Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Dynamique, article 3

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QUESTIONS RÉSOLUES.

Solution du problème de dynamique énoncé à la page 180
du présent volume ;

Par M. Thomas de St-Laurent, lieutenant-aide-major
du corps royal d’état-major au 7.me régiment d’artillerie à pied ;
et M. Ch. Sturm, de Genève.[1]
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PROBLÈME. Un chien, qui se trouve en un point donné de l’un des bords d’un canal rectiligne d’une largeur constante, apercevant, en un point donné de l’autre bord, son maître qui marche le long de ce bord, avec une vitesse constante, se jette à la nage pour le joindre. En nageant, il se dirige constamment vers son maître, avec un effort toujours constant ; mais le courant de l’eau, en l’entraînant, le détourne sans cesse, et avec un effort également constant, de la direction qu’il veut prendre ; on demande, d’après ces diverses circonstances, quelle courbe ce chien décrira sur la surface de l’eau ?

Solution. Pour rendre plus facile le rapprochement entre les formules auxquelles nous allons parvenir et celles qui ont été obtenues à la page 145 du présent volume, nous prendrons pour axes des le bord du canal parcouru par le maître, en supposant qu’il marche dans le sens des positives, et que le canal est à sa droite, ou du côté des positives, et nous prendrons pour axe des une perpendiculaire à celui des que nous laissons d’abord indéterminée, et dont nous nous réservons de fixer ultérieurement la situation de manière à rendre nos résultats les plus simples possibles.

Cela posé, soient

1.o  Le nombre d’unités de longueur que parcourt le maître à chaque unité de temps le long de l’axe des

2.o  le nombre d’unités de longueur que le cours de l’eau ferait parcourir au chien, à chaque unité de temps, s’il s’y abandonnait entièrement, sans faire le moindre effort soit pour accélérer ou retarder la vitesse qu’il en reçoit, soit pour en changer la direction ; étant d’ailleurs positive ou négative, suivant que l’eau court dans le sens de la marche du maître ou en sens contraire.

3.o Enfin le nombre d’unités de longueur que parcourrait à chaque unité de temps, suivant une direction rectiligne, le chien nageant dans une eau stagnante, en faisant sans cesse un effort égal à celui qu’il emploie à poursuivre son maître.

Soient, au bout d’un temps compté d’une époque arbitraire, et les coordonnées du chien, à cet instant son maître se trouvera sur l’axe des à une distance de l’origine exprimée par étant une longueur arbitraire dépendant de l’époque où le temps est supposé commencer. La droite joignant le chien à son maître aura alors pour équation

(1)

d’où il suit que cette droite fera avec les axes des et des des angles dont les cosinus respectifs seront

en conséquence, les composantes de la vitesse du chien suivant cette droite, dans le sens des et des seront respectivement

mais, tandis que la première de ces composantes existera seule, la seconde devra être augmentée de la vitesse que le courant imprime au chien. En considérant donc que la première de ces composantes, d’après nos conventions, tend constamment à diminuer la coordonnée que la portion de la seconde tend à augmenter la coordonnée et que l’autre partie de cette dernière est dans le même sens qu’elle ou en sens contraire, suivant que est plus grand ou plus petit que nous aurons, par les principes connus, et en supprimant les accens désormais inutiles

(2)

Telles sont donc les équations différentielles du mouvement du chien, desquelles, par conséquent, nous devrons déduire toutes les circonstances de la solution du problème.

Pour intégrer ces équations, posons

(3)

l’angle étant une nouvelle variable : les équations (2) deviendront ainsi

(4)

différentiant ensuite l’équation (3) elle deviendra

(5)

mettant dans la dernière pour et les valeurs données par les équations (4), réduisant et posant, pour abréger, on aura

(6)

mettant encore dans celle-ci, pour sa valeur donnée par la première des équations (4), elle deviendra

(7)

équation séparée, dont l’intégrale est

ou bien

(8)

étant une constante arbitraire.

