Astronomie populaire (Arago)/IX/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 371-376).

CHAPITRE VIII

la lumière des étoiles est-elle constante ?


Il est très-intéressant de rechercher si les étoiles brillent d’une lumière constante. Supposez cette lumière variable : notre soleil, étant évidemment une étoile, ira se ranger sous la règle commune. Dans les siècles passés il aura pu régner sur la Terre une température très-supérieure à celle de notre temps ; aux siècles futurs sera réservé de voir le Soleil s’éteindre, de voir l’ensemble des planètes circuler autour d’une masse toujours énorme, mais désormais impropre à porter la vie à 38 millions de lieues de distance ; pour expliquer divers phénomènes que présente l’écorce de notre globe, les géologues auront le droit de recourir hardiment à une cause dont auparavant ils osaient à peine faire mention, tant elle paraissait hypothétique, etc., etc.

Les anciennes observations du ciel étoilé, malgré leurs imperfections, serviront à établir que certaines étoiles changent d’éclat.

Je laisserai cependant de côté le poëme d’Aratus, où je trouverais le vague, l’indécision, l’inexactitude de tous les écrivains de l’antiquité ou des temps modernes, qui n’ont connu les phénomènes naturels que par ouï dire, qui ne se sont jamais donné la peine de les étudier de leurs propres yeux. Je puiserai à de meilleures sources.

Eratosthènes, né 276 ans avant notre ère, disait en parlant des étoiles du Scorpion :

« Elles sont précédées par la plus belle de toutes, l’étoile brillante de la serre boréale. » Or, maintenant la serre boréale est moins brillante que la serre australe et surtout qu’Antarès.

Il y a donc eu des changements d’intensité dans la constellation du Scorpion depuis le temps d’Eratosthènes[1].

Pour résoudre la question posée en tête de ce chapitre, on avait pris, je pourrais même avouer que j’avais pris pour terme de comparaison les belles cartes célestes publiées en 1603, à Ratisbonne, par Bayer, jurisconsulte astronome célèbre, que j’ai déjà eu l’occasion de citer ; mais ce terme de comparaison était beaucoup plus défectueux que la généralité des astronomes ne l’avaient supposé. En se livrant à un examen approfondi des cartes de Bayer, M. Argelander, de Bonn, a prouvé récemment que leur auteur n’avait fait personnellement aucune observation, qu’il s’était contenté d’enregistrer les étoiles d’après les grandeurs consignées dans l’Almageste de Ptolémée et dans le catalogue de Tycho.

Bayer, comme nous l’avons dit précédemment (liv. viii, chap. iv), eut l’heureuse pensée de désigner les étoiles de chaque constellation par les lettres α, β, γ, δ, etc., de l’alphabet grec, mais on avait admis jusqu’ici qu’en affectant ces lettres aux différentes étoiles, il avait tenu compte de l’ordre exact de grandeur, en sorte que α, dans chaque constellation, désignait toujours la plus brillante ; β celle qui venait ensuite ; γ d’après ce système aurait été la troisième, δ la quatrième, ε la cinquième, et ainsi de suite. Ce n’est pas tout à fait ainsi que Bayer a opéré : c’est bien par la lettre α que l’auteur désigne l’étoile la plus brillante d’une constellation, mais s’il y a dans cette même constellation cinq ou six étoiles de la grandeur suivante, et cependant d’intensité différente, il ne prend aucun soin de marquer par β la plus brillante de ces étoiles, par γ la troisième, et ainsi de suite. D’après M. Argelander, dont je rapporterai ici les propres expressions, « dans ce cas l’ordre des lettres suit celui des positions (et non pas des intensités), de telle sorte que les étoiles de même classe, qui sont adjacentes, sont désignées par des lettres qui se suivent, en commençant le plus souvent par la tête et en continuant dans le sens de la constellation. Cet ordre, qui peut se remarquer dans tous les astérismes, est surtout évident pour ceux qui ont peu de largeur et beaucoup de longueur, tels que le Dragon, le Serpent, l’Hydre, etc. Tycho, dans son catalogue, marquait de deux points les étoiles qui surpassaient en éclat les autres étoiles de même classe, et d’un point seulement les étoiles moindres que la plupart d’entre elles. Il paraît que Bayer négligea complétement ces points, puisque dans le Dragon, par exemple, après avoir désigné par la lettre δ une étoile indiquée par Tycho comme étant de troisième grandeur, il donna une lettre postérieure à une autre étoile de troisième grandeur décrite comme étant plus grande. Dans Cassiopée, il donna la lettre β à une étoile de troisième grandeur, et désigna par γ une autre étoile de troisième grandeur plus belle que la première. »

