Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Dynamique, article 1

La bibliothèque libre.

GÉOMÉTRIE TRANSCENDANTE.

Solution nouvelle d’un problème énoncé
dans la correspondance sur l’école polytechnique ;

Par M. Thomas de St-Laurent, lieutenant, aide-major
du corps royal d’état major, au 7.e régiment d’artillerie à pied.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

À la page 275 du II.e volume de la Correspondance sur l’école polytechnique, on trouve ce qui suit :

« Un ancien élève, directeur des douanes à Fusligno, département de Trazimène, M. Dubois-Aymé se promenait sur le bord de la mer ; il aperçut, à quelque distance, quelqu’un de sa connaissance, et se mit à courir pour l’atteindre ; son chien qui s’était écarté, courut vers lui, en décrivant une courbe dont l’empreinte resta sur le sable. M. Dubois, revenant sur ses pas, fut frappé de la régularité de cette courbe, et il en chercha l’équation, en supposant, 1.o que le chien se dirigeait constamment vers l’endroit où il voyait son maître ; 2.o que le maître parcourait une ligne droite ; 3.o que les vitesses du maître et du chien étaient uniformes.

« Prenant pour axe des la ligne droite parcourue par le maître, et pour axe des la perpendiculaire abaissée sur cette droite du point de départ du chien, on trouve, pour l’équation de la courbe, »

dans laquelle est le rapport des vitesses du chien et de son maître ; et l’angle que fait l’axe des avec la droite qui joint les points de départ du maître et du chien[1].

« Cette courbe est telle que ses rayons de courbure sont proportionnels aux abscisses des points auxquels ces rayons appartiennent ».

En cherchant à me rendre compte de l’analise qui avait pu conduire à cette équation, elle m’a paru inexacte, et il m’a semblé gue la courbe qui résout le problème ne pourrait, en particulier, jouir de la propriété annoncée. Je vais exposer ici la marche que j’ai suivie et les résultats que j’en ai obtenus ; en laissant au lecteur à prononcer entre ces résultats et ceux qui se trouvent consignés dans la Correspondance.

Quelle que soit la courbe décrite par le chien, on peut toujours supposer qu’à chaque instant il marche sur la tangente à cette courbe ; d’où il suit qu’à chaque instant aussi la tangente menée à la courbe qu’il décrit, par le point de cette courbe où il se trouve, va couper la droite décrite par son maître au point où celui-ci se trouve lui-même en cet instant.

Soit prise cette droite pour axe des les coordonnées étant rectangulaires et l’origine quelconque. Si l’on désigne par le point de la courbe où se trouve le chien à un instant quelconque, la tangente en ce point, dirigée vers son maître, aura pour équation

(1)

on aura donc la position du maître sur la droite qu’il décrit, ou sa distance à l’origine, en cherchant l’intersection de ce cette tangente avec l’axe des , c’est-à-dire la valeur de son ordonnée qui répond à désignant donc par cette ordonnée, on aura

(2)

Or, présentement, si l’on désigne par le nombre d’unités de longueur que parcourt le maître pendant que son chien en parcourt une seule, et que, suivant l’usage, on représente par la longueur de l’arc de courbe commençant à un point quelconque et se terminant en on aura

ou(3)

mais, d’une part, en différentiant l’équation (2) et y considérant comme la variable indépendante, il vient

d’une autre, on a, en remarquant que, croissant, diminue

substituant donc, et supprimant les accens, désormais inutiles, on obtiendra pour l’équation différentielle seconde de la courbe cherchée

(4)

Remarquons d’abord, avant d’aller plus loin, que, d’après la manière dont nous avons procédé, cette équation ne suppose pas essentiellement que les vitesses du chien et de son maître soient constantes ; mais seulement qu’elles sont à chaque instant dans le même rapport. On conçoit, en effet, que la nature de la courbe décrite par le chien ne saurait dépendre des vitesses absolues.

On sait qu’en représentant par le rayon de courbure d’une courbe en l’un de ses points, on a

(5)

en mettant donc dans cette formule pour sa valeur (4), il viendra

(6)

d’où l’on voit qu’il n’est pas vrai que le rayon de courbure de la courbe dont il s’agit soit, comme on l’a annoncé dans la Correspondance, proportionnel à son abscisse. On voit en effet que ce rayon est proportionnel au produit de l’abscisse par le quarré de la co-sécante de son inclinaison sur l’axe des x.

Pour obtenir l’intégrale première de l’équation (4), faisons, suivant l’usage, elle deviendra ainsi

c’est-à-dire,

équation séparée dont l’intégrale est

d’où

(7)

étant la constante arbitraire.

