Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Gnomonique, article 1

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GÉOMÉTRIE APPLIQUÉE.

Traité abrégé de gnomonique graphique[1] ;

Par M. Sarrus, docteur agrégé ès sciences.
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Dans les applications de la gnomonique qui ne sont pas de pure curiosité, la surface sur laquelle il s’agit de tracer un cadran est une surface plane, qui peut d’ailleurs avoir dans l’espace un situation quelconque. Les heures sont indiquées par la coïncidence de l’ombre solaire d’une verge rectiligne, partant d’un point de la surface du cadran, et dirigée parallèlement à l’axe de la terre, avec une suite de droites partant du même point. Ces droites sont ce qu’on appelle les lignes horaires ; leur point de concours est le centre du cadran, et la verge rectiligne dont l’ombre indique les heures en est dite l’axe ou le style. On appelle soustylaire la projection orthogonale du style sur le plan du cadran.

Dans les cadrans les plus soignés, on remplace le style par une plaque métallique circulaire, percée à son centre d’un trou de quelques millimètres de diamètre. Cette plaque est solidement fixée, à l’avance, en avant du plan du cadran et les heures sont indiquées par la coïncidence successive du rayon solaire qui passe par le trou dont elle est percée avec chacune des lignes horaires. Dans ce cas, la droite menée du centre du trou au point de concours des lignes horaires doit être parallèle à l’axe de la terre ; c’est l’axe du cadran partant de son centre ; et la droite qui joint ce centre à la projection orthogonale du centre du trou sur le plan du cadran est la soustylaire. Nous supposerons constamment, dans tout ce qui va suivre, que les heures sont indiquées par une telle plaque, d’autant que rien n’est plus facile que de passer de cette dernière supposition à la première.

Les méthodes que l’on prescrit ordinairement pour tracer un cadran solaire sur un plan supposent d’abord que l’on connaît la latitude du lieu ; elles exigent ensuite que l’on détermine, par des procédés plus ou moins pénibles et délicats, l’inclinaison et la déclinaison du plan du cadran, desquelles on déduit ensuite la situation du centre et la direction de la soustylaire. Alors les lignes horaires se tracent par des procédés connus.

Nous nous proposons ici d’enseigner à tracer un cadran solaire, dans un lieu dont la latitude est inconnue, sur un plan dont on ignore la situation, en remplaçant la détermination de ces élémens par trois points d’ombre marqués sur le cadran à des intervalles de quelques heures d’une même journée, choisie de préférence vers l’un des solstices ; afin qu’on puisse considérer la déclinaison du soleil comme sensiblement constante dans l’intervalle qu’embrasseront les observations. Mais, pour la commodité des praticiens, et pour mieux faire voir en même temps combien la méthode est facile, nous donnerons d’abord les développemens théoriques, que nous ferons suivre du procédé pratique, dépouillé de tous raisonnemens.

§. I.
Développemens théoriques.

En faisant abstraction de son mouvement en déclinaison, ce qui est permis, sous les conditions que nous venons d’indiquer, le soleil décrit chaque jour un parallèle à l’équateur. Si l’on imagine par son centre mobile et par le centre fixe du trou de la plaque une droite indéfinie, prolongée jusqu’au plan du cadran, cette droite décrira, dans l’intervalle de vingt-quatre heures, une double surface conique de révolution, dont les deux nappes auront leur sommet commun au centre du trou. Le plan du cadran coupera l’une de ces nappes suivant une ligne du second ordre qui suivra constamment, dans son mouvement, l’image mobile du trou de la plaque. L’axe du double cône, parallèle à l’axe de la terre, sera aussi l’axe du cadran, qu’il ira percer à son centre, point de concours des lignes horaires.

Soit (fig. 7) le sommet commun de deux cônes, centre du trou de la plaque. Soit la projection orthogonale de ce sommet sur le plan du cadran ; et soient et deux quelconques des points du périmètre de la section de l’un des cônes par ce plan. Soit enfin le point où le plan du cadran est percé par l’axe commun des deux cônes, lequel sera aussi l’axe du cadran dont le centre sera en

Soient menées les droites Sur les deux dernières, soient prises, à partir de les longueurs égales arbitraires et des points et soient respectivement abaissées, sur et les perpendiculaires et et soient menées et la dernière de ces deux droites sera la projection orthogonale de la première sur le plan du cadran. Soit divisé l’angle en deux parties égales, par une droite coupant en et en le point sera le milieu de et si, par la droite on conçoit un plan perpendiculaire à ce plan contiendra évidemment l’axe du cône, de sorte que sa trace sur le plan du cadran passera par le point et sera ainsi dirigée suivant

Or, il est connu, et il est d’ailleurs facile de démontrer que, lorsqu’un plan et une droite sont perpendiculaires l’un à l’autre, la trace du plan, sur un autre plan quelconque, est perpendiculaire à la projection orthogonale de la droite sur ce même dernier plan ; donc, dans le cas qui nous occupe, la trace du plan sur le plan du cadran, doit être perpendiculaire à la projection orthogonale de la droite sur ce même plan.

