Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Paul Mariéton

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Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 278-285).




PAUL MARIÉTON


1862




Paul Mariéton est né à Lyon le 14 octobre 1862. Après s’êre occupé des poètes et des ai listes de sa ville, il a descendu le Rhône, franchissant Valence, Avignon et Arles, et ne s’arrêtant qu’à l’embouchure du fleuve. D’un trait il a poussé jusqu’à la pointe du Midi, plus enthousiaste de la Provence que les Provençaux eux-mêmes, et le plus admirateur des hommes pour la belle poésie des Félibres. Il s’est mis à adorer ce monde-là comme s’il l’avait découvert et qu’il en eût été le Christophe Colomb.

Cependant la langue de Souvenance (1884) et de La Viole d’Amour 1886 n’a pas grand chose a voir avec le pays dont M. Mariéton s’est constitué l’ami, nous allions dire le protecteur. Pas de violence, rien d’exubérant chez le poète, lequel montre plus de délicatesse que d’ardeur et se plaît dans les tons adoucis et fus. Ce qui domine en lui, c’est un goût parfait que blesse toute crudité de mot, toute contorsion de phrase, tout geste désordonné. Au fond il appartient beaucoup plus, par les habitudes littéraires et la tendresse du sentiment, à son pays natal qu’à sa terre d’adoption. Qu’il ne s’en plaigne pas ! L’idéal lyonnais — nous ne savons quelle douceur rayonnante répandue là-bas chez les hommes et surtout chez les femmes — se marque bien sinon dans la personne, du moins dans l’œuvre poétique et même dans la prose de M. Mariéton, directeur de la Revue Félibréenne.

Les livres du poète ont été édités par A. Lemerre, qui va publier un autre volume ex ant pour titre : Hellas.

E. Ledrain.





CONSEIL




Ne donne pas ton cœur aux roses du chemin.
               Tu ne verrais pas les épines ;
Ne donne pas ton cœur aux fraîches églantines
               Vers qui déjà tu tends la main ;

Garde ta liberté, passe-toi d’un sourire,
               Vis plutôt tout seul, à l’écart —
On n’a point fait un pas qu’il est déjà trop tard
               Et qu’on est réduit à maudire !


(Souvenance)





PLAINTE




J’ai laissé mon cœur où sont mes amours,
               Là-bas, dans la verte plaine !...
               Vous qui connaissez le cours
               De ces funèbres amours,
                    Comprenez ma peine :
J’ai laissé mon cœur là-bas dans la plaine,
                    Et c’est pour toujours !


(Souvenance)






LA CHANSON DES YEUX




J’ai vu tous les yeux qu’on aime en ce monde,
               Tous les plus beaux yeux :
Les yeux caressants d’une tête blonde
               Qui m’ouvrit les cieux ;

Puis deux grands yeux doux qui m’allaient à l’âme
               Et que j’ai perdus ;
Tous les yeux aussi qu’en cherchant la femme
               Nous avons tous vus :
Des yeux verts profonds, des yeux bleus limpides,
               Des yeux noirs brûlants,
Et ces yeux bénis qu’on trouve timides
               Et qu’on dit troublants…
Mais tous ces beaux yeux, je n’y lirai guère.
               Ils sont dépassés. —
Les yeux les plus beaux qui soient sur la terre
               Sont les yeux baissés !


(Souvenance)





DANS LE SILENCE




Dans le silence de la nuit
Qu’interrompt la rumeur du fleuve,
Tandis que ma pauvre âme est veuve
De ton regard qui la conduit ;

De mon cœur dépouillant les voiles,
Je viens songer à nos amours,
Invoquant, pour t’aimer toujours,
L’immobilité des étoiles.

C’est ainsi, c’est par ces aveux
Que je te suis resté le même :
Chaque soir, depuis que je t’aime,
Je viens leur confier mes vœux.


Elles ont la douceur puissante
Des êtres qui ne changent pas,
Et savent conseiller, tout bas,
Le poète amoureux qui chante ;

Et toute la sérénité
Que répand leur chaste lumière,
Laisse à jamais sous sa paupière
Un rayon d’immortalité !


(La Viole d’Amour)





PRIMAVERA





Sur le versant de la montagne
Le glacier bleuit au soleil,
Rêvant d’envahir la campagne
Au sortir de son long sommeil.

Comme une vierge adolescente,
Il hésite, dans sa candeur,
Mais la jeunesse suit sa pente,
Et le torrent sa pesanteur ;

Et le noir sapin des ravines,
La prairie où sont les oiseaux,
Ont tressailli dans leurs racines
Au premier baiser de ses eaux ;

Et j’entends déjà dans la plaine
Où son cours s’est précipité,
Comme en une rumeur lointaine,
Son premier cri de liberté...


