Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Adolphe Ribaux

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. Illust.-430).



ADOLPHE RIBAUX

ADOLPHE RIBAUX



ADOLPHE RIBAUX


1864




Adolphe Ribaux, né en 1864 à Bevaix, près de Neuchâtel (Suisse), a publié en 1882 Feuilles de Lierre, bientôt suivies de Vers l’Idéal (1884). Dans ces deux premiers livres, il chante, avec un vif sentiment de la nature, les montagnes, les lacs, les forêts de l’horizon familier qu’il n’a pas quitté encore. Rosaire d’Amour (1887) témoigne d’une évolution notable. Plus sûr de sa forme, l’auteur a vu Paris et puisé à de nouvelles sources d’inspiration, sans laisser tarir les anciennes. La complexité de la vie contemporaine lui est apparue ; son âme neuve en a profondément ressenti les tristesses et les gloires, mais en même temps — loué soit-il ! — il a su garder un fidèle et touchant amour au sol natal, à cette Suisse Romande dont il est déjà l’un des meilleurs poètes.

En prose, M. Ribaux a publié : Contes de Printemps et d’Automne, Le Noël du vieux Wolf, et un roman, L’Amour et la Mort.

Ses poésies ont paru chez Sandoz et Thuillier, Attinger, et Alphonse Lemerre.

Auguste Dorchain.





NOCTURNE




Nuits d’été, Nuits d’amour, belles Nuits embaumées
Par les tièdes senteurs que les roses fermées,
Vers les étoiles d’or, exhalent doucement,

Nuits calmes où l’extase est naturelle à l’âme,
Claires Nuits qui semblez, un vaste épithalame,
Nuits pleines de silence et de recueillement ;

Je vous aime, et mon cœur en vos clartés se noie ;
Mais, quand s’épanouit le cantique de joie,
Mon cœur songe au bonheur qui trop tôt dut finir,
Et ni ces astres purs, ni cette lune blonde
Qui mouille ses cheveux au bleu cristal de l’onde,
Ne m’ont pu consoler du divin souvenir.

Les parfums du jasmin, perçant la feuille verte,
Arrivent jusqu’à moi par la fenêtre ouverte ;
Les premiers foins coupés ont des parfums troublants,
Et l’on entend frémir dans la brise incertaine
Le sifflet du bouvier qui chasse à la fontaine
Les troupeaux fatigués de bœufs rouges et blancs.

Du Jura, par instants, souffle une fraîche haleine ;
Le village, au milieu des vergers, dans la plaine,
S’endort, las du travail sous l’accablante ardeur ;
C’est l’heure de la paix, l’heure calme ec divine,
Où le ciel éblouit la terre, où l’on devine
Que sur ces humbles toits veille un œil protecteur.

Hélas ! ni les foins roux sous la lune pâlie,
Ni les jasmins en fleur, ni le rosier qui plie,
N’apporteront l’oubli du mirage enchanté.
Tous les cœurs exilés rêvent la délivrance ;
Créés pour le bonheur, nous vivons d’espérance,
Et l’amour infini veut l’immortalité !

Mais où trouver la paix, ô mon cœur solitaire ?
Sous le ciel radieux est-il un coin de terre
Ou dans l’isolement l’on trouve le bonheur ?

Est-il un sûr abri pour l’âme inassouvie,
Un printemps si charmeur qu’il suffise à la vie,
Un cœur qui, triste et seul, n’appelle un autre cœur ?

Nuits d’été, Nuits d’amour, belles Nuits embaumées,
Je connais quelque part des lèvres trop aimées,
Dont le chaste baiser m’a grisé sans retour.
L’Idéal n’est réel qu’en deux âmes unies,
C’est à deux seulement que vous êtes bénies,
Nuits pleines de parfums, Nuits d’été, Nuits d’amour !


(Rosaire d’Amour)





LE JARDIN




Dans les beaux vases grecs de jade et de porphyre,
Les fleurs de pourpre et d’or s’ouvrent sous le zéphire
Le ciel clair par milliers allume ses flambeaux ;
C’est une de ces nuits de joie et de mystère,
Où les morts de vingt ans s’éveillent sous la terre,
Et, pour aimer encor, sortent de leurs tombeaux.

