Astronomie populaire (Arago)/XIV/10

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 115-121).

CHAPITRE X

du nombre, de la grandeur et du changement de forme
des taches solaires


Abulfarage assure que dans la neuvième année de Justinien le Second, qu’en l’an 535 de notre ère, la lumière du Soleil commença à éprouver une diminution d’intensité qui dura ensuite durant quatorze mois. Sans qu’aucune observation directe légitime l’hypothèse, les modernes ont attribué cet affaiblissement à une multitude de taches dont la surface de l’astre se couvrit à cette époque.

Cette hypothèse, cependant, semble presque commandée par les circonstances du second événement que rapporte le même historien. En 626, dit Abulfarage, sous l’empereur Héraclius, la moitié du corps du Soleil s’obscurcit, et cela dura du mois d’octobre jusqu’au mois de juin suivant.

Le Jésuite Scheiner expliquait par des taches l’éclipse totale du Soleil qui arriva au moment de la mort de Jésus-Christ. L’obscurité fut complète sur toute la Terre, et elle dura environ trois heures. Il n’en fallait pas davantage pour rayer cette éclipse du nombre de celles qui, dans le cours des siècles, ont dépendu de causes naturelles. En effet, une éclipse, quand l’interposition de la lune la produit, ne peut être totale que le long d’une zone de terre fort étroite, et même sur cette zone l’obscurité ne dure qu’un très-petit nombre de minutes.

On avait déjà fait remarquer qu’à la mort de Jésus-Christ, la lune se trouvait voisine de son plein ; or, quand la lune éclipse le Soleil, elle est nécessairement nouvelle. L’éclipse de la Passion fut donc l’effet d’un miracle.

Ce raisonnement ne manquait pas de force ; mais il suffisait d’une erreur de date pour tout ramener aux causes naturelles. Aucune erreur de date, au contraire, ne pourrait expliquer la généralité de l’éclipse et la durée qui lui a été attribuée.

En recourant à des taches qui, suivant l’ordre régulier des mouvements célestes, ne pourraient soit envahir, soit quitter un hémisphère entier du Soleil que dans un intervalle de quatorze jours environ, Scheiner n’entendait pas, comme de raison, enlever au phénomène son caractère miraculeux. Il croyait seulement substituer un miracle facile à un miracle difficile. Une aussi singulière idée ne mérite certainement pas d’être discutée sérieusement.

Les 19, 20 et 21 août 1612, au lever du soleil, Galilée et ses amis virent vers le centre du disque, et à l’œil nu, c’est-à-dire, à cause de sa visibilité sans le secours de grossissement, une tache obscure d’une minute au moins de diamètre. Beaucoup d’autres taches ne s’apercevaient alors qu’à l’aide de la lunette.

Le 20 juillet 1643, Hévélius remarqua une traînée de taches et de facules qui embrassait environ le tiers du diamètre du Soleil.

Derham dit, sans citer ses autorités, qu’il n’y eut pas de tache de 1660 à 1671 et de 1676 à 1684. (Trans., vol. xxvii, 1711, page 275.)

Suivant les Mémoires de l’Académie des sciences, aucune tache ne se montra depuis 1695 jusqu’en 1700.

De 1700 à 1710, il y en eut beaucoup.

En 1710 on n’en vit qu’une.

En 1711 et 1712, on n’en aperçut point.

En 1713 il en parut une seule.

Dans l’année 1716, on aperçut 21 groupes de taches.

Du 30 août au 3 septembre, il y avait dans l’hémisphère tourné vers la terre huit groupes distincts visibles à la fois. (Académie des sciences, 1716.) En 1717, 1718, 1719 et 1720, on observa plus de taches encore qu’en 1716. La plus grosse qu’on ait vue dans cet intervalle, avait un diamètre égal à la 60e partie de celui du Soleil. Son diamètre réel était donc double de celui de la Terre. En 1719, les astronomes croyaient, tant il y avait de taches, qu’elles formaient une sorte de ceinture équatoriale du Soleil.

Le 15 mars 1758, Mayer mesura une tache dont le diamètre était égal à l/20e du diamètre du Soleil, ou à 1′ 30″ (plus de cinq fois le diamètre de la Terre vu du Soleil).

En février 1759, il y eut sur le Soleil une tache que Messier vit à l’œil nu.

