Astronomie populaire (Arago)/X/18

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 489-494).

CHAPITRE XVIII

des auteurs de la découverte des satellites d’étoiles


Les Lettres Cosmologiques de Lambert, cet ouvrage si éminemment remarquable par la profondeur et la hardiesse des aperçus, nous offre déjà, à la date de 1761, ces paroles prophétiques : « En observant les groupes où les étoiles sont très-condensées, on décidera peut-être s’il n’y a pas de fixes qui fassent en assez peu de temps leurs révolutions autour d’un centre de gravité commun. »

Michell, dans un Mémoire publié dans les Transactions philosophiques, trouva : « qu’il y a une très-grande probabilité, presque une entière certitude que les étoiles doubles, multiples, dont les parties constituantes semblent très-rapprochées les unes des autres (forment des systèmes) où les étoiles sont en réalité rapprochées et sous l’influence de quelque loi générale. » (Transactions philosophiques, 1767, p. 219).

Le même savant disait enfin en 1784 : « Quoiqu’il ne soit pas improbable qu’un petit nombre d’années nous apprendra que dans le grand nombre d’étoiles doubles, triples, etc., observées par Herschel, il y en a qui sont des systèmes de corps tournant les uns autour des autres, etc. » (Transactions philosophiques, t. lxxiv, p. 56).

On a certainement le droit de considérer ces passages de Lambert, de Michell, comme les premiers germes de la belle découverte qu’Herschel annonça au monde savant en 1803. Je n’en dirai pas autant des deux Mémoires que l’abbé Christian Mayer publia en 1778 et 1779, quoique les titres allemand et latin de ces Mémoires annoncent l’un et l’autre qu’il y est question des satellites des étoiles. Veut-on savoir, en effet, où Mayer plaçait les satellites d’Acturus ? Non pas à quelques secondes, mais à 2° 30′, à 2° 40′ et jusqu’à 2° 55′ de distance angulaire de cette étoile. Il n’en fallait pas davantage pour faire rejeter les prétendus satellites de l’astronome de Manheim. L’erreur méritait certainement les critiques amères, les sorties acerbes dont les journaux se rendirent les organes, soit qu’elle provînt de l’inhabileté, de la légèreté de l’observateur, soit qu’elle dût être rangée parmi les annonces que certaines personnes ont l’habitude de lancer au hasard dans le monde scientifique, comme une sorte de mainmise sur les découvertes futures. Une seule de ces réfutations a été conservée ; on la trouve, à la date de 1780, dans le tome iv des Actes de l’Académie impériale de Pétersbourg. Son auteur, Nicolas Fuss, fit preuve d’un grand savoir. Il eut seulement le tort, alors très-commun à la vérité, de s’appuyer quelquefois sur les causes finales. Afin de montrer par un nouvel exemple, le danger qu’il y a à juger de la fausseté ou de l’exactitude d’une observation d’après le fameux cui bono, je ferai suivre ce que nous avons rapporté de parfaitement avéré, de parfaitement certain, touchant des étoiles qui circulent les unes autour des autres, de divers passages empruntés au Mémoire du savant académicien de Pétersbourg.

« À quoi bon des révolutions de corps lumineux autour de leurs semblables ? Le soleil est la source unique où (les planètes) puisent la lumière et la chaleur. Là où il y aurait des systèmes entiers de soleils maîtrisés par d’autres soleils, leur voisinage et leur mouvement seraient sans but, leurs rayons sans utilité. Les soleils n’ont pas besoin d’emprunter à des corps étrangers ce qu’ils ont reçu eux-mêmes en partage. Si les étoiles secondaires sont des corps lumineux, quel est le but de leur mouvement ? »

Voilà ce qu’on regardait comme de profondes objections en 1780 ; eh bien, des choses qui, il y a soixante ans, ne semblaient bonnes à rien, qui paraissaient sans but, sans utilité, existent réellement et ont pris place parmi les plus belles, les plus incontestables vérités de l’astronomie.

Herschel montra du reste immédiatement tout ce que sa découverte avait de fécond. Il reconnut que les couples d’étoiles, de grandeurs ordinairement inégales et très voisines les unes des autres, dont le ciel fourmille, ne se trouvent pas, en général, réunies ainsi dans un espace excessivement resserré par un simple effet de perspective.

