GÉOMÉTRIE ÉLÉMENTAIRE.
Lettre au Rédacteur des Annales, sur la théorie
des parallèles,
M. Servois, conservateur du Muséum d’Artillerie.
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Des insomnies, mon bien excellent ami, compagnes et suite de fluxions combinées, croisées, enchevêtrées, etc., m’ont procuré des rêves ; or les rêves d’un géomètre roulent sur la géométrie, et ceux d’un vieillard remontent vers l’
ainsi attendez-vous à lire des rêves sur les parallèles.
Premier rêve. M. Legendre (XII.e édition de sa Géométrie) enseigne à construire un triangle tel que la somme de ses trois angles soit égale à celle des trois angles d’un triangle donné
(fig. 1) et dans lequel, en outre, la somme de deux des angles soit plus petite qu’un angle donné.
Soit en effet
le plus grand des trois angles du triangle donné ; soit
le milieu de l’un quelconque
des deux côtés adjacens, et soit menée la droite
Soit menée la droite
double de
et ayant son milieu en
Par ce point
soit menée une droite
égale à
et faisant avec
deux angles
et
respectivement égaux aux deux angles
et
Alors, en tirant
et
on obtiendra deux triangles
et
respectivement égaux aux deux triangles
et
d’où il suit évidemment que la somme des trois angles du triangle total
sera la même que celle des trois angles du triangle
De plus, dans le triangle
le côté
sera plus grand que le côté
d’où il suit que l’angle
sera plus petit que l’angle
or, comme on a d’ailleurs, par suite de la construction,
il s’ensuit qu’on aura
Enfin, puisque
est plus grand que
cet angle
sera le plus grand des trois angles du nouveau triangle.
Par une semblable construction, on transformera le triangle
en un autre
dont la somme des angles sera encore la même, et dans lequel on aura
et, par suite,
En poursuivant donc ainsi, on pourra parvenir à un triangle
où l’on aura
et par suite
en désignant par
un angle aussi petit qu’on voudra. Faisant alors une transformation de plus, on parviendra à un dernier triangle
dans lequel on aura
et par suite
M. Legendre a fort bien démontré, avec son ruban, (voyez les éditions antérieures de sa Géométrie), que la somme
des trois angles d’un triangle ne pouvait excéder deux angles droits ; mais, comme il n’est pas encore démontré que cette somme ne peut être moindre, on est obligé de supposer, en désignant par
l’angle droit,
l’angle
étant inconnu. Or je vais démontrer que, pourvu qu’on admette que la somme des trois angles de tout triangle est plus grande qu’un droit, ou que
cet angle
doit être nul.
En effet, transformons
(fig. 1) en
(fig. 2), de manière qu’on ait
alors on aura
Construisons, sur
triangle
équilatéral avec
l’angle
supplément à quatre droites du doubla de
sera
Tirons
et nous aurons un nouveau triangle
dont la somme
des angles sera égale, moins quatre droites, à la somme des angles réunis des trois triangles
c’est-à-dire qu’on aura, en représentant par
la somme des angles du triangle
ou bien
ou enfin, plus simplement
Transformons pareillement
en
ici on aura ![{\displaystyle S_{1}=2}](https://wikimedia.org/api/rest_v1/media/math/render/svg/40f6c0d533650abb1116fd44a4e13108404faf06)
ou simplement
En continuant ainsi, on aura, après
transformations,
Or, quelque petit que soit l’angle
s’il n’est pas nul,
pourra égaler ou surpasser
d’où il résultera, contrairement à l’hypothèse
Ainsi le théorème pythagoricien, concernant la somme des angles du triangle, serait complètement démontré, si l’on parvenait à démontrer celui-ci : « il n’y a pas de triangle dans lequel la somme des angles soit égale ou inférieure à un angle droit ».
Un de vos docteurs (si ma mémoire ne faut) a proposé jadis, pour faciliter la cure des maladies, de les transformer : de faire en sorte, par exemple, qu’une affection chronique irrégulière devienne régulièrement intermittente. Je désirerais fort que la nouvelle forme que prend ici la maladie les parallèles se prêtât à un traitement qui pût être couronné d’un heureux succès. Quoi qu’il en puisse advenir, en elle même et comme fait, la transformation dont il s’agit me paraît curieuse.
