Annales de pomologie belge et étrangère/Chasselas violet

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Chasselas violet.

Chasselas violet.

(Pomone française.)
Synonymes : Chasselas Royal ; — Chasselas de Negrepont ; — Chapelet Rose ; — Chasselas rose par erreur.

Les Chasselas, comme chacun sait, sont les raisins de table par excellence ; aussi les variétés de cette tribu sont-elles répandues partout, et comme conséquence inévitable, se retrouvent sous une multitude de noms différents. Tel est, en effet, le partage des variétés qui se trouvent dans ce cas, que leur synonymie s’accroît en proportion de la généralisation de leur culture. Ici ce ne sera donc pas, certes, les noms qui nous feront défaut ; chaque variété se présente accompagnée d’une nombreuse escorte de synonymes, et il en est encore bien d’autres, assurément, qui échappent à cette investigation. Aussi, il est parfois fort difficile de se reconnaître au milieu de cette confusion, et d’affirmer avec toute certitude, l’identité d’une variété quelconque. L’observation seule, procédant par comparaison, reconnaîtra les affinités qui existent entre plusieurs formes dont on a fait des variétés distinctes, mais qu’en raison précisément des affinités qu’elles ont entre elles, on pourra soupçonner, si ce n’est affirmer, leur origine commune.

Il nous sera tout d’abord facile de remarquer que les variétés de la tribu des Chasselas, peuvent se diviser en deux groupes séparés dont le principal caractère distinctif consisterait dans la couleur des grappes, selon qu’elles seraient blanches ou roses. Nous n’avons pas à nous occuper ici des variétés à grappes blanches, et parmi celles à grappes roses ou rouges, une seule doit fixer notre attention.

Cependant, comme les diverses variétés roses de Chasselas ont été fort souvent confondues entre elles, nous devrons insister sur leurs caractères distinctifs.

Ces variétés, ou supposées telles, doivent être fort nombreuses, si l’on en juge par celles qui sont décrites dans les Ampelographies, ou cultivées dans les jardins ; cependant nous pensons qu’elles peuvent toutes se rapporter à deux types distincts, dont elles ne seraient pour la plupart que des synonymes, et pour quelques-unes, peut-être, des formes passagères, quelquefois même locales, obtenues accidentellement, et fixées par la culture, mais ne constituant pas des variétés proprement dites. Nous allons essayer de les caractériser.

Le premier de ces types, que nous désignerons spécialement sous le nom de Chasselas Rose, a été décrit par Duhamel, sous le nom de Chasselas rouge (dénomination de couleur selon nous un peu exagérée) et considéré par lui comme une variation du Chasselas commun appelé de nos jours Chasselas de Fontainebleau ; il présente en effet les principaux caractères de ce dernier, et n’en diffère guère que par la couleur. Nous signalerons comme paraissant devoir se rapporter à ce type, le Chasselas rose d’Alsace, et le Geisler ou Tramontaner des Allemands, indiqués d’ailleurs tous les trois comme identiques, par l’auteur de l’Ampélographie universelle.

Le second type, que nous désignerons sous le nom de Chasselas Violet, d’après la Pomone française, nom d’ailleurs qui nous paraît aussi caractéristique que possible, est celui qui est représenté par la figure ci-contre. Il diffère du Chasselas Rose par la coloration des pédoncules et des pédicelles, qui sont d’un rouge violet, et surtout par celle des grains qui ont déjà cette même couleur, alors qu’ils sont à peine noués.

Ce caractère seul suffirait pour distinguer cette variété, qui a d’ailleurs tous les autres caractères du Chasselas commun, lesquels sont suffisamment connus, pour nous dispenser de donner ici une plus longue description de cette variété. Ajoutons que nous croyons devoir rapporter à ce type le Chasselas de Negrepont (baron de Salamon), le Septembro ou Cerèse de l’Isère, le Chapelet rose, et enfin le Chasselas Royal, que l’on a considéré comme synonyme du Chasselas Rose, à tort selon nous, car cette variété présente le caractère de coloration anticipée applicable seulement au type de Chasselas Violet.

Cette coloration anticipée des grappes ainsi que des pédoncules et pédicelles, particulière à cette variété, est fort intéressante, et ce n’est pas sans surprise, en effet, qu’on voit dès le printemps, alors que la vigne cesse à peine de fleurir, les grappes déjà colorées d’un pourpre violet. Contrairement à ce qui arrive chez les autres variétés, cette coloration diminue sensiblement d’intensité, par la suite, de sorte qu’à l’époque de la maturité, les grappes se rapprochent beaucoup, comme couleur, de celles du Chasselas Rose, et qu’il est alors assez difficile de les en distinguer.

D’ailleurs, à part les caractères généraux de couleur des grappes, l’intensité de la nuance, peut varier sensiblement, suivant l’exposition, la température de l’été, la distance des grappes du sol, et la nature de ce dernier. Dans le Midi, tandis que l’ensemble de la végétation présente une teinte plus claire, plus grisonnante que dans le Nord, les fruits, au contraire, sont généralement plus colorés. Ainsi, la variété que nous venons de décrire, quoique reproduite bien exactement par un artiste fort habile, paraîtra peut-être un peu riche de coloris, si on la compare aux produits de cette même variété, obtenus dans le Nord. C’est que, dans le midi, avec la lumière et la chaleur plus intenses, les grappes qui sont portées par des ceps bas, se trouvent à peu de distance du sol, et subissent alors l’influence d’une forte réverbération qui réagit sur leur coloration. C’est ainsi que parfois, à la suite d’un été exceptionnellement chaud, certaines variétés à grains blancs, et entre autres le Muscat de Frontignan, le Chasselas Musqué, le Chasselas commun, etc., etc., prennent par l’effet de cette réverbération une teinte rosée, quelquefois très-prononcée, qui les rend méconnaissables.

Ainsi, la couleur de la grappe même ne serait pas un caractère constant, subordonnée qu’elle est, soit à des influences locales qui la dénaturent plus ou moins, soit encore à des variations de formes qui la changent même complètement. Tel est, par exemple, le Raisin suisse, désigné plus particulièrement sous le nom de Raisin panaché, dont le même cep produit en même temps des grappes blanches et des grappes noires ; tel est encore l’exemple que nous avons déjà cité à propos du Terret noir, qui a produit plusieurs formes différentes du type, et dont quelques-unes telle que le Terret Bourret et le Terret blanc, se sont tellement propagées par la multiplication, qu’elles semblent de nos jours constituer des variétés distinctes. Ces faits divers, dont les exemples assez nombreux sont le résultat de l’inconstance des variétés de la vigne, viennent à l’appui de ce que nous avons déjà avancé, à savoir que le nombre des variétés réelles de cepages est moins grand qu’on ne le croit généralement, et que cette multitude innombrable de noms différents qui fourmillent de nos jours dans les catalogues de collections autant que dans les ampelographies, peuvent se rapporter à un nombre fort limité de types bien distincts.

Et ce serait assurément une étude infiniment intéressante que celle de chercher à découvrir les affinités qui existent entre les diverses variétés, pour grouper ensemble autour de chaque type, toutes celles qui paraîtraient s’y rapporter et constituer ainsi pour les vignes un commencement de classification.

Disons en terminant, que le Chasselas Violet est un excellent raisin de table, d’une très-belle apparence, et d’un goût fort agréable, qu’on ne saurait trop multiplier et répandre. Il a de plus, pour le nord surtout, l’inappréciable mérite d’être sensiblement plus hâtif que le Chasselas de Fontainebleau, et à ce titre doit être recommandé pour celles des contrées septentrionales, où la culture de la vigne est possible.

Félix Sahut.