Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 10/Analise indéterminée, article 1

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ANALISE INDÉTERMINÉE.

Extension du problème de Fermat, sur les doubles égalités ;

Par M. L. M. P. Coste, lieutenant au corps royal
d’artillerie, ancien élève de l’école polytechnique.
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Lorsqu’ayant une fonction algébrique rationnelle d’une ou de plusieurs variables, on demande de trouver des valeurs numériques rationnelles de ces variables dont la substitution dans la fonction la fasse devenir soit une puissance parfaite d’un degré donné, soit un nombre figure d’un ordre donné, soit, plus généralement, un nombre d’une forme assignée quelconque, cela s’appelle, dans le langage de l’analise indéterminée, résoudre une égalité simple.

Mais, lorsqu’ayant plusieurs fonctions algébriques rationnelles des mêmes variables, on se propose de trouver un système de valeurs rationnelles de ces variables qui fasse devenir chacune de ces fonctions un nombre d’une forme déterminée, cela s’appelle résoudre une double égalité, une triple égalité, etc., suivant le nombre des conditions auxquelles il s’agit de satisfaire, ou, ce qui revient au même, suivant le nombre des fonctions proposées.

Qu’on demande, par exemple, une valeur qui, mise à la place de l’indéterminée dans les fonctions

les fasse devenir, toutes deux, des nombres triangulaires ; on proposera un problème dépendant des doubles égalités ; et comme, en faisant , ces fonctions deviennent respectivement

on dira que le nombre est un de ceux qui résolvent le problème.

Ces sortes de questions ont été un des objets des nombreux travaux de Fermat sur l’analise indéterminée ; mais vu l’extrême difficulté de la matière, cet illustre géomètre s’est borné au cas où il s’agit de rendre les fonctions proposées des quarrés parfaits ; et encore n’a-t-il considéré que des fonctions entières d’une variable unique, n’excédant pas le second ou tout au plus le quatrième degré. Nous ne nous proposons point ici d’étendre ses méthodes à des fonctions plus nombreuses, ou d’une forme plus compliquée ; mais nous voulons faire voir que le cas où l’on exige que deux fonctions algébriques entières d’une seule variable deviennent, par une détermination convenable de cette variable, deux nombres polygones d’une même espèce donnée quelconque, ou même des nombres d’une forme un peu plus générale, et comprenant ceux-là, comme cas particuliers, se ramène très-facilement au cas où les deux fonctions proposées doivent-être des quarrés.

1. Soient, en premier lieu, les deux fonctions du second degré

dont les derniers termes sont déjà des nombres triangulaires, dont les racines respectives sont et , puisque

et proposons-nous de faire devenir ces fonctions elles-mêmes des nombres triangulaires, par une même valeur de z, différente de zéro. Pour y parvenir, nous représenterons les racines respectives des deux nombres cherchés par

et, en exprimant que les deux conditions du problème sont satisfaites, nous aurons les deux équations

En chassant les dénominateurs, développant, réduisant et divisant par ces deux équations deviendront

équations d’où on tire

et, comme il faut que et soient rationnels, on voit que tout se réduit, ainsi que nous l’avions annoncé, à trouver une valeur de qui rende à la fois des quarrés les deux fonctions

Ces fonctions deviennent toutes deux des quarrés, savoir ; et en faisant on trouve alors

ou

et les racines des nombres triangulaires deviennent ainsi

ou bien

ce qui donne, pour les nombres triangulaires eux-mêmes

c’est, en effet, à quoi se réduisent les fonctions proposées lorsqu’on y fait .

Si, au lieu de résoudre les deux équations par rapport à et à on les résout par rapport à il viendra

d’où

relation qui devra constamment exister entre les indéterminées quelque valeur qu’on leur assigne d’ailleurs.