Il résulte de là que, connaissant seulement la hauteur perpendiculaire du centre du trou de la plaque au-dessus du plan du cadran, la projection de ce centre sur le même plan et en outre deux images du même centre sur ce plan, marquées à deux époques quelconques d’un même jour, on peut, par une construction plane, exécutée sur ce cadran même, obtenir une droite qui en contienne le centre.

Supposons, en effet, (fig. 8) que le plan de la figure soit le plan même du cadran, que le point soit la projection orthogonale du centre du trou et que les points et soient les centres des images du même trou, pour deux heures différentes quelconques. Soient menées et Au point soient élevées des perpendiculaires à et d’une même longueur égale à la hauteur perpendiculaire du centre du trou au-dessus du point Soient menées les deux droites et sur lesquelles soient prises, à partir des points des longueurs égales arbitraires et Des points et soient abaissées respectivement, sur et les perpendiculaires et et soit menée Sur comme base soit construit un triangle dont les deux autres côtés et soient respectivement égaux aux droites Soit divisé l’angle de ce triangle en deux parties égales par une droite coupant le côté opposé en Soit enfin menée, par le point une perpendiculaire indéfinie à et cette perpendiculaire contiendra le centre du cadran. Cela est manifeste, puisque la figure 8 n’est autre que le développement du tétraèdre de la figure 7 sur le plan de sa base.

Si donc, au lieu de deux images du centre du trou sur le plan du cadran, on en a trois ; en les combinant deux à deux, on obtiendra trois droites qui contiendront toutes le centre du cadran ; de sorte que, si la construction est bien faite, ces trois droites devront concourir en un même point qui sera le centre de ce cadran.

Ce point ainsi obtenu, en le joignant au point par une droite, cette droite sera la projection de l’axe sur le plan du cadran ; c’est-à-dire la soustylaire. Construisant ensuite sur comme côté de l’angle droit, un triangle rectangle dont l’autre côté de l’angle droit soit égal à la hauteur du centre du trou au-dessus du plan du cadran, l’angle de ce triangle mesurera l’inclinaison de l’axe sur ce plan. Si enfin on conçoit, par le centre du trou, une verticale rencontrant le plan du cadran en la ligne sera la méridienne ou la ligne horaire de midi, de sorte qu’il ne restera plus à tracer que les autres lignes horaires. Voyons donc quels principes doivent présider à leur construction.

Les lignes horaires d’un cadran plan quelconque ne sont autre chose que les intersections du plan de ce cadran avec douze autres assujettis aux conditions suivantes, 1.o de passer tous par la direction de l’axe du cadran ; 2.o de former autour de cet axe, comme arête commune, vingt-quatre angles dièdres égaux entre eux ; 3.o d’être tellement situés que l’un d’eux, qui déterminera la situation de tous les autres, soit vertical. Celui-ci est le plan du méridien.

Si l’on coupe ce système de douze plans par un autre plan quelconque, les intersections seront les lignes horaires d’un nouveau cadran, tracé sur ce dernier plan, ayant même axe que le premier. Si l’on représente par et ces deux cadrans, le cadran pourra être considéré comme la perspective du cadran pour un œil situé en un quelconque des points de l’axe commun ; et, si les plans des deux cadrans ne sont pas parallèles, leur commune section sera coupée aux mêmes points par les lignes horaires de l’un et de l’autre.

Le plan du cadran étant donné ; à cause de l’indétermination du plan du cadran on peut le choisir tel que le tracé de ses lignes horaires soit des plus faciles, et se servir ensuite de ce tracé pour exécuter celui des lignes horaires du cadran à l’aide des remarques qui précèdent.

Or, de tous les cadrans, le plus facile à construire est, sans contredit, le cadran équinoxial, c’est-à-dire, celui dont le plan est perpendiculaire à son axe ou parallèle au plan de l’équateur. Ses lignes horaires, en effet, font des angles égaux autour de son centre, et la ligne de midi, qui détermine toutes les autres, est l’intersection de son plan avec le plan vertical conduit par son axe.

Soient donc (fig. 9) le centre du trou de la plaque, sa projection orthogonale sur le plan du cadran, et le centre de ce cadran, de manière que en soit l’axe et la soustylaire. Concevons, par ce point un plan perpendiculaire à l’axe du cadran, et coupant le plan de ce cadran suivant une droite rencontrée en par le prolongement de ce plan sera celui d’un cadran équinoxial ayant même axe que le premier ; de sorte que, si du point comme centre et avec perpendiculaire à prise pour rayon, on décrit un cercle sur ce second cadran, il ne s’agira que de diviser sa circonférence en vingt-quatre parties égales et de mener du point des rayons aux points de division, pour en obtenir les lignes horaires, pourvu qu’un seul de ces points de division, celui de midi, par exemple, soit donné.

