y entrer, dans la crainte d’attirer encore en Hongrie les forces de l’empire ottoman. Philippe II n’y entrait que pour la forme.

Le gouverneur du Milanais leva des troupes ; mais ce fut pour envahir le marquisat de Final appartenant à la maison de Caretto. Les Génois avaient des vues sur ce coin de terre, et inquiétaient le possesseur. La France pouvait les aider. Le marquis de Caretto était à Vienne où il demandait justice en qualité de vassal de l’empire ; et pendant ce temps-là Philippe II s’emparait de son pays, et trouvait aisément le moyen d’avoir raison dans le conseil de l’empereur.

1572. Après la mort de Sigismond II, roi de Pologne, dernier roi de la race des Jagellons, Maximilien brigue sous main ce trône, et se flatte que la république de Pologne le lui offrira par une ambassade.

La république croit que son trône vaut bien la peine d’être demandé : elle n’envoie point d’ambassade, et les brigues secrètes de Maximilien sont inutiles.

1573. Le duc d’Anjou[9], l’un de ses compétiteurs, est élu, le 1er mai, au grand mécontentement des princes protestants d’Allemagne, qui virent passer chez eux avec horreur ce prince teint du sang répandu à la journée de la Saint-Barthélemy.

1574. Le prince d’Orange, qui se soutenait dans les Pays-Bas, par sa valeur et par son crédit, contre toute la puissance de Philippe II, tient à Dordrecht une assemblée de tous les seigneurs et de tous les députés des villes de son parti. Maximilien y envoie un commissaire impérial pour soutenir en apparence la majesté de l’empire, et pour ménager un accommodement entre Philippe et les confédérés.

1575. Maximilien II fait élire son fils aîné, Rodolphe, roi des Romains, dans la diète de Ratisbonne. La possession du trône impérial dans la maison d’Autriche devenait nécessaire par le long usage, par la crainte des Turcs, et par la convenance d’avoir un chef capable de soutenir par lui-même la dignité impériale.

Les princes de l’empire n’en jouissaient pas moins de leurs droits. L’électeur palatin fournissait des troupes aux calvinistes de France, et d’autres princes en fournissaient toujours aux calvinistes des Pays-Bas.

Le duc d’Anjou, roi de Pologne, devenu roi de France par la mort de Charles IX, ayant quitté la Pologne comme on se sauve d’une prison, et le trône ayant été déclaré vacant, Maximilien a enfin le crédit de se faire élire roi de Pologne le 15 décembre.

Mais une faction opposée fait un sanglant affront à Maximilien. Elle proclame Étienne Battori, vayvode de Transylvanie, vassal du sultan, et qui n’était regardé à la cour de Vienne que comme un rebelle et un usurpateur. Les Polonais lui font épouser la sœur de Sigismond-Auguste[10], reste du sang des Jagellons.

Le czar ou tzar de Russie, Jean[11], offre d’appuyer le parti de Maximilien, espérant qu’il pourra regagner la Livonie. La cour de Moscou, toute grossière qu’elle était alors, avait déjà les mêmes vues qui se sont manifestées de nos jours avec tant d’éclat,

La Porte Ottomane, de son côté, menaçait de prendre le parti d’Étienne Battori contre l’empereur. C’était encore la même politique qu’aujourd’hui.

Maximilien essayait d’engager tout l’empire dans sa querelle ; mais les protestants, au lieu de l’aider à devenir plus puissant, se contentèrent de demander la libre profession de la confession d’Augsbourg pour la noblesse protestante qui habitait les pays ecclésiastiques.

1576. Maximilien, très-incertain de pouvoir soutenir son élection à la couronne de Pologne, meurt à l’âge de quarante-neuf ans, le 12 d’octobre.


  1. Lorsque les empereurs allaient se faire couronner à Rome, ils exigeaient des sujets de l’empire les frais de la dépense de leur voyage ; cette dépense se comptait par mois. On assimila à cette dépense extraordinaire les impôts extraordinaires qu’on accorda pour d’autres motifs à l’empereur, et qu’on appela mois romains. Un mois romain se composait de 12,795 fantassins et 2,681 cavaliers, ou, en argent, de 83,964 gouldes d’empire. Le goulde d’empire valait 2 francs 50 centimes. En 1598, on accorda à Rodolphe II vingt mois romains pendant trois ans ; en 1603, on lui en promit quatre-vingts. (B.)
  2. Le 8 septembre, à l’âge de soixante-douze ans, dans la quarante-sixième année de son règne.
  3. Nicolas, comte de Serin (Zrini), est le bisaïeul de celui que Voltaire nomme Serini, et qui périt sur l’échafaud en 1671. Voyez plus loin, le règne de Léopold.
  4. Année 1547.
  5. L’électeur, dépossédé en 1547, s’appelait Jean-Frédéric-Henri ; voyez page 519.
  6. Voltaire, par égard pour la duchesse de Saxe-Gotha, ne dit pas que Jean-Frédéric avait approuvé le projet. (G. A.)
  7. Lisez : « Cosme Ier » ; né en 1519, mort le 21 avril 1574. Cosme II ne naquit qu’en 1590. (Cl.)
  8. C’était Jean III qui régnait alors. Son fils Sigismond ne lui succéda qu’en 1592 sur le trône de Suède. Le traité dont il s’agit fut arrêté en novembre 1570. (Cl.)
  9. Depuis roi de France, sous le nom de Henri III ; voyez tome XII, page 526.
  10. Appelé Sigismond II, à l’année 1572.
  11. Plus connu maintenant sous le nom d’Iwan IV.