Cette équation de relation, par l’application des méthodes connues, pourra donc servir à trouver une infinité de systèmes de valeurs rationnelles de et desquelles on pourra conclure les valeurs correspondantes de Celles d’entre ces valeurs qui rendront et entiers résoudront le problème ; car elles rendront également entiers les nombres et racines des nombres triangulaires auxquels se réduiront les deux polynômes proposés, par la substitution de la valeur de

2. Soient, en second lieu, les deux fonctions

ayant, l’une et l’autre, pour coefficient de leur premier terme, le double d’un quarré ; et proposons-nous encore de trouver une valeur de qui les fasse devenir toutes deux des nombres triangulaires. Ici, nous pourrons supposer que les racines de ces nombres sont respectivement de la forme

ce qui donnera les équations de condition

lesquelles deviendront, en chassant les dénominateurs, transposant et réduisant,

d’où

tout se réduit donc ici, comme tout-à-l’heure, à trouver une valeur de qui rende à la fois des quarrés les deux fonctions

On trouve, par exemple, qu’on remplit ce but en posant  ; il an résulte

ou bien

ce qui donne, pour les racines des nombres triangulaires demandés

ou bien

et conséquemment, pour ces nombres, eux-mêmes

c’est, en effet, ce que deviennent respectivement nos deux fonctions, lorsqu’on y suppose

Si, au lieu de résoudre nos deux équations par rapport à et on les résout par rapport à il viendra

d’où

équation de relation qui fera connaître tant de systèmes de valeurs rationnelles de et conséquemment tant de valeurs de qu’on voudra.

3. S’il arrivait à la fois que, dans l’une et l’autre des deux fonctions proposées, le coefficient du premier terme fût le double d’un quarré, et le dernier terme un nombre triangulaire, on pourrait indistinctement employer l’une ou l’autre des deux méthodes dont nous venons de donner des exemples, et l’on réduirait toujours la question à trouver un nombre qui, substitué à la place de la variable, dans deux fonctions proposées, les fit devenir des quarrés.

4. Si les doubles des deux fonctions proposées étaient, l’un et l’autre, décomposables en deux facteurs ne différant que d’une unité, il est évident que, quelque valeur encore qu’on attribuât à la variable, ces deux fonctions demeureraient toujours des nombres triangulaires.

5. Les deux fonctions, toujours décomposables en deux facteurs, ne se trouvant pas dans le cas dont il vient d’être question, on peut quelquefois, d’une manière fort simple, obtenir une solution et même plusieurs solutions du problème. Soient, par exemple, les deux fonctions

on écrira les équations

À cause des doubles signes des seconds membres, les équations de chaque colonne équivalent à quatre ; en les résolvant successivement, on trouve

les valeurs et communes aux deux colonnes résolvent évidemment le problème. En faisant, en effet, les deux fonctions deviennent

et en faisant elles deviennent

mais la dernière valeur, comme fractionnaire, doit être rejetée.

À cause du facteur qui affecte la seconde fonction elle peut encore être décomposée de cette autre manière

ce qui fournira les nouvelles équations

mais aucune de ces valeurs ne coïncidant avec celles qui répondent à la première fonction, il en résulte que cet autre mode de décomposition ne donne lieu à aucune solution nouvelle.

6. Ce dernier procédé peut être généralisé ainsi qu’il suit. On peut écrire

et ensuite

d’où on tire

il s’agira donc de trouver, pour et des valeurs telles qu’il en résulte pour une même valeur entière telle que et soient respectivement divisibles par et On remplit, en particulier, ces conditions, en posant il en résulte et

Tous les autres systèmes de valeurs de et qui peuvent résoudre le problème sont renfermés dans l’équation indéterminée

Si, au lieu de résoudre les deux équations par rapport à on les résout par rapport à et il viendra

et, comme et doivent être rationnels, il s’agira de trouver une valeur de qui rende à la fois des quarrés les deux fonctions

C’est ce qui arrive, par exemple, en posant ce qui fait devenir ces deux fonctions

il en résulte

7. Supposons enfin que les derniers termes des deux fonctions ne soient pas des nombres figurés, que leurs premiers termes n’aient pas pour coefficiens les doubles de deux quarrés, et qu’en outre ces fonctions ne soient pas décomposables en facteurs rationnels, et soient, pour exemple, ces deux fonctions

qui sont dans ce cas. Si, par quelque moyen que ce soit, on connaît déjà une solution du problème, rien ne sera plus facile, au moyen de cette solution, que de le ramener au premier des cas précédens.

