Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Félix Frank

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 297-301).




FÉLIX FRANK


1837




Félix Frank, né à Paris en 1837, s’est fait d’abord particulièrement connaître par ses travaux d’érudition littéraire : éditions critiques du Cymbalum Mundi (1873), des Marguerites de la Reine de Navarre (1874), de l’Heptaméron (1879), etc.

Comme poète, il a publié : Chants de colère (1871), cri d’indignation contre le second Empire ; Le Poème de la Jeunesse (1876), où la note vive de l’espérance et la riche floraison des souvenirs ont inspiré à l’auteur nombre de pages heureuses, entre autres Maison fermée et Le Vieux logis. Le dernier volume publié par Félix Frank, La Chanson d’amour (1885), qui annonce plus de maturité et une plus grande sûreté de main comme exécution, est une œuvre chaude et colorée qui semble remonter au paganisme dans sa modernité.

Les œuvres poétiques de Félix Frank se trouvent chez MM. A. Lemerre, Calman Lévy et Charpentier.

A. L.



MAISON FERMÉE




UN jour que je passais par là,
J’aperçus la maison fermée —
La maison que j’avais aimée,
Et soudain mon cœur se troubla.


Mon regard de pleurs se voila ;
Par les sentiers bordés de lierres,
Je vis des ombres familières
S’enfuir, comme j’arrivais là !

Et je m’écriai : — Nous voilà
Bien seuls tous deux, maison fermée !
Et pas un filet de fumée
Du gai foyer ne me parla.

Que n’avais-je pas jeté là
D’amour, d’espérance ingénue ?
Maison muette, maison nue,
Tu sais comme tout s’envola !

Tu n’as pas oublié cela :
L’oubli n’est qu’une chose humaine…
Si quelque hasard me ramène,
Ah ! reste comme te voilà !

Logis où mon cœur s’enivra,
Ne sois pas une auberge neuve !
Laisse-moi croire, ô maison veuve,
Qu’on voyage, — et qu’on reviendra !




LE PRINTEMPS, C’EST TOI

Tu m’as demandé si c’est le Printemps
Qui m’emplit ainsi d’une ardente sève ?
Le Printemps, c’est Toi, soit qu’Avril se lève
Dans la floraison des bois chuchotants,
Ou bien que Décembre emporte ce rêve !


Tu m’as demandé si c’est le Printemps ?

Le Printemps, c’est Toi ! Prés verts, chambre close,
Il éclaire tout d’un reflet vermeil ;
Il éclaire tout, même le sommeil
Où, vibrant encor, l’amour se repose !
Le Printemps, c’est Toi ! C’est Toi, le soleil !

Toi, par les prés verts et la chambre close !

Nous irons cueillir, au bord des étangs,
La reine des prés dans les grandes herbes
Et l’iris humide aux couleurs superbes !
Mais nous cueillerons, quel que soit le temps,
Des bonheurs partout, des bonheurs par gerbes,

Sans nous demander si c’est le Printemps !




C’ÉTAIT UN VIEUX LOGIS



C’était un vieux logis dans un étroite rue,
Tout petit et perché bien haut sur l’escalier ;
Mais un flot de soleil y réchauffait la vue
En frappant, le matin, au carreau familier.

C’était un vieux logis où circulait une âme,
Où les meubles anciens, aux détails ingénus,
Dans les angles amis jetaient comme une flamme
Et riaient doucement sous les regards connus.


C’était un vieux logis où la famille entière
Avait groupé longtemps ses arides travaux,
Ses efforts qu’animait une volonté fière,
Et ces rêves du cœur, toujours chers et nouveaux !

Jours passés, jours sacrés jusqu’en vos amertumes,
Dans ce pauvre logis vous étiez enfermés :
Ah ! qu’il est triste et doux, l’endroit où nous vécûmes
Souffrant, aimant, heureux de nous sentir aimés !

Entre les quatre murs d’une chambre modeste,
Qui dira ce que l’homme entasse de trésors ?
Trésors faits de sa vie, et dont il ne lui reste
Qu’un pâle souvenir et qu’un songe au dehors !…

Quand il fallut partir de la vieille demeure ;
Quand il fallut partir, — l’ayant bien décidé, —
Là, tel qu’un faible enfant, j’ai perdu plus d’une heure
À penser, à pleurer, seul, dans l’ombre accoudé.

— « C’était un vieux logis ! » murmurait la Sagesse ;
« Un logis plein d’amour ! » disait le cœur tremblant ;
« C’était un vieux logis plein d’intime richesse :
Prendras-tu ta jeunesse aux murs, en t’en allant ?

« C’est là qu’elle vibrait ! Là qu’elle s’est levée,
Radieuse et chantant les clairs matins d’Avril !
C’est là que d’espérance elle fut abreuvée, —
Comme on vole au bonheur, s’élançant au péril !

« C’est là qu’elle versa ses premiers pleurs d’ivresse,
Qu’elle eut ses premiers cris et ses premiers sanglots !
Tout ici lui gardait une chaude caresse ;
Qu’elle s’achève ailleurs, loin de ces vieux échos !

 
« Jadis il existait des foyers toujours stables :
Qui les avait quittés, y pouvait revenir ;
C’est de là que sortaient ces âmes indomptables
Dont le passé puissant ombrageait l’avenir.

« Aujourd’hui la maison est une hôtellerie :
On arrive, on se couche, on s’éveille, et l’on part ;
Et d’aucuns aujourd’hui veulent que la Patrie
Soit une auberge aussi, dédiée au hasard !

« Et pourtant le Progrès et la libre Justice
N’exigent pas que l’homme erre jusqu’à la mort ;
Et pourtant il est bon que chacun se bâtisse
Un nid, pour y garder tout ce qu’il tient du sort !

« Mais c’est la loi de l’or, — c’est le gain, — c’est la fièvre
De ce siècle agité d’un étrange tourment,
Qui partout nous poursuit, et nous chasse, et nous sèvre
De ce bonheur si pur, si calme et si charmant !

« Donc rien n’est ferme et fort désormais, rien ne dure :
Et comme un vil bagage, à l’aventure, on va
Cahotant son passé dans la lourde voiture
Qu’au premier coin de rue — hier au soir — on trouva.

« En route ! Voici l’heure et le logis est vide :
Rêves, propos émus, passé vivant… adieu ! —
C’était un vieux logis où vint plus d’une ride ;
Mais l’âge, dans les cœurs, y retardait un peu.

« C’était un vieux logis dans une étroite rue,
Tout petit et perché bien haut sur l’escalier ;
Mais un flot de soleil y réchauffait la vue
En frappant, le matin, au carreau familier. »