Dans les vasques, roulant des perles par centaines,
Les jets d’eau parfumés et les fraîches fontaines
Étincellent, miroir des astres éclatants.
Et, sans troubler d’un bruit l’adorable silence,
Superbes de lenteur, fiers de leur nonchalance,
Des cygnes somptueux voguent sur les étangs.

Les palmes, lentement de la brise battues,
Caressent la pâleur vivante des statues
Qu’un doux rayon de lune éclaire avec amour ;


Et ces marbres, cachés sous le rideau des branches,
Animent le jardin de vagues formes blanches
ie l’on voit disparaître et briller tour à tour.

Parterres et bosquets, d’une flore inconnue
S’émaillent, comme pour fêter ta bienvenue,
Ô Sœur de l’Idéal, ô Reine de Beauté !
Citronniers verts, mêlant les fleurs aux pommes mûres,
Et myrtes, que le vent emplit de longs murmures,
Embaument à l’envi la tiède nuit d’été...

Et c’est une féerie immortelle et charmante ;
Le rossignol, berceur ému de l’eau dormante,
Dans l’ombre, égrène au loin son chant délicieux.
L’âme des blancs jasmins monte jusqu’aux étoiles,
La lune au front d’argent a percé tous les voiles :
Partout même splendeur, sur terre et dans les cieux.

Ce Jardin est celui de ma jeune Pensée,
Dont vous êtes la chère Amie et Fiancée,
Que vous seule inspirez, et qui vous appartient.
Sans vous ma vie obscure hésite et tremble toute,
Il me faut vos regards pour voir clair sur ma route,
À mon bras, pour lutter, il faut votre soutien !

Ce jardin autrefois était morne et livide,
Vide comme un désert sous l’ennui du ciel vide,
Sans bouquets ni rayons, sans espoir ni bonheur ;
Et si parfois quelqu’un s’y promenait dans l’ombre,
De quelque rêve mort c’était le spectre sombre,
Comme Hamlet en put voir au palais d’Elseneur.

Mais l’avril a paru, car vous êtes venue,
Belle comme l’aurore et comme elle ingénue ;
Le printemps s’est levé sur le triste désert.

Ravi, Pygmalion a vu sa Galatée !
Hosanna ! Hosanna ! l’âme est rcssuscitée,
Le temps des pleurs s’achève en sublime concert !

Aussi, quand vous passez, sereine et souveraine,
Laissant sur le chemin flotter en longue traîne
La robe de lumière aux plis harmonieux,
Le jardin tout entier vous accueille et vous fête,
Ô chaste vision qu’attendait le poète,
Qui descendis vers moi par l’escalier des cieux !

Sous le souffle léger du zéphyr qui s’embrase,
C’est pour vous que les flots ont un hymne d’extase,
Les étoiles pour vous entr’ouvrent leur œil pur ;
Et, jalouses pourtant de ta beauté rivale,
Les fleurs font un tapis de pourpre triomphale,
Sous tes pieds, qui devraient ne fouler que l’azur.

Puisque tout est mauvais dans la vie inutile,
Puisqu’un réel brutal chaque jour y mutile
Nos désirs les meilleurs, nos espoirs les plus doux,
Restons, restons toujours dans ce jardin du rêve :
Nos cœurs y garderont une éternelle sève,
L’éternité d’amour y commence pour nous !

Prends ma main, guide-moi vers le Beau qui demeure !
Maternelle et divine, en tous lieux, à toute heure,
Laisse-moi, jusqu’au bout, te suivre pas à pas.
Détourné, grâce à toi, de tout culte illusoire,
Je te devrai mes vers, je te devrai ma gloire,
Et, si j’ai des lauriers, tu les effeuilleras.

Ô fille de Platon, malgré le siècle louche,
L’antique abeille d’or habite sur ta bouche ;
Phidias eût sculpté tes traits marmoréens.

Tu ne sais rien du mal, ses hontes ni ses ruses,
Chaste et fière, ta place est au chœur des neuf Muses,
Diotima te sourit aux Champs-Elyséens !

