Anthologie des matinées poétiques/Nicolas Beauduin

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NICOLAS BEAUDUIN



Nicolas Beauduin, jusqu’à L’Offrande Héroïque, se rattachait à la lignée des grands lyriques français. Il témoignait d’un amour profond du Verbe, et proclamait sa confiance en la mission idéaliste du poète. On ne cessera pas de le regarder comme l’auteur de ces Triomphes, de ces Cités du Verbe, où il a le mieux fait resplendir les dons abondants de ce que certains ont appelé son génie. Et l’Histoire littéraire a inscrit définitivement la part qu’il prit à l’illustration du Paroxysme : au moment où grondait en puissance la guerre imminente, Nicolas Beauduin s’attachait à tracer une vigoureuse apologie de la civilisation mécanicienne. Il y aurait quelque exagération à prétendre que ce beau poète rejette l’œuvre d’hier, mais si l’on a souci de le situer dans l’instant présent, il faut noter que le grand lyrique a tordu son cou à l’éloquence. La forme de son actuelle poésie, riche d’évocations, d’images, de couleurs et de suggestions, peut déconcerter, mais comment ne pas accorder tout crédit spirituel aux recherches du poète dont on a lu les volumes avec le sentiment que la Beauté se prodiguait à nous sous les espèces d’une poésie à la haute superbe ? Nicolas Beauduin, qui se veut révolutionnaire, à mon sens s’avère un mystique. Faisons-lui confiance : aux mystiques le royaume de l’Esprit appartient.

Gaston PICARD

PRINTEMPS DE FRANCE


J’imagine un printemps où tout refleurira
De ce qui fut détruit par la Bête de haine.
J’imagine un printemps de paix où l’on verra
Les moissons de la gloire onduler sur la plaine.
J’imagine partout un vaste renouveau

De la terre de France où vit la race grande.
J’imagine un printemps de rêve et de légende,
Un printemps où les fleurs couvriront les tombeaux,

Effaçant à jamais les traces de la guerre,
Pour ne plus laisser voir aux yeux de nos enfants
Que les petites croix montant dans la lumière
Avec des gestes triomphants.

Vailly, Tracy-le-Val, les Hurlus et Boureuilles,
Ville-sur-Tourbe avec ses murs démantelés,
Souriront dans leur clos de roses et de feuilles.
Et Perthes dans son horizon de champs de blé.

Suippes ressuscité fera tinter ses cloches ;
Et Vauquois, redressant au ciel sa haute tour.
Avec Craotine, assis sur son plateau de roches,
Entonneront un chant de victoire et d’amour.

Les forges ronfleront dans Ablain-Saint-Nazaire,
Au loin le Vieil Armand rira dans le soleil.
Et les feux du couchant se feront plus vermeils
Sur la ferme de Quennevière.

J’imagine un concert de cloches et d’oiseaux,
De cloches qu’on dirait volant à tire-d’aile,
De cloches répandant et par monts et par vaux
La bonne et divine nouvelle.

J’imagine le chant des cloches de l’Artois,
Celles d’Alsace, de Moselle, et des Ardennes,
Celles de Metz, celles d’Arras au fier beffroi,
Celles de Lille répondant à Valenciennes.

Oh ! ce chœur entendu par moment dans mon âme,
Ce chant universel, ce chant futur et vrai,
Où tu mêles, ô Reims, ta grande voix de flamme
Aux jaquemarts et aux carillons de Cambrai !

Ô Seigneur, puissions-nous, Seigneur, bientôt l’entendre
Ce chant joyeux, ce chant pieux, ce chant vainqueur,
Unissant les accords des cloches de la Flandre
À celles de Paris qui vibrent dans mon cœur !

Puissions-nous dans la joie et la patrie en fête
Entendre vos appels, ô vieux clochers amis,

Saintes cloches d’espoir, cloches encor muettes,
Cloches des terroirs envahis !

Puissions-nous vous entendre, en crevant l’ombre noire
Que sur nos fronts en deuil l’ennemi déploya,
Chanter à mon pays l’ardent alléluia
Et son réveil dans la lumière et dans la gloire !

Hiver 1915.