Dans le cas actuel, par exemple, on résout le problème en posant puisqu’alors les deux fonctions deviennent

or, en posant et substituant, elles deviennent

fonctions qui se rapportent au premier cas. On supposera donc, comme alors, que les racines des deux nombres triangulaires cherchés sont

cela donnera les équations

lesquelles donneront, toutes réductions faites,

ou, en remettant pour sa valeur

d’où

et, comme et doivent être rationnels, on voit que le problème est ramené à trouver une valeur de qui fasse devenir des quarrés les deux fonctions

8. Ainsi, en résumé, lorsqu’il n’y a que deux fonctions données seulement, que ces fonctions ne renferment qu’une seule variable, qu’elles sont rationnelles et entières, et qu’enfin elles n’excèdent pas le second degré, nous savons résoudre le problème, 1.o lorsque les derniers termes de nos deux fonctions sont des nombres triangulaires ; 2.o lorsque les coefficiens de leurs premiers termes sont les doubles de deux quarrés ; 3.o lorsque chacune de ces fonctions est décomposable en deux facteurs rationnels du premier degré ; 4.o enfin, lorsque nous connaissons déjà une solution du problème ; et l’un voit de plus que, dans tous les cas, ce problème se ramène toujours à trouver une valeur de la variable qui rende à la fois quarrées deux fonctions rationnelles et entières du second degré de cette variable.

9. Il ne nous reste plus présentement qu’à généraliser nos méthodes et nos formules ; mais, au lieu de supposer qu’il s’agit de nombres triangulaires, nous supposerons qu’il s’agit de nombres de la forme

et sont deux nombres donnés, formule qui renferme les nombres polygones et beaucoup d’autres, et dont, par analogie, sera dit la racine.

10. Soient, en premier lieu, les deux formules

qu’il faille faire venir des nombres de cette forme, par une détermination convenable de Posons, pour leurs racines,

nous aurons les équations de condition

lesquelles donneront, en chassant les dénominateurs, réduisant et divisant par

d’où, on tire

et, comme et doivent être rationnels, la question sera réduite à trouver une valeur de qui rende à la fois quarrées les deux fonctions

Si, au lieu de résoudre les deux équations par rapport à et on les résout par rapport à il viendra

d’où

équation indéterminée qui renferme tous les systèmes de valeurs de et qui peuvent résoudre le problème,

11. Soient, en second lieu, les deux fonctions

qu’il faille rendre de la forme

par une détermination convenable de En posant, pour les racines respectives,

nous aurons les équations de condition

ou, en chassant les dénominateurs et réduisant,

d’où on tire

puis donc que doivent être rationnels, il s’ensuit que la question se trouve réduite à trouver une valeur de qui rende à la fois des quarrés les deux fonctions

Si, au lieu de résoudre les deux équations par rapport à et on les résout par rapport à il viendra

d’où

équation indéterminée qui renferme tous les systèmes de valeurs de et qui peuvent résoudre le problème.

12. Soient, en troisième lieu, les deux fonctions

qu’il faille rendre de la forme

par une détermination convenable de en remarquant d’une part que ces deux fonctions sont la même chose que

et que d’une autre est le produit des deux facteurs, et tels que le premier moins fois le second est égal à nous pourrons poser les deux conditions

lesquelles reviennent à

et donnent

et, comme et doivent être rationnels, il s’ensuit que tout se réduit à trouver une valeur de qui rende des quarrés les deux fonctions

Si, au lieu de résoudre les deux équations par rapport à et on les résout par rapport à on aura

et par suite

équation indéterminée qui renferme tous les systèmes de valeurs de et qui peuvent résoudre le problème.

