Anthologie féminine/Mme G. de Montgomery

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 352-355).

Mme G. DE MONTGOMERY
(Lucie-Marie-Adèle Ditte)


Petite-fille du célèbre miniaturiste suédois Hall, arrière-petite-fille d’une Fergusson, de la famille écossaise de ce nom, elle est cependant bien Française, née en France, dans le château de ses parents, en Seine-et-Oise et alliée aux familles d’Étampes, de Caylus, de Bizemont, de Lagrange, de Lambel, de Plinval. En pleine jeunesse, possédant une immense fortune, mariée à un parfait gentilhomme, jeune diplomate, femme du monde accomplie, il lui semble qu’il lui manque cependant quelque chose, et elle livre un volume de Poésies à Lemerre, l’éditeur des Parnassiens, c’est-à-dire qu’elle s’expose à la critique du public indifférent et exigeant quelquefois jusqu’à la cruauté, s’écriant, avec cette verve que l’on nomme le feu sacré, le diable au corps que donne une vocation vraie :

Je veux être quelqu’un, je veux être un poète,
Et s’il faut de mon sang que je marque les pas,
Je m’ouvrirai moi-même et le cœur et la tête ;
Mourir sans laisser d’œuvre est un double trépas.

Car si le cœur pourrit, l’âme est une immortelle,
Le corps est l’instrument qu’elle jette au rebut,
Et souvent il fléchit, et sa souffrance est telle
Qu’on le voit succomber en arrivant au but.

Qu’importe ! si la voix a pu se faire entendre ;
Qu’importe ! si le pied a gravi le sommet !
Mourir n’est pas mourir, car vivre c’est attendre
Le lever du soleil qui ne s’éteint jamais.


Elle avait désormais cette auréole de gloire qui lui manquait, car les vers sont sonores, bien frappés. Ils riment le plus souvent avec des substantifs. On y remarque la délicatesse, la richesse d’imagination, la suavité et la recherche d’expression de la femme du monde-poète ; son volume fut accueilli par ce qu’on appelle une « excellente presse », avec une faveur hors ligne, qui lui assure de passer à la postérité. Il débute par ce gracieux Avant-propos.

Ô mes enfants chéris, ô mes timides vers,
Vous dont la renommée est mon unique envie ;
Ô vous qui possédez tout l’espoir de ma vie
Avant d’aller combattre en ce grand univers,
Soyez bénis, ô vous, printemps de mes hivers !

Vous pour qui je ressens tout l’amour d’une mère,
Enfants de mon esprit et non pas de mon sang,
Dans ce monde où vraiment je ne suis qu’en passant.
Sur cette triste terre, en cette vie amère.
Devenez immortels, enfants de ma chimère !
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Mme G. de Montgomery n’est pas seulement poète, elle est aussi musicienne et compositeur. Un recueil de Mélodies d’elle a été accueilli avec beaucoup de succès ; une œuvre lyrique dont elle fait les vers et la musique occupe en ce moment et depuis un an déjà toute sa vie. Elle a le plaisir de pouvoir composer le poème et la musique, immense avantage.

Terminons par une petite pièce de vers pimpante comme un Watteau.


MA GRAND’MÈRE DE L’AN IV
À Madame la comtesse Zoé de Saint-Mars.


Ma grand’mère, en l’an quatre, avait la taille fine.
Ma grand’mère, en l’an quatre, avait le pied bien fait.
En la voyant passer on eût dit la Dauphine,
Tant sa marche était douce et son maintien parfait.

Ma grand’mère, en l’an quatre, avait un bonnet rose,
Un tout petit bonnet sur ses beaux cheveux blonds.
Elle était fort jolie, et sa lèvre mi-close
Changeait en doux rêveurs les joyeux garçons.

Les vieillards auprès d’elle avaient l’âme ravie,
Se souvenant alors de leur printemps joyeux ;
Et moi, je donnerais bien des jours de ma vie
Pour avoir pu, rêveur, embrasser ses grands yeux.