Pour déterminer cette constante, statuons à la fois sur la situation de l’axe des que jusqu’ici nous avons laissée indéterminée ainsi que sur l’origine des temps que nous avons également laissée arbitraire ; et pour le faire de la manière la plus propre à simplifier nos résultats, remarquons que, bien que, par l’énoncé du problème, la largeur du canal soit déterminée, cette largeur néanmoins n’entra aucunement dans nos formules ; de sorte qu’il nous est permis de la supposer indéfinie du côté d’où part le chien, et d’admettre que, poursuivant son maître, il nage depuis un temps illimité : auquel cas on pourra concevoir une certaine époque où la droite qui le joint à son maître deviendra ou aura été perpendiculaire au bord du canal parcouru par celui-ci, c’est-à-dire à l’axe des Prenons donc cette époque pour origine des temps ; supposons qu’alors la distance du chien à son maître soit cette longueur se confondra avec l’axe des et il est d’abord clair que, pour la distance du maître à l’origine devra être nulle : puis donc que cette distance est, en général on devra avoir donc, en vertu de l’équation (3) on aura aussi alors d’après quoi l’équation (8) deviendra

d’où

on aura donc, quel que soit

(9)

En faisant évanouir le radical du second membre de cette équation, on en tire

(10)

d’où

(11)

Pour parvenir présentement à l’équation différentielle de la trajectoire, éliminons d’abord d’entre les équations (4) ; il viendra ainsi

(12)

ou, en y mettant pour et les valeurs déterminées ci-dessus

(13)

valeur qui devient également nulle, soit que soit nul ou qu’il soit infini.

Si l’on veut avoir la vitesse qui répond à une valeur quelconque de en représentant cette vitesse par et prenant la somme des quarrés des équations (4), il viendra

ou en mettant pour sa valeur (11)

(14)

Si, suivant l’usage, nous posons, pour abréger, la formule (13) donnera

(15)

on aura ensuite, par la formule (12),

(16)

d’où

en désignant donc par le rayon vecteur, on trouvera

ou, en mettant pour sa valeur

(17)

On aura encore, d’après la formule, (16) en désignant par la longueur de l’axe de courbe

ou, en mettant pour et leurs valeurs

(18)

équation qu’il faudrait intégrer pour obtenir la valeur de

Pour obtenir l’équation de la courbe, il faut intégrer l’équation (13), ce qui donne

En se rappelant qu’à doit répondre il viendra

d’où, en retranchant

(19)

Veut-on avoir le temps en fonction de l’abscisse, il ne s’agira, pour cela, que de substituer pour dans la première des équations (4), sa valeur donnée par la dernière des formules (11). Il viendra ainsi

ce qui donnera, en intégrant,

En se rappelant d’ailleurs qu’à doit répondre il viendra

d’où, en retranchant

(20)

Des formules (19, 30) on tire

ou, en se rappelant que

mais la distance du chien à son maître a généralement pour expression

en y substituant donc pour la valeur que nous venons d’obtenir, cette distance deviendra, toutes réductions faites

(21)

formule qui ne pourra devenir nulle en même temps que qu’autant que se trouvera compris entre et

Si l’on suppose l’eau stagnante, il faudra faire et conséquemment dans toutes les formules que nous venons d’obtenir, lesquelles deviendront ainsi exactement celles qui répondent au problème traité à la page 145 du présent volume. Ce problème n’est, en effet, qu’un cas particulier de celui-ci.

L’équation (19) de la courbe peut être écrite ainsi

(22)

si donc on transporte l’origine sur l’axe des à une distance au-dessous de l’origine primitive, en posant

(23)

l’équation de la courbe deviendra

(24)

En construisant donc, pour le nouveau système d’axes, les courbes exprimées par les équations (23) ; les ordonnées de la courbe cherchée seront les sommes d’ordonnées correspondantes de ces deux-là.

Il est aisé de voir que, tant que est un nombre positif plus grand que l’unité, la première de ces courbes est parabolique et l’autre hyperbolique. Si positif ou négatif, a une valeur absolue moindre que l’unité, les deux courbes sont paraboliques. Si enfin négatif a une valeur absolue plus grande que l’unité, c’est la première des deux courbes qui est hyperbolique, tandis que la seconde est parabolique.

Mais il est un cas particulier qui rend illusoire une partie des formules auxquelles nous venons de parvenir, à raison du dénominateur qui affecte leurs termes : c’est celui où le maître, marchant dans le sens du courant, a sur ce courant un excès de vitesse précisément égal à la vitesse que son chien pourrait se donner en nageant dans une eau tranquille. On a alors, en effet, d’où ce qui rend infinis les termes affectés du dénominateur Cherchons donc, en particulier, les formules qui conviennent à ce cas ; ou plutôt des formules qui remplacent les formules (19, 20), les seules qui présentent cette circonstance.

