Astronomie populaire (Arago)/XIV/20

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 152-157).

CHAPITRE XX

les noyaux des taches solaires sont-ils aussi noirs
qu’ils le paraissent


Rien de plus important, pour arriver à des connaissances précises sur la constitution physique du Soleil, que de rechercher si les noyaux des taches sont aussi sombres, aussi obscurs qu’ils le paraissent. Galilée et Herschel ont l’un et l’autre abordé ce problème. Je vais faire connaître leurs solutions en les accompagnant de diverses objections qui ne me paraissent pas sans quelque force.

Voici comment s’exprimait Galilée en 1612 : « J’estime que les taches vues dans le Soleil, sont non seulement moins obscures que les taches sombres que l’on découvre sur le disque lunaire, mais qu’elles sont non moins brillantes que les parties les plus brillantes de la Lune au moment où le Soleil l’illumine le plus directement. La raison qui me porte à penser ainsi est la suivante : Vénus, dans son apparition du soir, bien qu’elle brille d’un si grand éclat, ne s’aperçoit pas, à moins d’être éloignée du Soleil de plusieurs degrés, et cela aurait lieu encore plus si les deux astres étaient tous deux à une grande hauteur sur l’horizon. La raison en est que les parties de l’air qui avoisinent le Soleil ne sont pas moins resplendissantes que Vénus elle-même, d’où l’on peut conclure que si nous pouvions placer la Lune à côté du Soleil, toute brillante de la lumière même qu’elle a dans son plein, elle serait complétement invisible, comme se trouvant placée dans un champ non moins éclairé et resplendissant que sa propre surface. Lorsque nous regardons le Soleil avec la lunette, n’oublions pas que son disque nous paraît plus éclatant que l’espace qui l’entoure. En outre, comparons le noir des taches solaires, d’une part avec la lumière elle-même du Soleil, de l’autre avec l’obscurité ambiante, et nous trouverons, par l’une et l’autre comparaison, que les taches ne sont pas plus obscures que le champ circonvoisin. Si donc l’obscurité des taches solaires n’est pas plus grande que celle du champ qui environne le Soleil ; si, de plus, la Lune dans toute sa splendeur reste invisible au milieu de l’éclat de ce même champ, il en résulte la conséquence nécessaire que les taches du Soleil ne sont aucunement moins claires que les parties les plus brillantes de la Lune, quoique, par cela seul qu’elles se trouvent placées sur le disque extrêmement éclatant du disque solaire, elles se montrent à nous sombres et noires. Si elles ne le cèdent pas en éclat aux parties les plus lumineuses de la Lune, que seront-elles donc en comparaison des taches les plus obscures de cet astre ? »

Reprenons ce passage ligne à ligne :

La lumière des régions de notre atmosphère qui paraissent en contact avec le Soleil, efface celle de Vénus ; cela démontre, dit Galilée, que son intensité n’est pas inférieure à l’intensité de la lumière que la planète envoie vers la Terre.

L’observation, en la supposant exacte, prouverait beaucoup plus que Galilée ne dit.

Il est établi expérimentalement que l’œil le moins exercé saisit sans difficulté une augmentation de lumière de  ; lorsque l’une des lumières est animée d’une certaine vitesse par rapport à l’autre, l’œil perçoit même des différences de (liv. v, chap. iv). Sur les points où, dans les environs du Soleil, Vénus ajouterait par sa présence à la lumière atmosphérique plus voisine de la Terre, l’observateur verrait une tache lumineuse de la forme et de la grandeur de la planète. Le raisonnement qu’on a lu dans le passage guillemeté conduirait donc à cette conséquence bien autrement précise que celle dont Galilée se contenta : le noyau des taches solaires, malgré sa noirceur apparente, est 30 fois au moins plus lumineux que Vénus.

Pour que la disparition de Vénus près du Soleil autorisât le raisonnement de Galilée et l’application que j’en ai faite à des données photométriques plus exactes, il serait indispensable que l’observateur de cette disparition se fût soustrait à l’influence éblouissante de la somme de tous les rayonnements latéraux ; qu’il n’eût laissé bien strictement entrer dans son œil, ou tomber sur l’objectif de sa lunette, que la lumière provenant d’une partie très circonscrite d’atmosphère située dans la direction de la planète. Mais, il faut le dire, quand on a pris ces précautions, Vénus ne disparaît pas, même très-près du Soleil.

