Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Louis Bouilhet

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Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. Illust-138).



LOUIS BOUILHET

LOUIS BOUILHET





LOUIS BOUILHET


1822-1869




Louis Hyacinthe Bouilhet, naquit à Cany (Seine-Inférieure) le 27 Mai 1822. Son père, chef des ambulances dans la Campagne de 1812, passa la Bérésina à la nage en portant sur sa tête la caisse du régiment, et mourut jeune par suite de ses blessures.

Ce détail biographique nous est donné par Gustave Flaubert. L’inaltérable amitié qui lia jusqu’au dernier jour l’éminent prosateur et l’aimable poète fait le plus grand honneur à tous deux.

L’éclatant succès de Melœnis, publiée par la Revue de Paris, révéla d’abord Louis Bouilhet comme un vrai dilettante dans les scènes antiques de la vie romaine. Plus tard, dans les Fossiles, il s’affirma comme un puissant virtuose dans un ample décor du monde antédiluvien.

C’est dans Festons et Astragales et dans Dernières Chansons que nous trouvons de petites toiles magistralement brossées, où le dessin et la couleur rivalisent de justesse et de précision. Ces œuvres de patience et de lumière nous rappellent les riches éventails chinois et les fines laques japonaises où les artistes du Levant traduisent leurs plus chères fantaisies. À côté de ces petites toiles heureuses, Louis Bouilhet aime à nous peindre des scènes humoristiques qui nous font ressouvenir des trumeaux galants où s’épanouissaient les belles rieuses d’autrefois, nos aïeules du siècle dernier : bergers mondains, reines amoureuses et tourterelles roucoulantes, sur des pelouses de haute lisse dans leurs panneaux fleuris.

Outre ses poésies, Louis Bouilhet a fait représenter avec succès plusieurs pièces de théâtre, telles que Madame de Montarcy, Hélène Peyron, etc.

Ses œuvres ont été publiées par A. Lemerre.

André Lemoyne.


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PRINTEMPS




Lève-toi ! lève-toi ! le printemps vient de naître.
Là-bas, sur les vallons, flotte un réseau vermeil.
Tout frissonne au jardin, tout chante, et ta fenêtre,
Comme un regard joyeux, est pleine de soleil.

Les larges espaliers, couverts de boutons roses,
De leur haleine douce embaument le ciel pur.
Seule, la vigne est nue, et, près des fleurs écloses,
Comme un serpent transi rampe au long du vieux mur.

Du côté des lilas aux touffes violettes,
Mouches et papillons bruissent à la fois ;
Et le muguet sauvage, ébranlant ses clochettes,
A réveillé l’amour endormi dans les bois.

Puisque avril a semé ses marguerites blanches,
Laisse ta mante lourde et ton manchon frileux ;
Déjà l’oiseau t’appelle, et tes sœurs les pervenches
Te souriront dans l’herbe en voyant tes yeux bleus.

Viens, partons ! Au matin, la source est plus limpide ;
N’attendons pas du jour les brûlantes chaleurs ;
Je veux mouiller mes pieds dans la rosée humide,
Et te parler d’amour sous les poiriers en fleurs !


(Festons et Astragales)
TOU-TSONG




Le long du fleuve Jaune, on ferait bien des lieues,
Avant de rencontrer un mandarin pareil.
Il fume l’opium, au coucher du soleil,
Sur sa porte en treillis, dans sa pipe à fleurs bleues.

D’un tissu bigarré son corps est revêtu ;
Son soulier brodé d’or semble un croissant de lune ;
Dans sa barbe effilée il passe sa main brune,
Et sourit doucement sous son bonnet pointu.

Les pêchers sont en fleurs ; une brise légère
Des pavillons à jour fait trembler les grelots ;
La nue, à l’horizon, s’étale sur les flots,
Large et couleur de feu, comme un manteau de guerre.

C’est Tou-Tsong le lettré ! Tou-Tsong le mandarin !
Le peuple, à son aspect, se recueille en silence,
Quand, sous le parasol qu’un esclave balance,
Il marche gravement au son du tambourin.

Dans ses buffets sculptés la porcelaine éclate ;
Il a de beaux lambris faits de bois odorants ;
Ses cloisons sont de toile aux dessins transparents,
Et la nappe à sa table est en drap d’écarlate.