Dans le cas dont il s’agit, l’équation (13) devient simplement

ce qui donne, en intégrant

mais, parce que doit repondre à on aura

d’où, en retranchant,

(25)

Dans le même cas, l’équation

trouvée ci-dessus, se réduit à

dont l’intégrale est

en observant encore ici que et doivent se correspondre, on aura

d’où en retranchant

En écrivant l’équation (25) comme il suit

on voit que si, ayant transporté l’origine sur l’axe des à une distance au dessous de sa position primitive, on fait

(27)

on aura

de sorte qu’en construisant, par rapport au nouveau système d’axes, les courbes exprimées par les équations (27), dont la première est une parabole ordinaire et l’autre une logarithmique, les ordonnées de la trajectoire décrite par le chien ne seront autre chose que les sommes d’ordonnées correspondantes de ces deux courbes.

On peut remarquer que le problème qui vient de nous occuper est aussi celui des circonstances du mouvement de la chaloupe d’un bateau qui suit le cours d’un fleuve, lorsque cette chaloupe se détache pour aller prendre des voyageurs qui marchent le long de l’un des bords de ce fleuve.

Parmi les différens cas particuliers de ce problème, le plus ordinaire, et conséquemment celui qui semble offrir le plus d’intérêt est celui de la route que suit une barque établie sur l’un des bords d’un fleuve, pour transporter les voyageurs au point directement opposé de l’autre bord. Dans ce cas représente la largeur du fleuve, les temps se comptent de l’instant du départ de la barque, et la vitesse du point vers lequel on tend est nulle ; on a donc simplement alors au moyen de quoi l’équation (19) de la trajectoire devient

(28)

Or, pour que la barque puisse parvenir au point vers lequel elle tend, il faut évidemment que la trajectoire qu’elle décrit passe par l’origine qui est ici le bord d’arrivée ; et conséquemment il faut que et soient nuls en même temps, ce qui exigera évidemment que ne soient pas négatifs, c’est-à-dire que, pour qu’une barque qui, partant de l’un des bords d’un fleuve et tendant sans cesse vers le point de l’autre bord directement opposé à celui du départ, parvienne en ce point, il est nécessaire et il suffit que la force d’impulsion des rames soit au moins égale à la force d’impulsion du courant.

Cette même équation prouve aussi que, si la force d’impulsion des rames était nulle ou celle du courant infinie, la barque suivrait simplement le cours du fleuve, parallèlement à la direction du bord opposé à celui du départ ; de sorte qu’elle n’atteindrait ce bord qu’à une distance infinie. Si au contraire la force d’impulsion du courant était nulle ou celle des rames infinie, la barque parviendrait d’un bord à l’autre dans une direction rectiligne, perpendiculaire à la direction commune de ces deux bords.

En différentiant l’équation (28) et supposant toujours il vient

(29)

Si donc on représente par l’angle que fait la direction de la barque au moment du départ, où avec celle qu’elle tend à prendre, on aura

(30)

comme on pouvait bien le prévoir.

Veut-on savoir en quel point sa direction se trouvera perpendiculaire au cours du fleuve ou, ce qui revient au même, parallèle à celle qui joint le point de départ au point d’arrivée, il suffira d’égaler à zéro la valeur de ce qui donnera

(31)

substituant cette valeur dans l’équation (28), il en résultera

(32)

Si enfin on désigne par l’angle que fait la direction de la barque au moment d’arrivée ou avec la perpendiculaire à la direction du courant, on aura ou à moins pourtant qu’on ait

Mais cette dernière hypothèse ne saurait être admise dans la pratique. En effet l’équation (28) devient, dans ce cas

équation d’une parabole qui a pour foyer le point où on veut atteindre et pour paramètre le double de la largeur du fleuve ; d’où l’on voit que, si la force d’impulsion des rames n’était que rigoureusement égale à la force d’impulsion du courant ; la barque arriverait au dessous du point désigné, à une distance de ce point égale à la moitié de la largeur du fleuve.

Continuons donc de supposer étant toujours nul, et conséquemment la formule (20) donnera alors

(33)

Pour avoir donc le temps employé à traverser le fleuve, il faudra, dans cette formule, faire ce qui donnera

mais si l’eau était stagnante, ce temps serait simplement, d’où il suit que l’excès de temps dû à l’impulsion du courant est

l’on voit que cet excès de temps croîtra avec ainsi que cela doit être.


Séparateur

  1. Nous confondons dans une rédaction commune les deux solutions qui ne différent entre elles que par des nuances très-légères.
    J. D. G.