Je ne dirai rien de la comparaison que Galilée a faite entre l’obscurité d’une petite tache noire se projetant en entier sur le Soleil, et l’obscurité de la portion du champ de la lunette entourant, loin de la tache, le disque solaire. A quoi bon insister, en effet, sur la difficulté d’une semblable comparaison, quand je puis dire : en annonçant que les taches solaires ne sont pas, ne paraissent pas plus obscures que le champ atmosphérique circonvoisin, Galilée, chose étonnante, proclamait un fait de vérité nécessaire, un fait qui n’avait nullement besoin d’être prouvé, un fait qui n’exigeait pas la moindre observation. Mes assertions ont d’autant plus besoin d’être justifiées, que Galilée n’est pas le seul qui soit tombé dans une pareille méprise.

Entre le Soleil et l’observateur, très-près de celui-ci, existe l’atmosphère terrestre. L’atmosphère terrestre a une hauteur très-bornée, et elle réfléchit vers la Terre une portion notable de la lumière solaire. Tout le monde a pu remarquer que cette lumière secondaire, que cette lumière atmosphérique réfléchie, augmente avec rapidité à mesure qu’on se rapproche du limbe du Soleil. Nul doute que l’augmentation ne doive se continuer dans la portion d’atmosphère qui est exactement interposée entre le Soleil et l’observateur, dans la portion qui se projette sur le corps même de l’astre.

Quand nous regardons le Soleil à l’œil nu ou avec une lunette, quels sont les rayons qui concourent à la formation de l’image ? D’une part, la lumière émanant directement du Soleil ; de l’autre, la lumière réfléchie vers nous par la portion d’atmosphère comprise entre les lignes visuelles menées de la place que nous occupons à tous les points du contour circulaire de l’astre. Ces deux genres de lumière sont intimement mêlés, et la réfraction dans les humeurs de l’œil ou à travers les verres de la lunette, ne saurait les séparer. Aussi une tache, fût-elle complétement obscure, ne semblera pas telle ; son image sombre se trouvera recouverte, se trouvera éclaircie par l’image de la portion correspondante et très-brillante de l’atmosphère interposée. Supposons une tache ronde et d’une minute de diamètre ; elle sera au moins aussi lumineuse que le paraîtrait une ouverture d’une minute faite dans un diaphragme noir, situé au delà des limites de notre atmosphère, et qui se projetterait sur les régions très-voisines du Soleil.

En résumé, tous les noyaux des taches, quelque noirs qu’ils paraissent sur le Soleil, éblouiraient par leur très-vive lumière ceux qui les verraient séparément. J’ai réussi, j’espère, à rendre cela évident sans avoir eu besoin d’invoquer aucune expérience, aucune observation. Il n’en sera plus ainsi quand on voudra décider si le noyau n’est pour rien dans la lumière qui semble en provenir, si la lumière atmosphérique suffit à tout ; alors des expériences minutieuses, très-délicates, seront indispensables.

Un littérateur de mes amis, à qui je lisais cette discussion pour avoir son avis, ayant éprouvé quelque difficulté à bien saisir l’ensemble des considérations sur lesquelles je me suis appuyé, j’ai cherché s’il ne serait pas possible d’arriver au même but par une voie plus simple, ou du moins plus à la portée des personnes étrangères aux études scientifiques. Voici comment il me semble qu’on pourrait raisonner :

Tout le monde sait que le champ d’une lunette tournée vers le ciel paraît complétement et uniformément éclairé ; la lumière qu’on aperçoit alors est l’image de la portion d’atmosphère sur laquelle cette lunette se dirige ; l’objet étant indéfini, l’image est indéfinie aussi et doit s’étendre jusqu’aux limites mêmes du champ.

De jour, l’atmosphère jette donc inévitablement un rideau, un voile lumineux dans toute l’étendue du champ d’une lunette, quelle que soit la région du ciel qu’on veuille explorer. La région renferme-t-elle un astre éloigné, l’image télescopique de cet astre ira se dessiner sur l’image télescopique indéfinie de l’atmosphère ; elle sera recouverte du voile lumineux. Les deux lumières, celles de l’astre et du voile étant confondues, les régions brillantes de l’image de l’astre paraîtront plus vives qu’elles ne le sont réellement ; les régions sombres se seront éclaircies, les taches tout à fait obscures sembleront émettre une lumière égale à celle de l’image atmosphérique. Ce que je viens de dire d’un astre quelconque doit être appliqué au Soleil. Personne, en effet, ne peut douter que la partie de l’atmosphère qui se projette exactement sur le disque solaire, n’ait son image dans la lunette tout aussi bien que les parties qui semblent entourer le limbe.