Autre rêve. Soit le triangle
(fig. 3), rectangle en
Élevons
perpendiculaire à
en
Par un point quelconque
entre
et
élevons une autre perpendiculaire
sur la même droite
cette droite étant parallèle au côté
coupera nécessairement le côté
en quelque point
Dans le quadrilatère convexe
qui a deux angles droits en
et
on aura la somme
des deux autres angles inférieurs ou tout au plus égale à
car de ce que la somme des angles d’un triangle ne saurait être
il suit que celle d’un quadrilatère convexe ne saurait être
D’un autre côté,
donc la somme
doit être inférieure ou tout au plus égale à
ou, en réduisant
Si, entre
et
on élève une autre perpendiculaire
coupant
en
on aura de même
Ainsi, en imaginant qu’une droite, constamment perpendiculaire à
parte de la position
pour parvenir à une dernière position
cette droite ne cessera de couper
en faisant avec elle des angles
qui croîtront continuellement, à moins qu’ils ne s’avisent de rester égaux pendant quelque temps.
Admettons pour un moment cette hypothèse, et soit
Par le milieu
de
j’abaisse sur
la perpendiculaire
qui prolongée ira couper
en
À cause de l’égalité des triangles
et
sera aussi perpendiculaire sur
Ainsi, dans cette hypothèse, on aurait un quadrilatère
dont les quatre angles seraient tous droits, résultat qui donnerait, sur-le-champ, comme on sait, la démonstration du théorème pythagoricien. Il faut donc, si l’on veut prolonger la discussion, supposer que les angles
ou, ce qui est la même chose, leurs opposés au sommet
croissent sans interruption vers une limite qui est l’angle
On ne dira pas qu’au lieu de
il faut prendre pour limite un angle moindre
car par
soit menée
faisant avec
un angle
notre droite mobile, dans sa dernière position, serait à la fois sur
et sur
c’est-à-dire qu’il y aurait deux chemins distincts et les plus courts entre
et
ce qui est absurde. Ceci est un lemme pour ce qui suit.
Soit un triangle acutangle, non équilatéral
(fig. 4). Sur
je construis
équilatéral avec
et je tire
coupant
en
Soient
les sommes d’angles des triangles
respectivement. On aura
Or les sommes
sont inégales ou égales. Dans le premier cas, soit
on aura donc aussi
Comme
est perpendiculaire sur
en
à partir de
je fais mouvoir perpendiculairement à
en allant vers
une droite qui, d’après le précédent lemme, fera constamment avec
et
des angles de plus en plus grands. Soit
une de ses positions, coupant
en
Si
on aura
pour la somme des angles du triangle
car, soit
cette somme, on a
et
d’où
équation qui donne
quand on fait
Or les sommes d’angles des triangles
entre
et
peuvent devenir assez grandes pour admettre l’hypothèse d’un triangle intermédiaire ayant la somme de ses angles égale à
En effet, comme on l’a prouvé, la limite des accroissemens de sommes d’angles pour
est
ou
désignant toujours l’angle droit ; donc, la limite des accroissemens de
sera
ou
quantité toujours plus grande que
puisque
est supposé
Cela étant, je prend sur
une longueur
je joins
et le triangle
aura
pour sommes d’angles ; attendu qu’il a même, somme d’angles que le triangle
Je joins
Alors, désignant par
les sommes d’angles respectives des triangles
et
j’aurai visiblement
![{\displaystyle S+(2D-\delta )+(2D-\delta ')-2D-2D=S\,;}](https://wikimedia.org/api/rest_v1/media/math/render/svg/7d5f76d201c3df380144994d6b465cfef2479b59)
d’où résulte
ou bien
parce que
et
sont essentiellement de mêmes signes. Donc j’aurai deux triangles
qui ont l’un et l’autre une somme d’angles égale à
Or, on sait qu’il suffit d’avoir un seul triangle de cette espèce pour démontrer complètement le théorème pythagoricien.
Dans le deuxième cas ; c’est-à-dire, si
il est visible qu’alors les triangles rectangles
et
auraient même somme d’angles
Je prends
pour avoir le triangle
égal à
Ainsi, désignant par
la somme des angles du triangle
j’aurai
d’où
; et partant, voilà encore un triangle
qui a
pour la somme de ses angles. Considérez tout ceci, au surplus, velut ægri somnia.
Paris, le 15 novembre 1825.