Annales de pomologie belge et étrangère/Poire Bon-Chrétien d’hiver

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Poire Bon-Chrétien d'hiver.


(Spécimen récolté sur pyramide.)

Cette richesse de la pomologie moderne doit conduire à une grande sévérité dans le choix des variétés anciennes. Nous ne pouvons cependant oublier de mentionner, dans les Annales de Pomologie, la plus ancienne des poires, ce bon-chrétien d’hiver, si vanté par tous les auteurs. Citée par Olivier de Serres dans le Théâtre d’agriculture, cette poire est, suivant la Quintinie, la meilleure de son époque. Cet auteur prétend que les Romains l’ont connue et cultivée sous le nom de Volemium ou Crustemium, si bien, dit-il, qu’elle y a fait souvent figure, dans les magnifiques festins qui s’y faisaient, soit pour augmenter l’éclat des triomphes, soit pour honorer les rois tributaires, qui venaient rendre hommage aux maîtres du monde.

Des écrivains du xvie siècle disent que ce fruit est dû à saint Martin de Tours, qui, selon Merlet, l’apporta de Hongrie ; d’autres en attribuent l’honneur à saint François de Paule, surnommé le bon-chrétien, à la cour de Louis XI ; il aurait trouvé cette poire en Calabre[1]. Quoi qu’il en soit de ces diverses origines, le bon-chrétien était si estimé, que, selon de vieilles chroniques, de belles poires de cette espèce étaient offertes aux souverains dans les circonstances solennelles. Sous Louis XIV, un présent de ce genre était fort distingué. Molière constate cet usage dans l’une des scènes de la Comtesse d’Escarbagnas.

Le bon-chrétien n’est plus aussi en faveur que jadis ; il mérite cependant d’être cultivé dans les situations et les terrains qui lui conviennent, à cause de son beau volume, de sa longue durée, de sa chair sucrée et parfumée, enfin, de sa qualité de premier ordre pour la cuisson. Sa forme est si connue comme l’un des principaux types du genre poirier, qu’il est presque inutile de la décrire.

Dans les pays méridionaux, le bon-chrétien est plus généralement cultivé qu’en Belgique, où il exige, pour donner de beaux et bons produits, une exposition chaude et un sol léger et calcaire. Nous connaissons plusieurs localités réunissant ces conditions, où l’on obtient, même sur pyramides, d’abondantes récoltes et de magnifiques fruits de cette variété. Mais les terrains froids et argileux ne conviennent pas au bon-chrétien ; ses fruits y sont le plus souvent gercés et toujours sans saveur.

On greffe cette variété sur franc et sur coignassier.

Une longue culture, dans des climats très-divers, a modifié cette poire à tel point que l’on trouve dans le commerce des bon-chrétien verts, dorés, voire même panachés ; ce fait était connu des anciens auteurs, qui s’accordent à considérer ces prétendues variétés comme des déviations du type primitif.

Ce fruit commence à mûrir en janvier et dure jusqu’au printemps. Une poire de bon-chrétien, parvenue à sa parfaite maturité, peut se conserver un mois et plus sans se gâter.

Nous ne saurions mieux décrire le bon-chrétien que ne l’a fait Duhamel, et nous lui empruntons la description suivante :

« Le bourgeon est gros, court, droit, gris clair, tiqueté de points imperceptibles, très-aplati au-dessous des supports.

» Le bouton est gros, allongé, pointu, brun, écarté de la branche ; son support est très-large et peu élevé.

» Les feuilles sont de moyenne grandeur, allongées, terminées en pointe, les unes dentées finement et peu profondément, les autres ayant seulement quelques dents vers la pointe ; les bords forment de grandes sinuosités ; le pédicule est long de deux pouces et souvent davantage.

» La fleur a quinze lignes de diamètre ; les pétales sont presque ronds, creusés en cuilleron ; quelques-uns légèrement teints de rouge sur les bords. Les sommets des étamines sont d’un beau pourpre vif.

» Les fruits sont très-gros, les uns pyriformes, les autres imitant un peu la calebasse, la plupart figurés en pyramide tronquée. Le côté de la tête est très-renflé. L’œil est placé dans une cavité large et profonde, souvent ovale ou aplatie, bordée de bosses, qui s’étendent sur une partie du fruit, et y forment des côtes, de sorte qu’il est tout anguleux ; le côté de la queue diminue de grosseur, sans se terminer en pointe ; il est tronqué obliquement ; la queue est ordinairement longue de quinze lignes, et un peu charnue à sa naissance ; elle est plantée dans une cavité dont les bords sont relevés de bosses ou côtes. Il se trouve de ces fruits qui ont jusqu’à 4 pouces de diamètre sur 6 pouces de hauteur.

» La peau est fine, d’un jaune clair tirant sur le vert du côté de l’ombre, et frappé d’incarnat du côté du soleil.

» La chair est fine et tendre, quoique cassante ; l’eau est assez abondante, douce, sucrée et même un peu parfumée ou vineuse. »

A. Royer.
  1. On trouve les vers suivants dans un journal de Verdun de 1730 :

    L’humble François de Paule était par excellence
    Chez nous nommé le bon chrétien,
    Et le fruit dont le saint fit part à notre France
    De son nom emprunta le sien.