Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Géométrie appliquée, article 1

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GÉOMÉTRIE APPLIQUÉE.

Sur le tracé des voûtes en anses de paniers ;

Par un Abonné,
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Au Rédacteur des Annales ;
Monsieur,

On vient de construire un pont qui traverse le Taro, sur la route de Parme à Plaisance. Il est composé de arches en anses de paniers à centres, égales et de niveau, de mètres de diamètre et mètres de montée chacune. Les piles ont mètres d’épaisseur ; de sorte qu’il a, y compris les culées, plus de mètres de longueur ; et c’est peut-être le plus long qui existe en maçonnerie en Europe. Quoique ce pont me semble très-beau, il n’a cependant pas été exempt de critiques. L’une de ces critiques s’est portée sur le tracé des arches : on a prétendu qu’elles manquent de grâce. Sans décider si ce reproche est fondé ou non, il me semble que, pour l’apprécier équitablement, il faudrait d’abord se former le type d’une arche parfaite, ce qui n’a point encore été fait que je sache, et comparer ensuite l’arche donnée à ce type.

Je crois que le terme de comparaison, le type ou l’arche modèle devrait remplir les conditions suivantes ; savoir : 1.o que les deux demi-anses soient parfaitement égales ; 2.o que les naissances soient de niveau et perpendiculaires au diamètre ; 3.o que chaque demi-anse soit une courbe continue, dont la courbure soit uniformément diminuée, de la naissance à la clé, c’est-à-dire, de telle sorte qu’en prenant sur la courbe deux portions quelconques de même amplitude et qu’on leur mène des normales par leurs extrémités, ces normales et les arcs qu’elles intercepteront forment des secteurs semblables[1].

Les deux premières conditions sont généralement observées. Quant à la troisième, il n’y a que la spirale logarithmique qui puisse y satisfaire ; cette courbe a seule la propriété de donner des secteurs semblables pour des arcs de même amplitude ; c’est-à-dire, pour des arcs dont les normales extrêmes font entre elles des angles égaux. La demi-anse de panier qui pourrait servir de type serait donc un arc de spirale logarithmique dont l’amplitude serait de  ; c’est-à-dire, dont les normales, menées par ses extrémités, seraient perpendiculaires entre elles, et formeraient, l’une la demi-base et l’autre la montée de l’anse de panier.

Soit un arc de spirale logarithmique (fig. 10). Si l’on prend sur son périmètre les arcs de même amplitude, et que l’on en tire les cordes ; l’on peut déduire de la génération de la courbe que ces cordes formeront une progression géométrique, de manière que sera moyenne proportionnelle entre et et de plus, les angles seront égaux ; d’où il suit que, si l’on divise ces angles en deux parties égales, par les droites et ces deux droites seront égales ; de sorte que les points et seront sur une circonférence de cercle ayant le point pour centre et ayant pour rayon En outre, si, sur et comme bases, on construit des triangles isocèles et semblables à les points et ainsi que les points et se trouveront aussi sur deux circonférences de cercles ayant les points et pour centres et pour rayons respectifs et Ainsi, les points se trouveront placés, en même temps, sur la spirale et sur trois arcs de cercles semblables, qui se raccorderont en et et dont les cordes et par conséquent les rayons seront en progression géométrique. On voit de plus que si, au lieu de diviser l’arc de spirale formant la demi-anse, en trois parties de même amplitude, on l’eût divisé en quatre ou en un plus grand nombre, il y aurait eu un plus grand nombre de points placés sur le périmètre de cette courbe ; et que par conséquent la courbe formée par les arcs de cercles approchera d’autant plus de la spirale que ces arcs seront en plus grand nombre.

Comme l’on n’a pas de moyen facile pour décrire la spirale d’un mouvement continu ; on ne peut guère employer cette courbe pour former l’anse du panier ; et l’on est obligé de lui substituer une courbe discontinue, formée par des arcs de cercles qui se raccordent par leurs extrémités. L’anse de panier qui aura le plus de grâce sera conséquemment celle qui aura un plus grand nombre de points placés sur la spirale. Pour remplir cette condition, soit le nombre des centres de la demi-anse ; on prendra chacun des arcs de cercle d’un nombre de degré exprimé par et on fera croître leurs rayons en progression géométrique.

La question est donc réduite à trouver les rayons de ces arcs, lorsque la demi-base et la montée sont données. Cette question a été proposée {Annales, tom. IV, pag. 92), et résolue analitiquement par MM. Argand et Bérard (même volume, pag. 256 et suiv.). Il faut, en général, résoudre par approximation l’équation qui donne la raison de la progression formée par les rayons consécutifs ; mais, dans le cas où la demi-anse ne doit avoir que trois centres, et c’est le cas des arches du pont du Taro, on peut trouver les rayons de la manière suivante.

Au lieu de supposer que la courbe est un arc de spirale, je suppose qu’elle soit formée de trois arcs de cercle , de chacun. Nous avons vu que la corde doit être moyenne proportionnelle entre les cordes et . Supposons ces dernières prolongées jusqu’à leur rencontre en et soient et la demi-base et la montée ; les deux angles et seront chacun de  ; portant donc sur de en et tirant , cette dernière droite sera parallèle à la corde . Par le point soit élevée à la perpendiculaire indéfinie , et soit le milieu de . Je divise la longueur en un nombre arbitraire de parties égales ou inégales , et du point comme centre, avec les rayons , je décris des arcs coupant la perpendiculaire indéfinie , aux points . Je porte respectivement les ordonnées sur des parallèles menées à par les points de en de en et de en . Par les points je fais passer une courbe auxiliaire , et cette courbe coupe la droite au point . Menant donc par ce point la parallèle à , terminée en à , cette parallèle sera la corde intermédiaire, moyenne proportionnelle entre et  ; et le problème amené à ce point sera censé résolu.

Cette construction est facile à justifier. Il est clair, en effet, par la nature de la courbe auxiliaire, que si, du point comme centre et avec pour rayon, on décrit le demi-cercle , on aura  ; mais est moyenne proportionnelle entre et , c’est-à-dire, entre , et  ; d’où il suit que est aussi moyenne proportionnelle entre ces deux droites.

Agréez, etc.

Parme, le 20 octobre 1820.

  1. Serait-il déraisonnable de penser que, dans tout ceci, il y a inévitablement un peu d’arbitraire ; que l’habitude y joue un assez grand rôle, et qu’il en est à peu près comme des modes, dont les plus bizarres même finissent par trouver grâce pour ce qu’elles semblaient d’abord avoir de plus choquant ? Aujourd’hui, par exemple, on semble ne pas mal s’accommoder d’arches surbaissées formées d’un seul arc de cercle, et dans lesquelles conséquemment les tangentes aux naissances sont loin d’être verticales. Quant à la troisième condition, peut-être suffirait-il que la courbure de la demi-anse, toujours convexe, né variât pas d’un point à l’autre d’une manière trop sensible, ce qui exclurait les anses de paniers à un petit nombre de centres ; mais nous ne voyons pas pourquoi, suivant le plus ou le moins d’ouverture qu’on voudrait donner aux arches, on n’adopterait pas tantôt des quarts d’ellipses, tantôt des demi-cycloïdes alongées, tantôt des développantes de cercles, tantôt des quarts de developpées d’ellipses ; et en général toutes courbes assujetties à une loi continue. Que si l’on trouvait plus commode l’emploi des arcs de cercles, nous pensons qu’on ne se trouverait pas très-mal, dans certains cas, de la développante d’un quart de polygone régulier d’un nombre de côtés pairement pair.
    J. D. G.