Il laisse le riz fade à ceux du dernier rang ;
Le millet fermenté pour le peuple ruisselle ;
Il mange, à ses repas, le nid de l’hirondelle,
Et boit le vin sucré des rives de Kiang.


Puis, sillonnant le lac, au pied des térébinthes,
Sur la jonque bizarre il se berce en rêvant,
Ou, dans le pavillon qui regarde au levant,
Cause avec ses amis, sous les lanternes peintes.


(Festons et Astragales)
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LA COLOMBE



Quand chassés, sans retour, des temples vénérables,
Tordus au vent de feu qui soufflait du Thabor,
Les grands Olympiens étaient si misérables
Que les petits enfants tiraient leur barbe d’or ;

Durant ces jours d’angoisse où la terre étonnée
Portait, comme un fardeau, l’écroulement des cieux,
Un seul homme, debout contre la destinée,
Osa, dans leur détresse, avoir pitié des dieux.

C’était un large front, — un Empereur, — un sage,
Assez haut sur son trône et sur sa volonté
Pour arrêter du doigt tout un siècle au passage,
Et donner son mot d’ordre à la Divinité.

Or, un soir qu’il marchait avec ses capitaines,
Incliné sous ce poids de l’avenir humain,
Il aperçut, au fond des brumes incertaines,
Un vieux temple isolé, sur le bord d’un chemin ;

Un vieux temple isolé, plein de mornes visages,
Un de ces noirs débris, au souvenir amer,
Qui dorment échoués sur la grève des âges,
Quand les religions baissent comme la mer.


Le seuil croulait ; la pluie avait rongé la porte ;
Toute la lune entrait par les toits crevassés.
Au milieu de la route, il quitta son escorte,
Et s’avança, pensif, au long des murs glacés.

Les colonnes de marbre, à ses pieds, abattues,
Jonchaient de toutes parts les pavés précieux ;
L’herbe haute montait au ventre des statues,
Des cigognes rêvaient sur l’épaule des dieux.

Parfois, dans le silence, éclatait un bruit d’aile,
On entendait, au loin, comme un frisson courir ;
Et, sur les grands vaincus penchant son front fidèle,
Phœbé, froide comme eux, les regardait mourir.

Et comme il restait là, perdu dans ses pensées,
Des profondeurs du temple il vit se détacher,
Avec un bruit confus de plaintes cadencées,
Une lueur tremblante et qui semblait marcher.

Cela se rapprochait et sonnait sur les dalles.
C’était un grand vieillard qui pleurait en chemin,
Courbé, maigre, en haillons, et traînant ses sandales,
Une tiare au front, une lampe à la main.

Il cachait sous sa robe une blanche colombe ;
Dernier prêtre des dieux, il apportait encor
Sur le dernier autel la dernière hécatombe…
Et l’Empereur pleura, — car son rêve était mort !

Il pleura, jusqu’au jour, sous cette voûte noire.
Tu souriais, ô Christ, dans ton paradis bleu,
Tes chérubins chantaient sur des harpes d’ivoire,
Tes anges secouaient leurs six ailes de feu !


Et du morne Empyrée insultant la détresse,
Comme au bord d’un grand lac aux flots étincelants,
Dans le lait lumineux perdu par la Déesse,
Tes martyrs couronnés lavaient leurs pieds sanglants.

Tu régnais, sans partage, au ciel et sur la terre ;
Ta croix couvrait le monde et montait au milieu ;
Tout, devant ton regard, tremblait, — jusqu’à ta mère
Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.

Mais tu ne savais pas le mot des destinées,
Ô toi qui triomphais, près de l’Olympe mort ;
Vois : c’est le même gouffre… Avant deux mille années
Ton ciel y descendra — sans le combler encor !

Tu connaîtras aussi, ployé sous l’anathème,
La désaffection des peuples et des rois,
Si pauvre et si perdu que tu n’auras plus même,
Pour t’y coucher en paix, la largeur de ta croix !

Ton dernier temple, ô Christ, est froid comme une tombe :
Ta porte n’ouvre plus sur le vaste Avenir ;
Voilà que le jour baisse et qu’on entend venir
Le vieux prêtre courbé, qui porte une colombe !

