Anthologie des poètes français contemporains/Glatigny Albert

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Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 147-151).







Bibliographie. — Les Vignes folles (1857), — L’Ombre de Callot, prologue en un acte et en vers (1863) ; — Vers les saules, comédie en un acte et en vers (1864) ; — Les Flèches d’or (1864) ; — Pès de Puyanne, drame en trois actes (1866) ; — Prologue pour l’ouverture des Délassements comiques (1867) ; — Le Bois, saynète (1868) ; — Le Compliment à Molière, à-propos en un acte, représenté à l’Odéon le 13 janvier 1872 (1872) ; — Le Singe, comédie en un acte (1872) ; — Gilles et Pasquins, poème (1872) ; — L’Illustre Brisacier, drame en un acte (1873) ; — Poésies complètes. — En outre : Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la B… (Bruxelles, 1866) ; — Les Bons Contes du sire de la Glotte, suivis de La Chaste Suzanne, opéra-comique en un acte ; — Babel à l’étage de la confusion des langues (Bruxelles, 1872) ; — Le Fer rouge. Nouveaux Châtiments (France et Belgique, chez tous les libraires, 1871) ; — La Presse nouvelle (Paris, 1872) ; — et un grand nombre de pièces de circonstance, chansons, poèmes, etc., pour la plupart improvisés et éparpillés un peu partout dans différents journaux de province, entre autres : Le Testament de l’illustre Brisacier.

Les œuvres d’Albert Glatigny se trouvent chez Alphonse Lemerre.

Albert Glatigny a collaboré an Parnasse et à divers journaux et revues.

Joseph-Albert-Alexandre, dit Albert Glatigny, né à Lillebonne (Seine-Inférieure) le 21 mai 1839, mort à Sèvres le 16 avril 1873, était fils d’un ouvrier charpentier. « Nommé gendarme en 1844, le père de Glatigny transporta ses pénates à Bernay, l’enfant l’y suivit et fut placé comme boursier au collège de la ville. Il en sortit pour entrer dans une étude d’huissier, puis en qualité d’expéditionnaire au greffe du tribunal de commerce. Il s’échappait presque aussitôt et gagnait Pont-Audemer, où il trouvait une place d’apprenti typographe et composait pour le théâtre de la localité un grand drame en trois actes et en vers, Les Bourgeois de Pont-Audemer au dix-septième siècle… Son premier drame lui avait coûté au juste quatre jours. Engagé à dix-sept ans dans une troupe de comédiens qui passaient par Pont-Audemer, il se mettait à courir la province avec eux, composait dans une cour d’hôtel de Falaise un nouveau drame en vers sur Guillaume le Conquérant, visitait Nevers, Epinal, Belfort, Paris, Bruxelles, et rencontrait enfin, à Alençon, Poulet-Malassis, qui lui faisait connaître les Odes funambulesques de Théodore de Banville. Ce fut une révélation. Quelques mois plus tard, il publiait Les Vignes folles (1857), où l’influence de ce maître est particulièrement sensible.

Il n’avait cependant pas renoncé à sa vie errante et courait seul ou avec sa troupe les principales villes de province : Nancy, où il écrivait, pour l’ouverture du théâtre, un prologue en un acte, en vers, L’Ombre de Callot (1863) ; Vichy, où il donnait au Casino Vers les saules, comédie en un acte, en vers (1864) ; Bayonne, qui lui inspirait successivement un grand drame en trois actes, Pès de Puyanne, et une saynète délicate, Le Bois (1868) ; entre temps, il faisait de courtes apparitions dans la capitale et s’y liait avec M. Catulle Mendès, qui venait de fonder la Revue fantaisiste. En 1864, il avait publié un nouveau recueil de vers, Les Flèches d’or, d’un lyrisme souvent heureux et sincère et d’une langue plus châtiée.