En octobre 1759, Messier compta sur le Soleil 25 taches entourées de pénombre. (Connaissance des temps pour 1810.)

Le 15 avril 1764, d’Arquier et ses compatriotes de Toulouse aperçurent une grosse tache sur le Soleil, sans le secours de lunettes, en garantissant seulement leurs yeux avec des verres enfumés.

Méchain et Herschel observèrent, en 1779, une tache visible à l’œil nu. Elle était divisée en deux parties. La plus grande sous-tendait un angle de 1′ 8″. (Trans., 1795, p. 49.)

En juillet 1780, Méchain vit encore une tache sans le secours de lunettes.

En 1792, Herschel aperçut deux taches à l’œil nu. (Ibid., p. 54.)

Dans l’ouvrage de Schrœter, publié en 1789, cet observateur parle d’une tache qui, d’après ses mesures, couvrait sur le Soleil une étendue superficielle 16 fois plus grande que celle de la Terre. Elle sous-tendait donc un angle de 4′ 35″. Le même astronome rapporte l’observation de 68 taches qu’on voyait simultanément. Une autre fois ce nombre s’éleva jusqu’à 81.

Le 20 avril 1801, Herschel vit sur le Soleil plus de 50 taches noires. Un grand nombre d’entre elles étaient entourées de pénombres.

Le 23 avril, on en aperçut près de 50,
Le 24 on en compta 50,
Le 27 39,
Le 29 24. (Trans. de 1801, p. 359.)

Le 9 novembre 1802, au moment du passage de Mercure sur le Soleil, Herschel aperçut sur le disque jusqu’à 40 taches noires.

M. Henri Schwabe, de Dessau, s’est voué spécialement depuis 1826 jusqu’à l’époque actuelle, à l’observation journalière des taches et groupes de taches qui paraissent sur le disque du Soleil.

Le tableau suivant donne les résultats des 26 années d’observation comprises entre le commencement de 1826 et la fin de 1851. Chaque groupe de taches n’est compté qu’une seule fois dans une même rotation du Soleil.

Pour les personnes qui ne sont pas au courant des définitions mathématiques, je dirai, afin qu’elles comprennent sans peine la signification du tableau des taches solaires qu’on appelle un maximum une quantité plus grande que les quantités qui la suivent ou qui la précèdent immédiatement, et de même qu’on appelle un minimum une quantité plus petite que les quantités qui l’avoisinent. Ainsi le nombre de 225 taches correspondant à 1828 est maximum par rapport au nombre de taches des années voisines, quoiqu’il soit plus petit que les nombres 272, 282, 257, 238 placés plus loin et qui avoisinent d’autres maxima.

Années
où ont été
faites les
observations.
Nombre
de jours
d’observation
dans
l’année.
Nombre
de groupes
de taches
observés
dans l’année.
Époques de
maxima et de
minima
des groupes
de taches.
Nombre de jours
dans l’année
où l’on n’a pas
constaté
de taches.
1826 277 118 22
27 273 161 2
28 282 225 maximum 0
29 244 199 0
30 217 190 1
31 239 149 3
32 370 84 49
33 267 33 minimum 139
34 273 51 120
35 244 173 18
36 200 272 0
37 168 333 maximum 0
38 202 282 0
39 205 162 0
40 263 152 3
41 283 102 15
42 307 68 64
43 324 34 minimum 149
44 320 52 111
45 332 114 29
46 314 157 1
47 276 257 0
48 278 330 maximum 0
49 285 238 0
50 308 186 2
51 308 151 0

Moyennes des 26 années : 268 jours d’observation par an, 164 groupes constatés dans l’année.

Il paraît résulter des observations de M. Schwabe, que les apparitions de groupes de taches sont sujettes à une certaine périodicité ; qu’après s’être accru pendant cinq à six ans le nombre décroît ensuite par degrés pendant un laps de temps à peu près égal. Conséquemment l’intervalle compris entre deux maxima ou deux minima consécutifs, serait de dix à douze ans.

Le nombre de jours pendant lesquels le Soleil se montre dépourvu de taches est nul, suivant l’observation de M. Schwabe, dans les années voisines de celles des maxima, tandis qu’il s’élève à plus de cent vers les époques des minima.