Anthologie des humoristes français contemporains/Léon Gozlan

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Anthologie des humoristes français contemporainsLibrairie Delagrave (p. 47-49).


LÉON GOZLAN

(1806-1866)

Bibliographie. — Le Notaire de Chantilly, roman (1836) ; — Washington ; — Levert et Socrate Leblanc (1838) ; — le Médecin du Pecq (1839) ; — la Dernière Sœur grise (1842) ; — le Dragon rouge (1843) ; — Aristide Froissard (1844) ; — les Nuits du Père-Lachaise (1845) ; — Histoire de cent trente femmes (1853) ; — le Lilas de Perse (1854) ; — Balzac en pantoufles (1856) ; — les Émotions de Polydore Marasquin (1857) ; — la Folle No (1861) ; — le Vampire du Val-de-Grâce (1862) ; — plusieurs recueils de nouvelles : les Méandres (1842) ; — la Nuit blanche (1844) ; — les Vendanges (1853) ; — le Tapis vert (1855) ; — la Folle du logis (1855).

Théâtre : la Main droite et la Main gauche (Odéon, 1842) ; — le Livre noir ; — Louise de Nanteuil ; — le Gâteau des Reines (Théâtre-Français, 1855) ; — la Pluie et le Beau Temps ; — Une Tempête dans un verre d’eau, etc.


Hippolyte Babou a écrit, dans les Sensations d’un Juré (Lemerre, 1875), une biographie de Gozlan, à laquelle nous emprunterons les lignes que l’on va lire, les mieux faites, nous a-t-il semblé, pour donner une idée de ce que fut l’auteur de Polydore Marasquin.

« Léon Gozlan a toujours été, de son vivant, un personnage énigmatique : vingt-quatre heures après sa mort, il était devenu un personnage légendaire…

« Il est né, dit-on, à Marseille… Quelle est l’année de sa naissance, 1806, 1803, 1799 ? Rêvez, conjecturez, choisissez : il plaît à la légende que Léon Gozlan, qui dissimulait son âge, ait été bercé sur le seuil du XIXe siècle, par la main défaillante du XVIIIe.

« Comment s’est passée son enfance ? Autour d’une église ou d’une synagogue ? L’a-t-on baptisé, l’a-t-on circoncis ? Ici les témoignages se croisent et se brouillent : c’est un écheveau sous la patte d’un chat… Il ne savait ni le Vieux Testament ni le Nouveau, ni le Catéchisme ni le Talmud, ni le latin ni l’hébreu, quand il s’embarqua, dit-on, sur un navire marchand qui faisait voile vers le Sénégal…

« On ignore ce que le capitaine vendit aux colons et aux sauvages ; mais son jeune passager a raconté plus tard qu’il revint à Marseille au milieu de marchandises vivantes qui encombraient et affamaient le navire. Le capitaine ramenait en France tout un bataillon de singes faméliques… Est-ce en compagnie de ces quadrumanes que Léon Gozlan devint assez naturaliste pour décrire plus tard avec tant d’ironie les mœurs de l’espèce simiesque, dans ce livre si sage et si fou, les Émotions de Polydore Marasquin ? Est-ce alors qu’il étudia les gibbons et les jockos, les papions et les mandrilles, les ouendrons et les patas, les doues et les moustacs, les talapoins et les mangabeys ? Polydore Marasquin, dans ses Émotions, ne se souvient-il pas des premières observations du jeune Gozlan ? Est-il vraisemblable que ce Portugais de Macao, qui n’avait pas lu Voltaire, ait eu la fantaisie satirique de poursuivre et d’atteindre l’homme sous le poil du singe ?

« Non, ami Polydore Marasquin, non, digne et grotesque marchand d’oiseaux, ce n’est pas ta sagacité qui a découvert chez les macaques, derrière les grilles d’une ménagerie, toutes les vocations et toutes les professions humaines. Le singe-avocat, le singe-comédien, le singe-médecin, le singe-filou, sont des personnages comiques fabriqués par Léon Gozlan le romancier, avec les souvenirs du jeune voyageur Léon Gozlan. »

Léon Gozlan fut probablement sous-maître dans un collège de Marseille. Après quoi il arriva à Paris, y apprit le latin, entra au Figaro, fut secrétaire de Balzac et publia, dans la Revue de Paris, l’Homme sans nom, la Pastorale homicide, l’Histoire de quatre savants, les Petits Machiavels et la Frédérique.

Il fit représenter un grand nombre de pièces de théâtre. La Tempête dans un verre d’eau fut jouée, à Paris et en province, près de dix mille fois. La Pluie et le Beau Temps obtint, à la Comédie française, un succès retentissant.

M. Jean Bernard, dans son volume sur la Vie de Paris (1910), rapporte de lui cette pensée retrouvée sur un album :

« Comme je suis un peu fou, j’ai toujours rapporté, je ne sais pourquoi, à une couleur ou à une nuance les sensations diverses que j’éprouve. Ainsi, pour moi, la pitié est bleu tendre, la résignation est gris-perle, la joie vert-pomme, la satiété est café-au-lait, le plaisir est rose velouté, le sommeil est fumée de tabac, la réflexion est orange, la douleur est couleur de suie, l’ennui est chocolat, la pensée pénible d’avoir un billet à payer est mine de plomb, l’argent à recevoir est rouge chatoyant, le jour du terme est couleur de terre de Sienne ! vilaine couleur ! Il Aller au premier rendez-vous, couleur thé léger ; à un vingtième, thé chargé. Quant au bonheur complet… couleur que je ne connais pas. »

Théophile Gautier le définissait « un esprit taillé à facettes ».

« Jamais homme, dit encore de lui Hippolyte Babou, n’a été plus embarrassé que lui des fonctions, des dignités ou des honneurs qu’il a obtenus, après les avoir convoités, en feignant de les écarter de son chemin… S’il avait eu la joie de conquérir ce qu’il désirait le plus après la croix d’honneur, l’un des quarante fauteuils de l’Académie française, il se serait aussitôt porté candidat au quarante et unième.

« Léon Gozlan n’est pas mort, me disait un chroniqueur en roulant sa cigarette, il a donné sa démission de la vie,

« — Hélas ! lui répondis-je en lui donnant du feu de mon cigare, c’est la seule qu’il ne pourra pas retirer. »

Léon Gozlan mourut à Paris, en 1866.