Vierge au cœur de héros, cygne aux blancheurs splendides,
Comme toi, que mes chants soient graves et candides !
Guide-moi, guide-moi vers les deux infinis !
Laissons les hommes fous au plaisir qui les soûle,
Que toujours, loin du monde, à l’écart de la foule,
L’ombre du Bois Sacré couvre nos fronts unis !





LE SOMMEIL DE L’AÏEULE




Depuis que l’été chaud a fait tarir la brise,
Dans le silence ému des longs après-midi,
De fatigues souvent la chère aïeule est prise,
Il tombe un grand sommeil sur son front alourdi.

Elle, dont la tendresse a guidé mon enfance,
Partageant mes chagrins, partageant ma gaîté,
Prélude solennel de la mort qui s’avance,
Je la vois s’engourdir en l’immobilité.

Dans l’antique fauteuil, auprès de la fenêtre
Assise, — la voilà qui tout à coup s’endort.
Malgré les volets clos l’ardeur du ciel pénètre,
Le soleil, à travers, jette sa traîne d’or.

Assoupi, le village est muet et paisible;
Parfois, avec lenteur, passe un char de foin mûr ;
On n’entend rien — qu’un bruit de fontaine invisible,
Et le gazouillis clair des oiseaux dans l’azur.


Le fidèle jasmin qui grimpe à la croisée
De boutons et de fleurs s’est couvert à son tour ;
L’aube, chaque matin, y verse sa rosée,
Les suaves parfums embaument tout le jour...

Calme, l’aïeule dort dans le fauteuil de chêne ;
Son tricot a roulé sur ses tremblants genoux...
Elle dort, — sur sa bouche un souffle glisse à peine
C’est un repos profond, mélancolique et doux.

Alors, interrompant la page commencée,
Repoussant loin de moi les vains livres menteurs,
Je songe, — et la tristesse envahit ma pensée,
Plus subtile, ô jasmin, que tes fines senteurs !

Je songe que, malgré mon amour sans mesure,
Grand’mère, chaque soir me prend un peu de toi;
Car le temps odieux poursuit sa marche sûre,
Et, lorsque vient l’hiver, l’oiseau change de toit.

Ce long sommeil pesant qui ferme tes paupières
Me fait penser, avec un secret désespoir,
À cet autre sommeil, parmi les blanches pierres,
Dans le champêtre enclos où croît le cyprès noir...

Tel un vol enchanté de divines abeilles,
D’insectes musicaux dansant dans un rayon,
Les vers inachevés chantent âmes oreilles,
La Muse me sourit et me tend le crayon.

Travailler ? Je ne puis. La joie est disparue ;
Le Rythme souverain a perdu son attrait.
Pliant, comme un roseau, sous la douleur accrue,
J’ai cru souvent que rien ne me consolerait.


Car tu l’as dit parfois, et ta parole est vraie :
— « Le moment est prochain Je m’en aller ailleurs. »
Pour toi la chose est bonne et n’a rien qui t’effraie,
Ce voyage conduit vers des parvis meilleurs.

Déjà L’éternité, dont ton désir s’affame,
Revanche aux plaisirs courts, baume aux rudes tourments,
Sur tes pas ralentis, âme simple, humble femme,
A mis un avant-goût de ses rassasiements.

Déjà, toi qui voulus m’apprendre la première
Où jaillit pour jamais l’eau vive du bonheur,
Devant tes yeux ravis les Portes de Lumière,
Ô Sainte, ont dévoilé la gloire du Seigneur !

C’est pourquoi sur ton front tant de splendeur habite,
Pourquoi, même en dormant, tes mains semblent bénir ;
Comme aux champs de Booz glanait la Moabite,
Voici, ta glane est faite, et la nuit peut venir !...

... C’est l’été. L’azur luit sur la plaine jaunie,
Dans l’air monte toujours le parfum des jasmins,
La paix des jours heureux épand son harmonie ; —
Mais je pleure à présent, la tête entre les mains.

Juillet riche et fécond a beau parer la terre ;
Grand’mère, un seul objet tient mon cœur attristé :
Laisseras-tu vraiment ton enfant solitaire ?
Que ferai-je ici-bas quand tu m’auras quitté ?