Anthologie (Pierre de Coubertin)/I/XVII

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Anthologie (Pierre de Coubertin)/I
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 37-38).

Le respect des saisons.

Time is money. Hâtons-nous… vite, vite. Une telle formule indéfiniment répétée a eu sa répercussion pédagogique. On a raccourci l’enfance, on supprime l’adolescence. Plus d’âge ingrat. Les gosses seront tenus pour grandes personnes et traités comme telles dès leur dixième année. Par là, la période d’activité pratique d’un chacun se trouvera grandement accrue et le productivisme sera satisfait. Croyez-vous vraiment ? Comptez-vous que cette suppression du premier printemps va engendrer une extension de l’été et que l’automne s’abstiendra de débarquer prématurément dans des organismes fatigués ? Les parents encouragent. Ils trouvent charmant que leurs gamins s’avèrent malins, calculés, pratiques. On sourit d’eux d’ailleurs quand ils se montrent naïfs. Leurs attitudes de petits hommes roublards et de petites femmes coquettes sont applaudies imprudemment. Bientôt une autre forme de précocisation s’affirme. On parle de la « forte génération » que la pratique des exercices virils prépare, mais c’est une génération falotte et névrosée qui pourrait bien, en fin de compte, sortir de là. La raison en est simple. Une expression populaire la définit : il ne faut point brûler la chandelle par les deux bouts. C’est justement ce que l’on est en train de faire. Il devient évident que le « fêtardisme » actuel n’est pas la simple détente saine et normale d’un lendemain de guerre, d’une guerre longue et dure qui a tendu les nerfs, mais qu’il est le produit d’une morale en loques. Nous nous payons de mots. Nous qualifions de modernisme ce qui n’est que pourriture et de liberté littéraire ce qui n’est que licence pornographique. Partout encouragée, la pornographie pénètre dans les foyers les plus respectables et y dépose le germe de la tuberculose physiologique et psychique. Une extravagante veulerie arrête les protestations. Ceux qui volontiers les formuleraient sont retenus par la terreur de paraître « vieux jeu ». Les jeunes sportifs trouvaient dans la joie de leurs muscles durcis et de leur santé fortifiée le meilleur principe de résistance, mais sur eux s’abat maintenant la nuée bourdonnante des « petites amies » en quête d’initiations prématurées. Une littérature dévergondée vient à la rescousse. Or, le sport comporte une dépense intense d’énergie corporelle : dépense qui sera récupérée et au-delà, c’est entendu, mais à condition de ne point se doubler d’une dépense simultanée d’un autre ordre, que l’organisme juvénile n’est point fait pour supporter aussi aisément qu’il supporte l’effort musculaire. Cette simultanéité paraît inoffensive pour les robustes. En réalité, elle atteindra rapidement la race dans sa sève. En attendant que la famille et l’opinion défaillantes se ressaisissent, c’est aux sportifs eux-mêmes à intervenir près de leurs cadets. C’est aux aînés à avoir le courage de le dire et de le répéter : on ne peut pas être à la fois sportif et fêtard. On ne le peut pas sans préparer un triste avenir à soi-même, à sa patrie, à sa race. Que ceux qui veulent continuer à faire la fête s’abstiennent plutôt de sport. Cela vaudra mieux pour tout le monde. Qu’on ne l’oublie plus, la nature reprend vite ses droits. Gare aux automnes et aux hivers précoces et qu’en poussant la fleur, vous ne fassiez simplement tomber plus tôt la feuille !

U. P. U., 1928.