Or, soit le point où le plan du premier cadran est percé par la verticale menée par le centre du trou ; sera la mériridienne de ce premier cadran, coupant la droite au point d’où il suit que la droite coupant la circonférence en sera la méridienne du second cadran, et le point le point de départ des divisions de cette circonférence.

Or, si l’on conçoit que le plan du second cadran tourne autour de jusqu’à se confondre avec celui du premier, deviendra le prolongement de et en prolongeant les lignes horaires de ce dernier jusqu’à les droites menées du point aux points de division de cette droite seront les lignes horaires du premier.

La construction d’un cadran solaire sur un plan quelconque, se réduit donc à ce qui suit.

§. II.
Procédé pratique.

Supposons (fig. 10) que le plan de la figure soit celui du cadran. En avant de ce plan, soit solidement établie une plaque percée d’un trou circulaire ; le plan de cette plaque étant à peu près dirigé vers le pôle et tourné d’ailleurs de telle sorte que vers midi, à une époque peu éloignée de l’une des équinoxes, l’image solaire du trou soit la plus nette et la plus circulaire qu’il se pourra.

Soient marqués arbitrairement, sur le plan du cadran, trois points à une même distance quelconque du centre du trou de la plaque, et soient considérés ces trois points comme les trois sommets d’un triangle ; les perpendiculaires sur les milieux de ses côtés devront se couper toutes trois en un même point qui sera la projection orthogonale du centre du trou de la plaque au plan du cadran. Soit mesurée la distance de ce centre à sa projection.

En un même jour, peu distant de l’un des solstices, soient marquées sur le cadran trois images solaires du centre du trou de la plaque, la première entre huit et neuf heures du matin, la seconde vers les midi, et la troisième de trois à quatre heures du soir. Soient ces trois points ; et soient menées

Soient élevées respectivement à au point des perpendiculaires égales entre elles et à la distance du centre du trou de la plaque à sa projection ; soient menées soient prises sur ces droites, à partir de des longueurs arbitraires égales entre elles[2] ; soient abaissées des points respectivement, sur les perpendiculaires et soit formé le triangle

Sur comme bases soient construits des triangles dont les deux autres côtés soient égaux à pour le premier ; pour le second ; pour le troisième ; soient divisés les angles de ces triangles en deux parties égales, par des droites coupant les côtés opposés en enfin des points soient conduites des droites respectivement perpendiculaires à ces trois perpendiculaires concourront en un même point qui sera le centre du cadran.

Ce centre ainsi déterminé, on achèvera la construction comme il suit. Soit menée la soustylaire (fig. 11), et, par le point soit élevée à cette droite la perpendiculaire égale à la distance du centre du trou de la plaque à sa projection ; alors l’angle déterminera l’inclinaison de l’axe du cadran sur son plan. Soit menée à par le point une perpendiculaire rencontrant en le prolongement de Soit menée à par le point une perpendiculaire indéfinie et soit prolongée au-delà de cette perpendiculaire d’une quantité  ; enfin du point comme centre et avec comme rayon, soit décrite une circonférence.

Supposons présentement qu’en laissant tomber un fil à plomb du centre du trou de la plaque sa direction rencontre le plan du cadran en un point alors en menant rencontrant en un point cette droite sera la méridienne du cadran. Menant ensuite coupant la circonférence en on divisera cette circonférence en vingt-quatre parties égales, à partir du, point on mènera du centre aux points de division des rayons prolongés jusqu’à la rencontre de l’indéfinie et alors les droites menées du point aux points ainsi déterminés sur seront les lignes horaires du cadran[3].

Le peu qu’on vient de lire nous paraît comprendre toute la gnomonique usuelle, sur laquelle on a écrit tant de traités volumineux ; comme ce qu’on lit à la page 181 du tome XIII comprend toute la perspective.


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  1. On peut consulter, sur le même sujet, deux articles de M. Francœur, insérés aux pages 233 du tome VIII.e et 91 du tome IX.e des Annales.
    J. D. G.
  2. Le plus simple serait de prendre ces trois longueurs égales à la moins longue des trois droites Si nous ne le faisons pas ici, c’est pour conserver la symétrie des notations.
  3. Il se pourrait quelquefois que certaines droites partant du point ne rencontrassent que fort loin du point mais on sait, et même en n’employant que la règle, mener, par un point donné une droite dirigée vers le point de concours d’une droite donnée et d’une autre droite donnée, sans qu’il soit besoin d’avoir ce point de concours.