Anthologie féminine/Mme du Deffand

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 135-137).

Mme DU DEFFAND
(Marie de Vichy-Chambon)

(1697-1780)


Mme du Deffand fut une des femmes « à salon » les plus réputées du XVIIe siècle ; devenue aveugle à cinquante-six ans, elle commença la série de ses réceptions à la communauté Saint-Joseph de la rue Saint-Dominique, qui furent aussi célèbres que celles qui devaient avoir lieu cinquante ans plus tard à l’Abbaye-au-Bois avec Mme Récamier. Parmi les assidus, on cite Voltaire, le président Hénault, d’Alembert, Boufflers, Beauffremont, Montesquieu, Walpole. Les chroniques du temps nous la représentent une coquette froide et sans cœur. Son esprit était mordant. Elle ne fut pas aimée. Elle fut cruellement punie par Mme de Lespinasse, sa lectrice, qui, par les charmes de sa conversation, attira à elle tous les amis de la marquise, dont, quand celle-ci la congédia, le salon fut déserté. Quoique connue pour être sceptique, elle tint à mourir comme elle avait vécu, en esprit fort qui ménage les convenances. Elle accepta l’assistance du curé de Saint-Sulpice, mais en lui posant ses conditions : « Monsieur le curé, vous serez fort content de moi, mais faites-moi grâce de trois choses : ni questions, ni raisons, ni sermons. »

Elle n’a pas écrit d’ouvrages ; on a seulement édité des lettres d’elle après sa mort, où elle se montre fort spirituelle et philosophe sans trop dissimuler l’amertume et l’aigreur de ses sentiments, surtout dans celles à Voltaire. Elle découvrit cependant, mais en regardant un peu tard dans son cœur, qu’elle éprouvait une véritable affection pour Horace Walpole.


LES DEUX ÂGES DE L’HOMME

Il est un âge heureux, mais qu’on perd sans retour,
Où la faible jeunesse entraîne sur ses traces
  Le plaisir vif avec l’amour
  Et les désirs avec les grâces.

Il est un âge affreux, sombre et froide saison,
Où l’homme encor s’égare et prend dans sa tristesse
  Son impuissance pour sa sagesse
  Et ses craintes pour la raison.


. . . . . . . . . . . . . . . .

Je lis l’histoire, parce qu’il faut savoir les faits jusqu’à un certain point, et puis parce qu’elle fait connaître les hommes ; c’est la seule science qui excite ma curiosité, parce qu’on ne saurait se passer de vivre avec eux. (Lettre à Voltaire.)


Toutes les conditions, toutes les espèces me paraissent également malheureuses ; le fâcheux, c’est d’être né, et l’on peut pourtant dire de ce malheur-là que le remède est pire que le mal. (Idem.)


Ne parlons plus de bonheur, c’est la pierre philosophale qui ruine ceux qui la cherchent. On ne se rend point heureux par système ; il n’y a de bonnes recettes, pour le trouver que de prendre le temps comme il vient et les gens comme ils sont. J’ajouterai être bien avec soi-même. (Idem.)