Employons cette constante à fixer la position de l’origine, sur laquelle nous n’avons pas encore statué, en la prenant de la manière la plus propre à simplifier la forme de l’équation primitive. Remarquons pour cela que, les résultats auxquels nous sommes parvenus jusqu’ici étant absolument indépendans du temps, il nous est permis de ne pas considérer de point de départ, c’est-à-dire, de supposer que le maître et son chien marchent depuis quel temps on voudra ; d’après quoi on peut concevoir une époque où la tangente menée à la trajectoire par le point de cette trajectoire où le chien se trouvait alors était perpendiculaire à la droite indéfinie décrite par son maître, c’est-à-dire, à l’axe des et où conséquemment le maître se trouvait au pied de cette perpendiculaire, c’est-à-dire, à l’origine. Prenons donc cette tangente pour axe des et supposons qu’alors la distance du chien à son maître est cela reviendra à admettre que, tandis que le maître part de l’origine pour parcourir l’axe des dans le sens des positives, son chien part d’un point de l’axe des distant de cette origine de la quantité on devra donc avoir, en même temps, et au moyen de quoi l’équation (7) deviendra simplement

valeur qui, substituée dans cette même équation (7), la changera en celle-ci :

ou

En transposant et faisant disparaître le radical, on tire de cette dernière

(8)

valeur qui devient également infinie, soit que soit nul ou bien qu’il soit infini.

On tire de là successivement


(9)

d’où

ce qui donne, en intégrant,

Si l’on veut compter les arcs depuis le point que nous avons considéré comme point de départ du chien, on devra avoir à la fois et ce qui donnera

puis en retranchant

(10)

D’après les formules (6 et 9), on aura

(11)

d’où on tirera


le rayon de courbure maximum ou minimum répondra donc au point pour lequel on aura l’une ou l’autre des deux équations


La première, qui revient à

donne

(12)

valeur qui ne sera réelle qu’autant que sera une fonction ayant un dénominateur pair, et qui sera alors égale à La seconde donne

(13)

valeur qui sera toujours réelle, lorsqu’on aura mais qui, dans le cas de ne sera réelle qu’autant que sera une fraction ayant un dénominateur pair. Quant au rayon de courbure au point de départ du chien ou il sera

Passons enfin à la recherche de l’équation de la courbe. En remettant pour sa valeur dans la formule (8), on a

c’est-à-dire

En se rappelant qu’à doit répondre on aura

d’où, en retranchant

(15)

Telle est donc l’équation de la courbe.

Cette équation peut être mise sous la forme suivante :

de sorte qu’en portant l’origine au point de l’axe des pour lequel on a

(16)

cette équation deviendra simplement

(17)

Si l’on pose

(18)

on aura

En construisant donc les courbes exprimées par les équations (18) ; ce qui sera facile au moyen des logarithmes, les ordonnées de la courbe cherchée seront la somme des leurs.

En désignant par la distance du maître à l’origine, lorsque son chien est au point on a, pour la distance du chien à son maître,

mais la formule (2) donne

ce qui donne, en substituant,

ou

ou encore

(19)

Après avoir ainsi déterminé les formules générales, venons à quelques cas particuliers. Supposons, en premier lieu, que la vitesse du chien soit égale à celle de son maître ; on aura alors ce qui rendra infinie une partie du second membre de l’équation de la courbe. Cette circonstance annonce un changement dans la forme de la fonction, et nous oblige de refaire une partie de nos calculs pour ce cas particulier.

Nous aurons ici

ce qui donnera, en intégrant

en se rappelant toujours qu’a doit répondre on aura

d’où, en retranchant,

ou encore

Nous aurons ensuite (11)

ou bien

l’abscisse du point pour lequel le rayon de courbure est le moindre, sera

et sa longueur sera

Quant au rayon de courbure au point de départ du chien, il sera égal à

On aura enfin

c’est-à-dire,

en se rappelant donc qu’a doit répondre on aura

d’où, en retranchant,

Cette équation peut être écrite ainsi

d’où l’on voit qu’en descendant l’origine sur l’axe des de la quantité l’équation de la courbe sera simplement

(20)

de sorte qu’en posant

(21)

on aura

En construisant donc les deux courbes exprimées par les équations (21), dont la première est une parabole ayant pour axe l’axe des son sommet à la nouvelle origine, et son foyer à une distance au-dessus, tandis que la seconde est une logarithmique, les différences de leurs ordonnées correspondantes seront les ordonnées de la courbe cherchée.