(La Viole d’Amour)





AFFINITÉS




J’ai ton sourire, on me l’a dit ;
Tu me l’auras donné toi-même,
Et mon visage en resplendit.
Mais comment cacher que je t’aime
Si ma lèvre a parlé, quand même
Le respect me l’eût interdit.

Les regards au fond des prunelles
Pénètrent si profondément
Qu’en un échange d’étincelles,
L’amante se lie à l’amant,
Par le mystérieux aimant
Des affinités éternelles.

Et nous absorbant sans retour,
Cette pénétration lente
Des traits qu’illumine l’amour
Les réfléchit en nous, brûlante,
Comme sur la pâleur tremblante
D’une rose, l’éclat du jour.

Et ces cœurs au même sourire,
Parmi les regards étrangers,
Se retrouvant, sans se le dire,
Comme des papillons légers,
Deux à deux, s’en vont au martyre
À travers les mêmes dangers.

Mais ce sourire humain des âmes,
Qui rapprochait nos pauvres morts,
N’a pas brûlé toutes ses flammes :

Nous pouvons unir sans remords
À L’immortalité des âmes
La résurrection des corps !...


(La Viole d’Amour)





FINALE




Ceux qui liront ces vers où palpite mon âme,
Peut-être, ayant jugé que je suis un enfant
De m’être consumé pour l’amour d’une femme,
M’en voudront de toujours chanter le même chant.

Espoir, soupir, amour, c’est là toute ma lyre,
Et j’ai bien peu de mots pour la faire vibrer ;
Mais quand on n’a qu’une âme où verser son délire,
Faut-il donc plusieurs voix pour le faire pleurer ?...

Non ! non ! je ne suis pas ce qu’on nomme un poète,
Je n’ai jamais chanté que pour bercer mon cœur ;
Doux sont mes tristes vers, résignés sans tempête
Et dédaigneux du monde au sourire moqueur.

— Mes pauvres vers d’amour, je vous hais, je vous aime !
Je vous hais pour le mal qui vous donna le jour,
Je vous aime encor plus pour le repos suprême
Que je ne dois qu’à vous, mes pauvres vers d’amour !


(La Viole d’Amour)





RENCONTRE SUR L’ACROPOLE




Je ne savais pas qu’elle lue princesse,
Et sa jeune grâce emplissait mon cœur.
Un passant me dit son prénom d’Altesse
Et sur le chemin s’arrêta songeur.

De quels sentiments de fierté soumise
Les rois font rêver notre vanité...
Mais cette enfant-là, sous sa robe grise,
Ignorait tout d’elle et de sa beauté.

Dans leur Acropole où survit l’Histoire
Elle allait prier les dieux un moment ;
Du haut d’un rempart, près de la Victoire,
Je la regardais monter lentement.

Quand elle apparut, fraîche et souriante
Parmi les débris des temples croulants,
Elle éblouit tout, cette fleur vivante
Et plus blanche encor que les marbres blancs.

Mais les vieux gardiens du rocher d’Athène,
La main vers le front, l’attendaient ici...
Tandis que là-bas, sur la mer lointaine,
Le soleil couchant saluait aussi.


(Hellas)





HÉGHÉSO




Dans le champ de la paix, au cœur du Céramique,
Parmi le peuple froid des rudes chapiteaux
Et les suavités du marbre pentélique,
Où tant de souvenirs dorment sous les tombeaux ;


Une stèle pudique, entre les columelles
Qui dressent alentour leurs fûts gris et penchés,
Monument d’une vierge où les adieux fidèles
S’étaient plus longuement de douleur attachés ;

Un chef-d’œuvre ingénu dans son touchant symbole,
Retenait mes regards jusqu’au ravissement,
Quand j’aperçus à l’ombre, au pied d’une herbe folle,
Et blanc comme la pierre, un débris d’ossement.

C’était le crâne ouvert d’une enfant presque femme,
Où sans doute jadis avait rêvé d’amour
La jeune fille morte à la fleur de son âme,
Qui depuis deux mille ans n’avait pas vu le jour.

Je m’approchai du marbre à la fine architrave,
Et je lus : « Héghéso, fille de Proxénus... »
Sans regret des bijoux qu’étalait son esclave,
Morte, n’ayant pas fait son offrande à Vénus !...

Pour avoir vainement fouillé son coin de terre,
Dans l’espoir de ravir ses derniers ornements,
On avait dérangé ce repos solitaire,
Et la tête gisait parmi les ossements...

Je la pris dans mes mains, cette frêle relique,
Et, doucement ému par ces tristes retours,
Je lui mis un baiser tendre et mélancolique,
Celui du fiancé qu’elle attendra toujours.


(Hellas)