Astronomie populaire (Arago)/VI/05

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 234-238).

CHAPITRE V

du mouvement des étoiles considéré comme un moyen de
déterminer exactement la position du méridien


Nous avons vu plus haut (chap. ii) que pour former sur un globe une représentation exacte du firmament, il suffisait de connaître les distances angulaires respectives des différentes étoiles ; que ces distances s’obtenaient à l’aide d’un instrument très-simple, composé de deux lunettes ou de pinnules jointes entre elles par un arc gradué ; mais cette observation n’est pas aussi facile qu’on pourrait le croire au premier abord ; la mobilité des étoiles, conséquence du mouvement diurne, apporte des obstacles sérieux à la précision des mesures. Si l’observateur est seul, il commencera à pointer une des deux lunettes sur la première étoile ; mais, pendant le temps qu’il mettra à diriger la seconde lunette sur la seconde étoile, la première aura poursuivi sa course et quitté la place qu’elle occupait au début. Pendant que l’observateur reviendra à cette première étoile pour rectifier le pointé, la seconde aura aussi abandonné la direction où il l’avait préalablement observée ; on n’aura donc jamais la certitude complète que, à un instant donné, les fils des deux lunettes sont exactement dirigés sur les deux étoiles. La difficulté est moins grande, mais elle ne disparaît pas tout à fait, quand deux personnes doivent simultanément concourir aux observations.

Lorsque dans la formation d’une représentation du ciel nous viserons à une extrême précision, il faudra substituer aux moyens directs de mesure qui s’étaient présentés immédiatement à nous et que nous avons admis théoriquement, de nouvelles méthodes, fussent-elles indirectes, pourvu qu’elles nous permettent d’éviter les difficultés que nous venons de signaler. Ces difficultés s’appliquent aussi, dans une certaine mesure, aux observations des hauteurs correspondantes d’après lesquelles nous avons fixé la position du plan méridien. En effet, on peut facilement, en prenant pour repère le fil horizontal de la lunette du théodolite qui se meut sur le cercle vertical de l’instrument, observer à quel instant une étoile parvient à une hauteur déterminée d’avance. Mais remarquons que cette observation ne suffit pas : il faut savoir encore dans quel plan azimutal le fait est arrivé, ce qui exige que l’étoile soit constamment maintenue par un mouvement de rotation du théodolite de l’est à l’ouest sous le fil vertical de la lunette. Cette nécessité de maintenir à la fois l’étoile sous le fil horizontal et sous le fil vertical, est accompagnée de difficultés que tous les observateurs ont reconnues et constatées ; elles sont, chacun le sent, dépendantes du mouvement continuel des étoiles. Ce mouvement, qui était un obstacle, est devenu un précieux moyen de mesure, quand il a été convenablement envisagé. Voyons d’abord comment on en a déduit une méthode propre à la détermination exacte du méridien.

Nous avons vu que sur chaque parallèle les arcs égaux sont parcourus dans des temps égaux ; il résulte de là que des arcs inégaux sont parcourus dans des temps inégaux.

Cela posé, soit ABCD (fig. 90) le contour du parallèle décrit par une étoile circumpolaire ; supposons l’observateur muni d’une lunette mobile sur un axe horizontal et dont l’axe optique décrive conséquemment un plan vertical.

Fig. 90. — Détermination du méridien.

Tournons cette lunette vers la région du nord, et admettons que EF soit la section que son plan supposé prolongé formera dans le parallèle de l’étoile que nous avons choisie ; si cette section est à droite du centre du cercle, elle le partagera en deux portions inégales, l’arc EABCF sera plus grand que l’arc EDF. L’étoile emploiera donc à aller de E en F en passant par A et B, plus de temps qu’il ne lui en faudra pour monter de F en E en passant par D. Sans voir ni le contour du parallèle ni son centre, nous pourrons ainsi découvrir que la section EF laisse ce centre à sa gauche. Visons une mire terrestre qui soit dans la direction de la lunette et qui permette de nous replacer, si cela est nécessaire, dans le plan où auront été faites les premières mesures. Donnons à notre lunette, tout en conservant son axe horizontal, un mouvement azimutal dirigé de l’est à l’ouest ; supposons que dans sa nouvelle position, son plan supposé prolongé fasse dans le cercle que nous avons considéré une section E′F′, il faudra à l’étoile, pour aller du point E′ situé dans le haut de la section au point F′ situé en bas, en passant par B, moins de temps qu’elle n’en emploiera pour revenir de F′ en E′. Dans la première observation, le plan vertical décrit par la lunette passait à droite du centre, dans la seconde il passera à sa gauche ; ce sera entre ces deux positions que doit se trouver le plan du méridien, puisqu’il jouit de la propriété de partager en deux parties égales les cercles parcourus au-dessus de l’horizon par les étoiles boréales.

Plaçons-nous maintenant dans une position intermédiaire entre la mire terrestre correspondante au plan E′F′ et la mire terrestre correspondante au plan EF, nous aurons évidemment dans le plan du parallèle une section E″F″ plus voisine du plan méridien que la section E′F′ ; nous saurons d’ailleurs si elle est à gauche ou à droite du plan méridien, d’après ce caractère, que dans le premier cas l’étoile emploiera, par un mouvement dirigé de droite à gauche, moins de temps pour aller de E″ à F″ en passant par B qu’il ne lui en faudra pour se transporter de F″ en E″. Après quelques essais, on arrivera enfin à trouver la position dans laquelle l’étoile mettra le même temps à aller de haut en bas qu’à retourner de bas en haut. La lunette décrit alors le plan méridien. Lorsque cette condition est satisfaite, on fixe à l’horizon, et dans l’éloignement, une mire dans la direction de la lunette, et l’on a obtenu ainsi la direction du méridien cherché. Il est bon de le répéter, loin que le mouvement des étoiles ait été un obstacle à ce système de mesure, il est devenu au contraire un moyen exact de conduire au but. Cette méthode pour déterminer la position du méridien est celle dont on fait généralement usage pour orienter, dans les observatoires, les instruments et les constructions qui doivent être dirigés exactement du midi au nord. Il faut bien distinguer cette méthode effective de celle que nous avons déjà expliquée et qui ne donne que des moyens de démonstration privés dans la pratique de l’exactitude que réclament les observations modernes.