Anthologie féminine/Princesse des Ursins

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Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 92-94).

PRINCESSE DES URSINS

(1635-1722)


Anne-Marie de La Trémoïlle, fille du duc de Noirmoutier, épousa, en 1659, Adrien-Blaise de Talleyrand, prince de Chalais, qu’elle suivit dans son exil en Espagne et en Italie ; il mourut en 1673 ; elle épousa alors le duc de Bracciano, prince des Ursins, et de là date son existence politique.

La princesse nourrissait une de ces ambitions vastes, fort au-dessus de son sexe et de l’ambition ordinaire des hommes[1]. Adroite, prudente, hardie, gracieuse de manières, d’un charme indéfinissable, fière, bienveillante, elle jouit d’une grande influence à raison d’une éloquence irrésistible ; elle joua un grand rôle politique à la cour d’Espagne de Philippe V.

Quoique septuagénaire, on prétendit qu’elle aurait voulu, le roi étant devenu veuf, s’en faire épouser pour monter sur le trône, mais il n’avait que trente ans. Elle se décida à le remarier ; sur un léger conseil d’étiquette qu’elle voulut donner, dès son arrivée, à la jeune reine (princesse Élisabeth Farnèse), probablement stylée en conséquence, la reine s’emporta (1714, décembre) et la fit jeter, en robe de gala, sans vêtement de dessus ni quoi que ce soit, en voiture et conduire à la frontière, après douze ans de pouvoir absolu. Mme de Maintenon et le roi lui battirent froid quand elle arriva à Paris. On a d’elle ses lettres au maréchal de Villeroi, et surtout celles à Mme de Maintenon et à la maréchale de Noailles.

Elle fut une femme politique célèbre plutôt qu’une femme écrivain de talent.

LETTRE À LA MARÉCHALE DE NOAILLES
Rome, 13 décembre 1699.

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Je me donne l’honneur d’écrire à Mme de Maintenon sur la mort de Mme de Montchevreuil[2], et je vous adresse ma lettre, Madame, parce qu’elle vaudra quelque chose en passant par vos mains. Ce n’est qu’un simple compliment. J’ai eu besoin de votre conseil pour le hasarder, car je ne sais que trop le peu de temps que cette admirable personne a à donner à des choses aussi inutiles. Vous me donnez bien de la vanité quand vous m’assurez. Madame, qu’elle prendrait bien du plaisir à avoir un commerce réglé avec moi si elle en avait le loisir. C’est me dire proprement qu’elle m’estime et qu’elle m’honore de son amitié. Il suffirait que l’on sût en ce pays qu’elle me trouve digne de cette grâce pour que le Sacré Collège me regardât avec admiration. Jugez, Madame, de ce qui arriverait si, effectivement, j’étais en possession de cet avantage. Mme de Maintenon écrit d’une manière si noble, si spirituelle, que je ne sais si ses lettres ne me feraient pas encore plus de plaisir que d’honneur…

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  1. Saint-Simon.
  2. Très vieille amie de Mme de Maintenon d’avant son temps de grandeur.