Anthologie féminine/Mme Amable Tastu

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 282-286).

Mme AMABLE TASTU

(1798-1890)


Née à Metz, Sabine-Casimire-Amable Voïart perdit, encore enfant, sa mère, sœur de Bouchotte, ministre de la guerre sous la première République. Son père se remaria avec Anne Petitpain (1796-1866), Metzine également, qui écrivit sous le nom de Voïart quelques romans et traductions non sans mérite. La Vierge d’Ardecenne (1820), la Femme, ou les Six Amours (1828), ouvrage couronné par l’Académie française, les Chants populaires de la Seine, traduction très estimée. Amable ne rencontra donc dans son entourage aucune entrave à ses goûts littéraires.

Dès l’âge de onze ans (1809), elle fut félicitée pour son idylle, Réséda, par l’impératrice Joséphine. Le Narcisse, publié dans le Mercure en 1816, fut le point de départ de ses relations avec M. Joseph Tastu, imprimeur très érudit, conservateur à la bibliothèque Sainte-Geneviève, qu’elle épousa.

Avec son premier recueil, la Chevalerie française, elle fut couronnée, pour la quatrième fois, aux Jeux floraux.

« Mme Tastu s’applique de préférence à des scènes historiques, à des traductions, au mythe même, plutôt qu’à exprimer ses propres sentiments. Toutefois, bien que ce soit là une fantaisie réglée et sans essor aventureux, elle a aussi ses heures de plaintes amères ou de vague tristesses, et ces dernières nous ont valu la jolie pièce des Feuilles du saule[1]. »

On a d’elle plusieurs recueils de Poésies[2] et un certain nombre d’ouvrages en prose pour les enfants, un Éloge de Mme de Sévigné (1840), couronné par l’Académie française, Soirées littéraires de Paris, 1832, Cours d’histoire de France, 1837 ; Voyages, excursions, etc.

Qui ne connaît cette délicieuse hymne de la Veille de Noël, qui rappelle les poésies du moyen âge de Paule de Fontenille et de Clotilde de Surville ?

Entre mes doigts guide ce lin docile ;
Pour mon enfant, tourne, léger fuseau,
Seul tu soutiens sa vie encore débile,
Tourne sans bruit auprès de son berceau.
................

Paisible, il dort du sommeil de son âge,
Sans pressentir mes douloureux, tourments.
Reine du ciel, accorde-lui longtemps
Ce doux repos qui n’est plus mon partage.
Pour mon enfant, tourne, léger fuseau,
Tourne sans bruit auprès de son berceau.
................
Le monde entier m’oublie et me délaisse.
Je n’ai connu que d’éternels soucis.
Vierge sacrée ! au moins donne à mon fils
Tout le bonheur qu’espérait ma jeunesse.
Pour mon enfant, tourne, léger fuseau,
Tourne sans bruit auprès de son berceau.
................
Tendre arbrisseau menacé par l’orage,
Privé d’un père, où sera ton appui ?
À ta faiblesse il ne reste aujourd’hui
Que mon amour, mes soins et mon courage.
Pour mon enfant, tourne, léger fuseau.
Tourne sans bruit auprès de son berceau.
................
Tout dort, hélas ! je travaille et je veille,
La paix des nuits ne ferme plus mes yeux.
Permets du moins, appui des malheureux,
Que ma douleur jusqu’au malin sommeille.
Entre mes doigts guide ce lin docile ;
Pour mon enfant, tourne, léger fuseau,
Seul tu soutiens sa vie encore débile.
Tourne sans bruit auprès de son berceau.


PLAINTE
No more, o never more.
Shelley.

Ô monde ! ô vie ! ô temps ! fantômes, ombres vaines,
Qui lassez à la fin mes pas irrésolus,
Quand reviendront ces jours où vos mains étaient pleines ?
    Jamais, oh ! jamais plus !
L’éclat du jour s’éteint aux pleurs où je me noie :
Les charmes de la nuit passent inaperçus ;
Nuit, jour, printemps, hiver, est-il rien que je voie ?
Mon cœur peut battre encor de peine, mais de joie,
    Jamais, oh ! jamais plus !


LE DERNIER JOUR DE L’ANNÉE

  Déjà la rapide journée
  Fait place aux heures du sommeil.
  Et du dernier fils de l’année
  S’est enfui le dernier soleil.
  Près du foyer, seule, inactive.
  Livrée aux souvenirs puissants,
  Ma pensée erre, fugitive,
  Des jours passés aux jours présents.
  Ma vue, au hasard arrêtée.
  Longtemps de la flamme agitée
  Suit les caprices éclatants,
  Ou s’attache à l’acier mobile
  Qui compte sur l’émail fragile

  Les pas silencieux du temps.
  Un pas encore, encore une heure,
  Et l’année aura sans retour
  Atteint sa dernière demeure,
  L’aiguille aura fini son tour.
  ........
  Écoutons !… le timbre sonore
  Lentement frémit douze fois ;
  Il se tait… je l’écoute encore,
  El l’année expire à sa voix.
  C’en est fait ! en vain je l’appelle.
  Adieu !… Salut, sa sœur nouvelle.
  Salut ! quels dons chargent ta main ?
  Quels biens nous apporte ton aile ?
  Quels beaux jours dorment dans ton sein ?
  Que dis-je ? à mon âme tremblante
  Ne révèle pas tes secrets.
  D’espoir, de jeunesse, d’attraits.
  Aujourd’hui tu parais brillante.
  Et ta course insensible et lente
  Peut-être amène les regrets.
  Ainsi chaque soleil se lève,
  Témoin de nos vœux insensés ;
  Ainsi toujours son cours s’achève
  En entraînant comme un vain rêve
  Nos vœux déçus et dispersés.


  1. Médaillons et Camées, par Desplace.
  2. Chez M. Perrin, éditeur, qui nous a autorise à emprunter à ce volume, d’ailleurs épuisé, les citations que nous en faisons.