Il s’assura qu’il y a dans ces groupes autre chose que des étoiles indépendantes, situées fortuitement sur des lignes visuelles excessivement rapprochées ; il démontra que ces étoiles sont liées les unes aux autres, qu’elles forment de véritables systèmes ; il établit que les petites étoiles circulent autour des grandes, précisément comme la Terre, Mars, Jupiter, Saturne, etc., circulent autour du Soleil ; et, chose remarquable, que certains de ces soleils tournant autour d’autres soleils, font leurs révolutions en moins de temps que n’emploie, par exemple, Uranus à parcourir son orbite.

En appliquant les mêmes calculs, remarque le physicien anglais, aux étoiles qui ne paraissent doubles et triples que dans les télescopes, leur liaison se trouverait établie sur de beaucoup plus grandes probabilités encore. Et qu’eût dit Michell si, de son temps, on avait connu certains groupes binaires tels que η d’Hercule et γ de la Couronne, dont les deux parties constituantes peuvent à peine être séparées à l’aide des meilleures lunettes et des plus forts grossissements ! Avec un peu plus de confiance dans les résultats du calcul des probabilités, les astronomes praticiens eussent commencé les observations des étoiles multiples, dès l’année 1767. Cette confiance, l’ingénieux auteur des calculs dont je viens de donner une idée, l’avait à tel point, qu’il parlait déjà, dans son Mémoire, de l’existence d’étoiles tournant les unes autour des autres, comme d’un moyen de résoudre diverses questions délicates d’astronomie physique.

Quoique aujourd’hui les principes des probabilités commencent à être fort répandus, je dirai même fort employés ; quoique, d’un autre côté, la liaison intime, la dépendance mutuelle des deux parties constituantes d’un bon nombre d’étoiles binaires, résultent d’observations directes, incontestables, je ne puis m’empêcher de faire remarquer, avec M. Struve, que cette liaison, que cette dépendance, fruit de tant de recherches délicates, résulterait, pour des yeux accoutumés à voir, de la simple inspection de la table où se trouvent dénombrées les étoiles doubles de diverses classes.

Les quatre classes d’Herschel (chap. ii), il faut bien se le rappeler ici, n’ont aucun rapport avec l’intensité des étoiles ; elles sont seulement relatives à leurs distances angulaires. La première se compose de tous les groupes binaires dans lesquels les éléments constituants sont à moins de 4 secondes d’écartement. La seconde contient les distances au-dessus de 4 et au-dessous de 8 secondes. La troisième commence à 8 secondes et finit à 16. La quatrième enfin s’étend jusqu’à 32 secondes.

Maintenant, tout le monde comprendra qu’en cherchant la probabilité que des étoiles dispersées dans le firmament sans aucune règle se présenteront par groupes de deux ; que cette probabilité, disons-nous, sera d’autant plus petite, que les groupes en question devront avoir des dimensions moindres. C’est, en effet, comme si l’on calculait la chance qu’en jetant un certain nombre de grains de blé sur un échiquier, ils se trouveront réunis, dans les cases, par groupes de deux : la chance doit évidemment diminuer en même temps que les dimensions de ces cases. Dans le problème proposé, les grains de blé sont des étoiles ; l’échiquier c’est le firmament ; les cases, pour la première classe d’Herschel, ce sont des espaces de 4 secondes, au plus, de diamètre ; pour la quatrième classe, les dimensions des cases vont jusqu’à 32 secondes. Dans l’hypothèse d’une indépendance absolue entre tous les astres dont le ciel est parsemé, la première classe d’étoiles doubles serait beaucoup moins nombreuse que la seconde, que la troisième, et surtout que la quatrième. Or c’est le contraire qui a lieu (chap. ii). Nous voilà donc amenés, encore une fois, par de simples considérations de probabilités, à reconnaître que les étoiles voisines les unes des autres ne le sont pas seulement en apparence, c’est-à-dire par un effet optique ou de perspective, mais bien qu’elles forment des systèmes.