Astronomie populaire (Arago)/XVII/04

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 272-276).

CHAPITRE IV

sur les moyens de reconnaître, quand une comète se montre, si elle paraît pour la première fois, ou si elle avait été anciennement aperçue


Lorsqu’on a remarqué, ainsi que nous le ferons voir plus loin en parlant de quelques comètes en particulier, à quel point la forme de la queue d’une comète, la forme de sa chevelure, celle du noyau, et l’intensité lumineuse de toutes ses parties, varient quelquefois en trois ou quatre jours, on ne peut guère espérer que dans deux apparitions d’un tel astre, séparées par un grand nombre d’années, les circonstances physiques de grandeur et d’éclat puissent conduire à le reconnaître. Aussi n’est-ce pas à de tels caractères que les astronomes se fient. Le signalement, qu’on me passe ce terme, ils le laissent de côté ; la route suivie est ce qui attire seulement leur attention.

Dès qu’une comète a été observée trois fois avec exactitude, on calcule ses éléments paraboliques, et l’on s’empresse de rechercher si dans le catalogue où, de tout temps, ces éléments sont régulièrement inscrits, et qui s’appelle le Catalogue des comètes, il en est d’à peu près semblables à ceux qu’on vient de trouver.

À la date du 31 décembre 1831, le Catalogue des comètes renfermait les éléments de 137 de ces astres, sans compter les réapparitions constatées.

Les plus anciennes comètes dont on ait pu déterminer l’orbite, ont été calculées d’après des éléments qui ont tous été fournis par des observations chinoises.

Tandis que les astronomes de la Chine suivaient, par exemple, avec assiduité et dans des vues scientifiques la marche de la comète de 837 (no 10 du catalogue), les peuples de l’Europe n’y voyaient qu’un signal de la colère céleste, à laquelle Louis le Débonnaire lui-même, après avoir consulté tous les astrologues de son empire, n’espéra pouvoir échapper qu’en fondant des monastères. Cette comète est, au reste, une de celles qui peuvent le plus approcher de la Terre. En 837, d’après les recherches de Duséjour, elle resta pendant près de quatre fois vingt-quatre heures, à moins d’un million de lieues de notre orbite.

La comète de 1456, c’est-à-dire celle de Halley, dans l’une de ses apparitions, est la plus ancienne dont on ait pu calculer la marche d’après des observations faites exclusivement en Europe.

Les astronomes modernes s’occupent avec beaucoup plus d’attention que les anciens des phénomènes que présentent les comètes. J’en citerai pour preuve le nombre des comètes dont les orbites étaient exactement déterminées à la fin de 1853 ; ce nombre s’élevait alors à 201, sans compter les réapparitions constatées, de telle sorte que depuis 1831, c’est-à-dire en 22 ans, le catalogue des comètes s’est enrichi de 64 comètes ayant des orbites calculées. Si l’on tient compte de toutes les comètes dont l’existence seule a été signalée soit par des observations imparfaites, soit seulement par les chroniques, on trouve, d’après M. Hind, que le catalogue général des comètes mentionne pour chaque siècle, en ne parlant toutefois que des constations suffisamment authentiques :

Siècles. Comètes
observées
en Europe
et en Chine.
Ier 
22
IIe 
23
IIIe 
44
IVe 
27
Ve 
16
VIe 
25
VIIe 
22
VIIIe 
16
IXe 
42
Xe 
26
XIe 
36
XIIe 
26
XIIIe 
26
XIVe 
29
XVe 
27
XVIe 
31
XVIIe 
25
XVIIIe 
64
XIXe (première moitié) 
88

Ce qui donne un total de 607.

Si l’on fait attention que les anciens ne pouvaient pas avoir connaissance des comètes télescopiques, on ne sera peut-être pas éloigné de trouver exagérée l’opinion de Kepler que les comètes sont dans le ciel en aussi grand nombre que les poissons dans l’Océan.

C’est la table des comètes déjà calculées qu’on doit consulter lorsqu’on a pu calculer, d’après trois observations, les éléments paraboliques d’une comète nouvelle ; nous donnons cette table plus loin (ch. x),

Supposons d’abord que tous les systèmes d’éléments de la table diffèrent de ceux de l’astre nouveau. Eh bien, il faudra s’abstenir d’en rien conclure, puisqu’il résulte de l’observation et de la théorie, ainsi que nous le démontrerons quand nous nous occuperons des perturbations que cause l’attraction réciproque des corps célestes sur les routes des comètes à travers l’espace, qu’une comète, en passant près d’une planète, peut être si notablement dérangée dans sa marche, que la courbe décrite après ce rapprochement ne saurait en aucune manière être considérée comme la continuation de la courbe qui était parcourue auparavant.

Supposons, au contraire, que les nouveaux éléments paraboliques diffèrent très-peu d’un autre système d’éléments contenus dans la table et se rapportant à quelque comète aperçue à une époque plus ou moins reculée. Alors on peut, avec une grande probabilité, considérer le nouvel astre comme étant l’ancien qui reparaît en revenant à son périhélie. J’ai dit seulement, avec une grande probabilité, car, mathématiquement parlant, il n’est pas impossible que deux comètes parcourent dans l’espace deux courbes égales et semblablement placées. Mais quand on songe que la similitude doit porter simultanément sur l’inclinaison du plan de l’orbite, qui peut varier depuis 0 jusqu’à 90° ; sur la longitude du nœud, c’est-à-dire sur un nombre susceptible d’acquérir toutes les valeurs comprises entre 0° et 360° ; sur la longitude du périhélie qui, de même, peut correspondre à 360 degrés différents ; sur le sens du mouvement ; enfin, sur la distance périhélie, laquelle, pour les comètes actuellement connues, se trouve comprise entre 0,005 et 4,043 (nos 45 et 63 du catalogue des comètes), la distance moyenne de la Terre au Soleil étant 1 ; lorsque, dis-je, on a tous ces nombres sous les yeux, on ne doit guère hésiter à croire que deux comètes qui, à deux époques différentes, se sont montrées avec tous ces éléments à peu près pareils, ne forment qu’un seul et même astre. Jusqu’ici, au surplus, cette hardiesse a été justifiée par le succès.