13. Soient enfin les deux fonctions

qu’il faille rendre de la forme

par une détermination convenable de  ; et supposons que l’on connaisse uniquement une valeur remplissant cette condition, de telle sorte qu’on ait

en posant substituant et ayant égard a ces relations, il viendra

opérant donc comme nous l’avons fait dans le n.o 10, la question se trouvera réduite à trouver une valeur de qui rende quarrées les deux fonctions

remettant alors pour sa valeur et pour

leurs valeurs respectives,

la question se trouvera ultérieurement réduite à trouver une valeur de qui rende quarrées les deux fonctions

14. Ainsi, en supposant toujours les fonctions rationnelles et entières à une seule variable, et n’excédant pas le second degré, nous savons trouver les valeurs de la variable qui rendent les deux fonctions de la forme

1.o lorsqu’elles ont, l’une et l’autre, leur dernier terme de cette forme ; 2.o lorsque le coefficient du premier terme de l’une et de l’autre est également le double d’un quarré multiplié par  ; 3.o lorsque les deux fonctions sont décomposables en deux facteurs rationnels du premier degré ; 4.o enfin, lorsque l’on connaît déjà une valeur de la variable qui résout le problème.

15. Dans tous ces divers cas, le problème se trouve toujours ramené à trouver une valeur de la variable qui rende quarrées deux nouvelles fonctions de cette variable, lesquelles sont, comme les premières, des fonctions rationnelles et entières du second degré seulement ; et, ce qui est digne de remarque, c’est que ces nouvelles fonctions sont constamment les produits des premières par auxquels on a ajouté Ainsi, par exemple, dans le cas des nombres triangulaires, où l’on a ces nouvelles fonctions surpassent d’une unité les produits des premières par comme on le voit par les exemples numériques que nous avons d’abord donnés.

16. C’est là, au surplus, un fait qui pouvait être prévu, et dont il est très-aisé de se rendre raison. Soit, en effet, une fonction quelconque de si elle est de la forme dont il s’agit, on pourra poser

étant une nouvelle fonction de or, de là, on tire

d’où l’on voit qu’alors est nécessairement un quarré.

17. Et réciproquement, si est un quarré ; si, par exemple, on a

on en tirera

posant alors ce qui est permis et donne il viendra, en substituant et réduisant,

c’est-à-dire, qu’alors se trouvera de la forme demandée.

18. Ces considérations, fort simples d’ailleurs, nous permettent d’étendre notre théorie à un nombre quelconque de fonctions quelconques, renfermant un nombre quelconque de variables. Soient, par exemple,

et supposons qu’on demande un système de valeurs de qui, substituées dans les fonctions de la première colonne, les fassent devenir des nombres de la forme de ceux qui leur correspondent dans la seconde ; on voit que tout se réduira à trouver un système de valeurs de dont la substitution fasse devenir des quarrés toutes les fonctions

problème que malheureusement on sait ne résoudre que dans des eau très-limités. On voit, au surplus, que, si les premières fonctions sont rationnelles et entières, les dernières le seront également, et du même degré qu’elles.

19. Soient, par exemple, les trois fonctions

et supposons qu’on demande un système de valeurs de et qui rende la première un nombre triangulaire, la seconde un nombre quarré, et la troisième un nombre pentagone ; comme ces trois sortes de nombres sont respectivement des trois formes

tout se réduira à trouver un système de valeur de et qui rende quarrées les trois fonctions

et, comme on y parvient en posant qui les font respectivement devenir il s’ensuit que ces valeurs de et résolvent la question proposée. Leur substitution dans nos trois fonctions donne, en effet, nombres de la forme demandée.

20. Ceci peut donner des ouvertures pour traiter d’autres questions du même genre, mais d’un ordre plus élevé[1].

  1. En nous adressant le présent mémoire, M. Coste nous prie de relever une inexactitude qu’il a commise à la page 262 du VIII.e volume de ce recueil, laquelle consiste à avoir attribué à Pascal la découverte de la propriété de l’hexagone circonscrit à une section conique, qui est réellement due à M. Brianchon. Pascal n’a découvert que la propriété de l’hexagone inscrit. À la vérité, il est aujourd’hui très-aisé de passer de chacun de ces deux théorèmes à l’autre, mais, au temps de Pascal, où, la théorie des pôles n’était pas connue, ce n’était point une chose aussi facile qu’elle peut le paraître présentement.
    J. D. G.