(Dernières Chansons)
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LES NEIGES D’ANTAN


 

I




Ce siècle froid et sérieux
Ne croit plus aux folles chimères ;
Ils sont passés les temps joyeux
Dont nous ont parlé nos grand’mères !


Quand l’Amour sensible et bien né,
Secouant des branches fleuries,
Souriait, tout enrubanné,
Dans la fraîcheur des bergeries,

Et, le soir, sous les marronniers,
Pressait la belle qui menace,
Mince, dans sa robe à paniers,
Comme une anguille, dans sa nasse.

Siècle heureux, de bisque nourri,
Dont la morale sans lisières
Se consolait des Dubarri,
Avec la vertu des rosières !

Comme on prenait des airs penchés
Pour mener paître dans la plaine
Quatre moutons endimanchés
Dont on avait frisé la laine !

Et comme, à l’ombre des ormeaux,
C’était une charmante chose
D’entendre au loin vos chalumeaux,
Bergers blonds, en culotte rose !

Pour fuir la cour du roi Pétaud
Ou les croquants de mince étoffe,
On emportait dans son château
Son singe — avec son philosophe.

Et c’était fête, tous les jours,
Grâce aux amabilités jointes
Du petit chien qui fait des tours
Et de l’abbé qui fait des pointes.


Oh ! les soupers sur les balcons !
Les soupers fins, où la campagne
Semblait, au travers des flacons,
De la couleur du vin d’Espagne !

Oh ! l’esprit ! oh ! les bons caquets
Saupoudrés de littérature,
Quand on montait, par les bosquets,
Vers quelque temple à la Nature !

L’ombre, parfois, faisait oser.
Sous l’abri des grottes opaques,
On entendait plus d’un baiser…
Mis sur le compte de Jean-Jacques !

Les vers luisants, dans les gazons,
Brillaient comme des émeraudes ;
Le vent emportait les chansons ;
La nuit mouillait les têtes chaudes ;

Et la bouteille, aux larges flancs
Où l’araignée a mis ses toiles,
Pour les convives chancelants
Doublait le nombre des étoiles !..


II



Hélas ! hélas ! — au gouffre ouvert
Tous sont tombés : — pas un qui bouge !
Un soir, à l’heure du dessert,
Vint à passer l’homme au bras rouge !


Ils se levèrent sans effort,
Le calme au front, l’orgueil dans l’âme,
Doux et polis devant la Mort,
Comme auprès d’une grande dame.

Le jeune au vieux cédait le pas
Avec des grâces enfantines ;
L’urbanité de leur trépas
Fit un salon des guillotines.

On eût dit, à les voir venir
Vers les sanglantes boucheries,
Qu’ils récitaient, pour mieux finir,
L’oraison des galanteries ;

Et leur tête, en ces jours ardents
Où le peuple agitait sa foudre,
Tomba — le calembour aux dents —
Avec un nuage de poudre !…

(Dernières Chansons)







LE TUNG-WHANG-FUNG




La fleur Ing-wha, petite et pourtant des plus belles,
N’ouvre qu’à Ching-tu-fu son calice odorant ;
Et l’oiseau Tung-whang-fung est tout juste assez grand
Pour couvrir cette fleur en tendant ses deux ailes.

Et l’oiseau dit sa peine à la fleur qui sourit,
Et la fleur est de pourpre, et l’oiseau lui ressemble,
Et l’on ne sait pas trop, quand on les voit ensemble,
Si c’est la fleur qui chante, ou l’oiseau qui fleurit.


Et la fleur et l’oiseau sont nés à la même heure,
Et la même rosée avive chaque jour
Les deux époux vermeils, gonflés du même amour.
Mais quand la fleur est morte, il faut que l’oiseau meure.

Alors, sur ce rameau d’où son bonheur a fui,
On voit pencher sa tête et se faner sa plume.
Et plus d’un jeune cœur, dont le désir s’allume,
Voudrait, aimé comme elle, expirer comme lui.

Et je tiens, quant à moi, ce récit qu’on ignore
D’un mandarin de Chine, au bouton de couleur.
La Chine est un vieux monde où l’on respecte encore
L’amour qui peut atteindre à l’âge d’une fleur.


(Dernières Chansons)