Il n’est donc plus permis d’attribuer quelque valeur sous le rapport de l’intensité aux comparaisons qu’on a pu faire des cartes de Bayer et des catalogues modernes ; aussi les supprimerai-je entièrement, excepté dans ce qui concerne la première étoile de chaque constellation, que l’auteur des cartes célestes de 1603 s’est généralement astreint à appeler α.

William Herschel résolut, en 1783, de joindre l’étude de l’éclat des étoiles à tant d’autres recherches qui absorbaient ses jours et ses nuits. Malheureusement, ni lui ni les physiciens ses prédécesseurs n’avaient trouvé aucun moyen de déterminer l’intensité absolue de lumières aussi peu abondantes que celles dont brillent les étoiles. Herschel fut donc forcé de se borner à des intensités relatives ; il compara chaque étoile aux étoiles qui, situées dans son voisinage, étaient vues du même coup d’œil sans le secours d’aucun instrument, et les plaça ensuite toutes par ordre d’éclat relatif. Supposons qu’à une certaine époque sept étoiles, A, B, C, D, E, F, G, aient été rangées, quant à leurs intensités, dans l’ordre alphabétique, si à une seconde époque l’ordre est changé pour une étoile seulement, pour l’étoile D, par exemple, si l’observation exige de remplacer l’ancienne classification par la nouvelle série A, B, D, C, E, F, G, ou par A, B, C, E, D, F, G, ou à fortiori par des séries dans lesquelles D se trouvera éloigné de sa place primitive de plus d’un rang, il sera presque indubitable que D aura changé d’éclat. La méthode d’Herschel est au fond celle dont on admettait, jusqu’à ces derniers temps, que Bayer avait fait usage.

Pour se faire une idée précise des difficultés que rencontre un observateur quand il entreprend de classer les étoiles dans l’ordre de leurs intensités, on doit songer aux erreurs qui peuvent résulter des inégalités périodiques d’éclat dans les astres comparés, aux diaphanéités dissemblables des couches de l’atmosphère diversement élevées au-dessus de l’horizon, à l’influence affaiblissante de la lumière crépusculaire et de celle de la lune, aux effets de la scintillation, etc., etc.

À l’aide de ses précieuses tables, quoique les termes de comparaison fussent peu éloignés, Herschel crut avoir reconnu des changements réels d’intensité (augmentation ou diminution) dans la trentième partie des étoiles observées, je veux dire dans une étoile sur trente. Au reste, ce travail doit être apprécié bien plus à raison des résultats qu’il promet aux astronomes qui dans l’avenir le prendront pour terme de comparaison, qu’à cause des résultats qu’il a déjà fournis.

Dans un Mémoire publié en 1796, William Herschel rapportait les classifications suivantes, complétement en opposition avec celle de Bayer même pour la première étoile de chaque constellation :

12 mai 1783.
Dragon 
γ remplacerait α
Hercule 
β α
1796.
Cassiopée 
β remplacerait α
Cancer 
β α
Baleine 
β α
Triangle 
β α
Sagittaire 
γ α
Capricorne 
δ α

  1. Suivant Aratus, la Lyre où brille maintenant une étoile de première grandeur, ne renfermait aucun astre remarquable. Si je n’ai pas profité de cette assertion du poète, c’est qu’elle est contredite par une déclaration formelle d’Eratosthènes.