On voit aisément, par la forme de l’équation (19) que la courbe est entièrement située du côté des positives ; elle l’est également du côté des positives ; car, pour que pût être négatif, il faudrait qu’on pût avoir (19)

ou

ce qui est impossible, puisqu’on a, en général, Cette courbe est donc entièrement située dans l’angle des coordonnées positives. La valeur de qui est ici

fait voir d’ailleurs que croissant de à l’infini, croîtra de zéro à l’infini positif, tandis que décroissant de à zéro, décroît de zéro à l’infini négatif ; et comme d’un autre côté devient également infinie, soit qu’on fasse nul ou qu’on le fasse infini ; on en doit conclure que la courbe, constamment convexe vers l’axe des a deux branches infinies comme la parabole, avec cette différence que ces deux branches n’ont pas la même courbure. On voit, en effet, que l’une d’elles est hyperbolique, ayant l’axe des pour asymptote, tandis que l’autre a pour asymptote une parabole située du côté de sa concavité et ayant pour équation

Enfin, l’expression générale (19) de la distance du chien à son maître devient, dans le cas actuel,

quantité qui tend sans cesse à se réduire à à mesure que devient plus petit. Ainsi, non seulement le chien n’atteindra jamais son maître, mais il en sera toujours à une distance plus grande que la moitié de celle qui l’en séparerait au moment du départ. Il est facile de conclure de là que, si l’on développait la courbe décrite par le chien, en l’appliquant contre l’axe des son extrémité tomberait à une distance au-dessous du point de départ du maître.

Pour second cas particulier, supposons que la vitesse du maître soit double de celle de son chien, c’est-à-dire, supposons Nous aurons d’abord (10)

ou encore

Nous aurons ensuite (11)

ou bien

L’abscisse du point pour lequel le rayon de courbure sera minimum, sera (14)

et la longueur de ce rayon sera

L’équation de la courbe sera (15)

En portant l’origine (16) au point pour lequel on a

cette équation deviendra simplement (17)

de sorte qu’en posant (18)

on aura

Les ordonnées de la courbe seront donc la somme de celles d’une parabole cubique et d’une hyperbole ordinaire ayant leur centre commun à la nouvelle origine et situées dans les deux angles des coordonnées de mêmes signes ; les nouveaux axes étant les asymptotes de l’hyperbole et celui des étant une tangente à la parabole cubique. La courbe cherchée aura donc aussi un centre à la nouvelle origine ; elle sera composée de deux parties séparées, parfaitement égales, situées dans les angles des coordonnées de mêmes signes, et ayant chacune deux branches infinies, comme la courbe qui répond au premier cas, dont l’une hyperbolique et l’autre parabolique. Les deux branches hyperboliques auront l’axe des pour asymptote commune. L’asymptote commune des deux autres sera la parabole cubique. On sent d’ailleurs que la partie de la courbe située dans l’angle des coordonnées positives sera la seule utile au problème.

On trouvera enfin ici (19), pour l’expression générale de la distance du chien à son maître,

quantité qui tend à devenir infinie, à mesure que devient plus petit. Ainsi, l’avance du maître sur son chien croîtra ici indéfiniment.

Pour dernière application, supposons qu’à l’inverse la vitesse du chien soit double de celle de son maître, c’est-à-dire, supposons Nous aurons d’abord

Nous aurons ensuite (11)

d’où l’on voit que le rayon de courbure sera le plus petit possible lorsque sera nul, et que sa longueur sera alors

L’équation de la courbe sera ici (15)

mais en portant l’origine au point de l’axe des pour lequel on a (16)

elle deviendra simplement (17)

de sorte qu’en posant

c’est-à-dire,

on aura

Il est aisé de conclure de là que la courbe est toute située du côté des positives ; qu’elle est symétrique par rapport au nouvel axe des qui en est un diamètre principal ; que la nouvelle origine est le sommet de ce diamètre ; que la courbe partant de ce point s’écarte également de l’axe des en dessus et en dessous, jusqu’à la distance de l’axe des où il y a une double ordonnée maximum égale à que, passé ce terme, les deux branches se rapprochent de l’axe des où elles vont se couper à une distance de l’origine ; en faisant avec lui des angles de et qu’ensuite elles se prolongent indéfiniment, en s’écartant de plus en plus de cet axe.

L’expression générale de la distance du chien à son maître (19) devient ici

qui est nulle en même temps que Le chien atteindra donc son maître ; et comme, abstraction faite du signe, pour on a

il s’ensuit que, lorsqu’il l’atteindra, le maître aura seulement parcouru les de l’intervalle qui l’en séparait au moment du départ. Mais, afin que la loi de continuité soit maintenue, la figure de la courbe indique que le chien, après avoir atteint son maître, le fuira en conservant toujours une vitesse double de la sienne.

On voit donc, en résumé, qu’excepté le seul cas où les vitesses sont égales, la courbe décrite par le chien est toujours algébrique ; et que, sans qu’il soit nécessaire de faire disparaître les radicaux, ce qui quelquefois pourrait être assez difficile, on pourra toujours commodément la décrire, au moyen de deux courbes auxiliaires dont une sera de la famille comprise sous la formule générale

tandis que l’autre sera de la même famille ou de la famille comprise sous la formule générale

suivant que sera moindre ou plus grand que l’unité.

  1. On ne dit pas ce que représente ; mais on peut présumer que c’est la distance de l’origine au point de départ du chien.
    J. D. G.