Astronomie populaire (Arago)/XIX/11

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 538-542).


CHAPITRE XI

que doit-on penser du satellite de vénus ?


Vénus est aussi grande ou presque aussi grande que la Terre ; la Terre a un satellite, donc Vénus doit aussi avoir un satellite. Telle est la conséquence à laquelle ont conduit certains systèmes cosmogoniques et des considérations empruntées aux causes finales. Examinons maintenant les faits.

Le 28 août 1686, à 4h 15m du matin, Dominique Cassini vit près de Vénus, à 3/5es de son diamètre vers l’orient, une lumière faible et informe, qui avait une phase semblable à celle de la planète. Le diamètre du phénomène égalait le quart de celui de Vénus. L’observateur le vit pendant un quart d’heure ; il se servait d’une lunette de 10 mètres. La lumière du jour le fit disparaître.

Cassini avait fait une observation analogue, le 25 janvier 1672. Depuis 6h 52m du matin jusqu’à 7h 2m, le petit astre était en croissant, comme Vénus, et éloigné de la corne australe d’une quantité égale au diamètre de Vénus du côté de l’occident ; le 3 septembre, le petit astre ne se voyait plus.

Short, également connu comme constructeur de télescopes et comme astronome, fit en Angleterre les observations suivantes sur le même sujet :

Le 23 octobre 1740, un télescope ayant 5 mètres de foyer montre une petite étoile près de la planète.

Un autre télescope, d’une semblable distance focale, grossissant de 50 à 60 fois, fit voir le même astre. Un grossissement de 240, appliqué à ce second instrument, montra que la petite étoile avait une phase précisément semblable à celle de Vénus. La phase s’aperçut aussi à l’aide d’un grossissement de 140. Le diamètre du petit astre paraissait être le tiers de celui de Vénus ; sa lumière n’était pas aussi vive que celle de la planète, mais l’image paraissait parfaitement tranchée.

La distance du satellite à la planète était de 10′ 2″ au moment de l’observation.

Short rapporte qu’il aperçut Vénus et le satellite pendant une heure. La lumière du Soleil fit disparaître le satellite à 8h 1/4.

Pour prouver que les instruments employés à ces observations étaient en bon état, je dirai que le même jour, Short vit deux taches noirâtres sur le disque de Vénus.

Montaigne, astronome de Limoges, à qui des observations de divers genres, et surtout celles de plusieurs comètes avaient valu une certaine célébrité, vit quatre fois le satellite de Vénus du 3 au 11 mai 1761.

Les observations de Montaigne se composent de la distance du satellite à la planète, et de ce qu’on a appelé, depuis surtout qu’on s’occupe des étoiles doubles, des angles de position. Le tout déterminé par estime.

La lunette avait 2m,74 de longueur, et grossissait de 40 à 50 fois. Le satellite présentait la même phase que Vénus ; sa lumière était faible, et son diamètre paraissait s’élever au quart de celui de la planète.

Rœdkier, à Copenhague, vit la même apparence avec une lunette de 3 mètres de foyer, les 3 et 4 mars 1764. Les 10 et 11 du même mois, Horrebow et plusieurs curieux firent dans la même ville des observations analogues ; ils dirent s’être assurés par divers moyens que l’image qu’ils prenaient pour un satellite ne pouvait être une illusion d’optique.

Montbarron, à Auxerre, qui se servait d’un télescope grégorien de 90 centimètres, aperçut aussi le satellite les 15, 28 et 29 mars 1764, dans des positions notablement différentes.

Lambert, qui a discuté ces diverses observations avec toute l’habileté qu’on devait attendre d’un si grand géomètre, mentionne en tête de son Mémoire l’explication que le père Hell en avait donnée.

L’astronome de Vienne prétendait que ces images étaient le résultat d’une double réflexion de la lumière qui se serait opérée d’abord sur la cornée de l’œil, ensuite sur la surface de la lentille oculaire dont la concavité faisait face à l’observateur ; je veux dire sur la surface de cette lentille convexe, la plus voisine de l’objectif. À l’appui de cette explication, il rendait compte des mouvements que le déplacement de l’œil devait produire et avait produits, en effet, dans une fausse image observée par lui.

Sans s’arrêter à cette cause d’illusion, si facile à reconnaître, Lambert entreprit de déduire de quelques-unes des observations citées, les éléments de l’orbite d’un satellite, et il trouva que le mouvement s’exécutait dans un plan faisant avec le plan de l’écliptique un angle de 63° ; que l’orbite de l’astre avait 0,2 d’excentricité ; que le temps de la révolution autour de la planète s’élevait à 11j,2 ; enfin que le grand axe, vu perpendiculairement de la Terre en 1761, aurait sous-tendu un angle de 51′.

Les diverses observations pouvaient se coordonner avec ces éléments dans les limites que comportait un calcul fondé sur des données obtenues seulement par voie d’estime. Une objection très-puissante au premier abord était produite contre l’existence du satellite. Pourquoi, disait-on, ne l’a-t-on pas vu se détacher en noir sur le corps du Soleil pendant le passage de Vénus ? Lambert, d’après les éléments cités, répond à la difficulté de la manière la plus complète ; il montre qu’à cause de la grande inclinaison du plan de l’orbite à l’écliptique, le satellite se mouvait en dehors du disque apparent du Soleil, soit au-dessus, soit au-dessous, dans les passages de 1039, de 1761 et de 1769, les seuls qu’on ait observés depuis l’invention des lunettes.

Il découle du travail de Lambert que le satellite de Vénus, s’il existe, a un diamètre représenté par 0,28, celui de la Terre étant 1, tandis que le diamètre de la Lune est 0,27 ;

Que sa distance à la planète qui le maîtrise est un tant soit peu plus grande que la distance de la Lune à la Terre ;

Que Vénus devrait avoir sept fois plus de masse que la Terre, et une densité huit fois plus grande, sur quoi il faut remarquer que de très-petits changements dans les éléments réduiraient considérablement ces nombres.

Si l’on n’a pas vu le satellite sur le Soleil, à l’époque des passages de Vénus, on aurait pu l’apercevoir pendant des conjonctions non écliptiques de la planète, et l’on ne cite, aucune observation de ce genre ; mais on sait ce que valent les faits négatifs.

Remarquons, d’ailleurs, que la faiblesse du satellite, dans chacune de ses apparitions, prouve qu’il est d’une constitution peu apte à réfléchir la lumière solaire ; que peut-être il est doué d’une certaine diaphanéité, ce qui permettrait en quelque sorte de l’assimiler à nos nuages.

Mairan, qui croyait fermement à l’existence de ce satellite, expliquait ses rares apparitions par l’interposition habituelle de l’atmosphère solaire ou plutôt de la lumière zodiacale, sur la route parcourue par les rayons qui viennent du satellite à la Terre. D’autres ont supposé que le satellite de Vénus, ainsi que tous les satellites connus, tourne autour de cette planète en lui présentant toujours la même face, et ont trouvé dans la combinaison de cette égalité avec les réflexibilités très-inégales des divers points de sa surface, une cause naturelle des très-rares apparitions de l’astre mystérieux.

Mais c’est assez insister sur cet objet ; j’ai voulu présenter au lecteur toutes les pièces du procès ; chacun pourra ainsi se faire une opinion qui, dans l’état actuel de nos connaissances, ne peut être que du domaine des probabilités.


fin du tome deuxième de l’astronomie populaire