Apparition (Armand Silvestre)

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Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 45-48).

APPARITION

I

Plus longtemps que mes yeux durera ta beauté ;
Autant que ta beauté durera mon supplice :
Car il n’est, dans mon ciel, astre qui ne pâlisse
Aussitôt que ton front y pose sa clarté.

Ainsi qu’un soleil d’aube il déchire les toiles
Que vainement l’oubli tendait sur mon sommeil,
Et son rayonnement implacable et vermeil
Exile de ma nuit la pitié des étoiles !

Mais, sans remplir un jour de son éclat vainqueur,
Vers des couchants subits il vole, il fuit encore…
Et, les regards brûlés par les feux d’une aurore,
Je sens l’ombre plus noire où redescend mon cœur !

II

Soulevant de la mer le chœur blanc des nuées,
L’aube fleurit de lis les bords du firmament ;
Et les astres, penchant leurs mains exténuées
Sur l’onde, laissent choir leur lampe au flot dormant.

Toi, pareille à l’aurore et qui viens de la grève
Et traînes sur tes pas l’âme errante des fleurs,
Tu te lèves ainsi dans le ciel de mon rêve
Et des astres, en moi, versent l’or de leurs pleurs.

Et, tandis que les lis t’apportent leur haleine,
Terrassé sous l’auguste et chère vision,
Des espoirs lumineux dont ma nuit était pleine
S’effondre, dans mon sein, la constellation.

III

Sur les pas du matin s’effare le silence :
Le vent frais a ridé le bord des cieux pâlis,
Et, dans leur blancheur molle, un trait de feu s’élance
Comme une gerbe d’or au cœur profond d’un lis.

Le frisson de la vie a passé sur les choses,
Réveillant, dans les bois, la chanson des oiseaux,
Au bord des lacs d’argent la plainte des roseaux,
Et l’aile des parfums au cœur mouillé des roses.

Ce long bruissement, cet invisible chœur
Qui, vers l’aurore, élève un éternel hommage
Me semble, — tant, pour moi, tout vit en ton image !
S’élancer à tes pieds et monter de mon cœur.