Il revenait ensuite au théâtre avec un Prologue pour l’ouverture des Délassements comiques (1867), Le Compliment à Molière (1872), Le Singe (1872), L’Illustre Brisacier (1873). Un troisième et dernier recueil de vers, Gilles et Pasquins, paraissait de lui en 1872. Ce recueil, joint aux précédents, devait servir à former l’édition complète de ses poésies. L’année suivante, Glatigny était emporté par une maladie de poitrine dont il avait peut-être contracté le germe en Corse, où un gendarme, qui le prenait pour l’assassin Jud, l’avait stupidement enfermé pendant plusieurs jours dans une manière de cave servant de salle de police aux indigènes de Bocognano. Le poète s’était marié en 1871 à Melle Emma Dennie, et quand son mal ne laissait plus aucun espoir, sa jeune femme le soigna avec un dévouement admirable et lui survécut à peine. » (Charles Le Goffic.)

Ainsi Albert Glatigny, « une des plus étranges figures littéraires qu’ait peut-être vues notre âge », sut en un moment, comme d’instinct et par révélation, — après avoir dévoré et relu le livre par lequel il avait eu la révélation du vrai langage qu’il était destiné à parler, — « ce métier laborieux, compliqué et difficile de la poésie, si divers et si inépuisable, qu’on met toute sa vie à l’apprendre ». « Ce qui constitue l’originalité curieuse et sans égale d’Albert Glatigny, c’est qu’il est non pas un poète de seconde main et en grande partie artificiel, comme ceux que produisent les civilisations très parfaites, mais, si ce mot peut rendre ma pensée, un poète primitif, pareil à ceux des âges anciens, qui eût été poète quand même on l’eût abandonné petit enfant, seul et nu dans une lie déserte. » (Théodore de Banville.)



LES BOHÉMIENS


Vous dont les rêves sont les miens,
Vers quelle terre plus clémente,
Par la pluie et par la tourmente,
Marchez-vous, doux Bohémiens ?

Hélas ! dans vos froides prunelles
Où donc le rayon de soleil ?
Qui vous chantera le réveil
Des espérances éternelles ?

Le pas grave, le front courbé,
A travers la grande nature
Allez, ô rois de l’aventure !
Votre diadème est tombé !

Pour vous, jusqu’à la source claire
Que Juillet tarira demain,
Jusqu’à la mousse du chemin,
Tout se montre plein de colère.

On ne voit plus sur les coteaux,
Au milieu des vignes fleuries,
Se dérouler les draperies
Lumineuses de vos manteaux !

L’ennui profond, l’ennui sans bornes,
Vous guide, ô mes frères errants !
Et les cieux les plus transparents
Semblent sur vous devenir mornes.

Quelquefois, par les tendres soirs,
Lorsque la nuit paisible tombe,
Vous voyez sortir de la tombe
Les spectres vains de vos espoirs.

Et la Bohême poétique,
Par qui nous nous émerveillons,
Avec ses radieux haillons
Surgit, vivante et fantastique.


Et, dans un rapide galop,
Vous voyez tournoyer la ronde
Du peuple noblement immonde
Que nous légua le grand Callot.

Ainsi, dans ma noire tristesse,
Je revois, joyeux et charmants,
Passer tous les enivrements
De qui mon âme fut l’hôtesse :

Les poèmes inachevés,
Les chansons aux rimes hautaines,
Les haltes au bord des fontaines,
Les chants et les bonheurs rêvés ;

Tout prend une voix et m’invite
A recommencer le chemin,
Tout me paraît tendre la main…
Mais la vision passe vite.

Et par les temps mauvais ou bons,
Je reprends, sans nulle pensée,
Ma route, la tête baissée,
Pareil à mes chers vagabonds !


LES JOUETS


Pour l’avoir rencontrée un matin, je l’aimai,
Au temps où tout nous dit les gaîtés naturelles,
Quand les arbres sont verts, lorsque les tourterelles
Gémissent de tendresse au clair soleil de mai.

Nos âmes échangeaient de longs baisers entre elles,
Tout riait près de nous, et, dans l’air parfumé,
On entendait des bruits d’amoureuses querelles.
Mon cœur, alors ouvert, depuis s’est refermé.

Et ne me demandez jamais pour quelle cause
Vers un autre côté la fille svelte et rose
A détourné ses yeux doux comme les bluets ;

Car, pour ne pas laisser leurs mains inoccupées,
Les enfants, sans pitié, brisent leurs vieux jouets
Et retirent le son du ventre des poupées !