Astronomie populaire (Arago)/XVII/13

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 2p. 313-317).

CHAPITRE XIII

des comètes visibles en plein jour


Les apparitions de comètes en plein jour sont assez rares ; je vais rechercher dans ce chapitre les exemples de celles qui sont suffisamment authentiques.

Suivant Sénèque la comète de l’an 146 avant notre ère « était aussi grande que le Soleil et dissipait les ténèbres de la nuit. »

L’expression, dissipait les ténèbres de la nuit, est vague et nous laisse dans l’incertitude sur l’éclat dont Sénèque a voulu parler.

Justin rapporte qu’une comète se montra pendant 70 jours, l’année de la naissance de Mithridate, 134 ans avant Jésus-Christ. « Le ciel, dit cet historien, paraissait tout en feu ; la comète en occupait la quatrième partie, et son éclat était supérieur à celui du Soleil ; elle employait quatre heures à se lever, autant à se coucher. » Il est digne de remarque que Justin nous gratifie d’une comète extrêmement semblable à la précédente, pour l’époque où Mithridate monta sur le trône. Les Annales de la Chine disent seulement que la 43e année du 43e cycle, correspondante à l’an 134 avant Jésus-Christ, on vit une grande comète dont la queue s’étendait jusqu’au milieu du ciel et qui parut pendant deux mois.

Dion Cassius dit qu’en l’an 52 avant Jésus-Christ, une torche ardente passa du midi à l’orient.

Les expressions son éclat était supérieur à celui du Soleil, torche ardente, ne prêtent à aucune équivoque, mais on peut remarquer que ces appréciations ont été faites sous l’influence des opinions qu’on avait conçues sur les malheurs que les comètes présageaient ; dès lors il est naturel de supposer qu’elles sont empreintes d’exagération. Ce que rapporte Diodore de Sicile (qui vivait 45 ans avant Jésus-Christ) me paraît mériter plus de confiance, car il cite une expérience qui caractérise nettement la lumière de la comète à laquelle il fait allusion. Suivant cet auteur, « cette comète était douée d’une si grande clarté qu’elle produisait des ombres à peu près semblables à celles que forme la Lune. » Ceci implique qu’elle était au moins deux ou trois fois plus brillante que Vénus dans son maximum d’éclat.

L’année 43 avant notre ère nous offre un astre chevelu qui se voyait de jour à l’œil nu. C’était la comète que les Romains regardèrent comme une métamorphose de l’âme de César, tombé peu de temps auparavant sous les poignards de Brutus, de Cassius, etc.

On vit en l’an 400 de notre ère la comète la plus terrible dont on ait jamais fait mention jusque-là, disent les historiens Socrate et Sozomène. Elle brillait, ajoutent-ils, au-dessus de Constantinople. Quoique placée au haut du ciel, elle atteignait la Terre. Sa forme était celle d’une épée. D’après ce récit, il est évident que la comète de 400 avait une longue queue. Quant au mot terrible, on rabattra sans doute beaucoup de son importance, si j’ajoute qu’aux yeux des contemporains, la comète de 400 était le présage des malheurs dont la perfidie de Gainas menaçait Constantinople.

La comète observée en 1006 par Haly-Ben-Rodoan et qu’on regarde comme une des apparitions de la comète de Halley jetait, dit-on, une clarté égale au quart de celle que la Lune répand dans son plein, et était trois fois plus grosse que Vénus.

Le 4 février 1106, on remarquait, suivant certains historiens, une étoile distante du Soleil de 1 pied et demi seulement.

On peut conjecturer que cette étoile était une comète et non pas Vénus, car le 7 février on aperçut, vers le couchant, une brillante comète, étendant jusqu’au signe des Gémeaux une traînée qui ressemblait à une toile de lin, disent les chroniques.

Dans l’année 1402 nous trouvons deux comètes très remarquables. La première était si brillante que la lumière du Soleil, à la fin de mars, n’empêchait d’apercevoir en plein midi ni son noyau ni même sa queue, et cela dans une étendue de deux brasses, pour me servir des expressions des auteurs contemporains. La seconde se montra dans le mois de juin ; elle se voyait longtemps avant le coucher du Soleil.

Le peuple prétendit que cette comète annonçait la mort prochaine de Jean Galéas Visconti. Ce prince qui, dans sa jeunesse, s’était fait tirer son horoscope, éprouva lui-même une grande frayeur en voyant le nouvel astre, et cela contribua peut-être beaucoup à réaliser la prédiction.

Je n’insisterai pas ici sur ce que dit Ducos de la comète de 1402 ; qu’inférer, en effet, d’expressions poétiques telles que celles-ci : « La comète ne permettait ni aux étoiles de déployer leur lumière, ni à la nuit d’obscurcir l’air. »

Cardan rapporte qu’en 1532, la curiosité des habitants de Milan fut vivement excitée par un astre que tout le monde pouvait observer en plein jour. À l’époque qu’il indique, celle de la mort de Sforce II, Vénus n’était pas dans une position assez favorable pour être aperçue en présence du Soleil. L’astre de Cardan était donc une comète.

La belle comète de 1577 (n° 32 du catalogue) fut découverte le 13 novembre par Tycho-Brahé, de son observatoire de l’île d’Hween, dans le Sund, avant le coucher du Soleil.

Les personnes qui ont l’habitude des observations, devineront pourquoi j’ai souligné le mot découverte. C’est qu’en effet il y a une grande différence entre apercevoir un astre dont on connaît l’existence, dont on sait la position, et le découvrir quand on promène seulement ses regards sur le firmament d’une manière indéterminée. La découverte suppose incontestablement dans l’astre plus d’intensité, plus d’éclat que l’observation.

Le père Maximilien Marsilius assura à Kepler que, le 24 novembre 1618, il avait vu en plein jour la tête et la queue de la seconde comète (n° 40 du catalogue) qui parut cette année-là.

Je me hâte d’arriver à une comète plus moderne, pour laquelle nous trouverons, dans un ouvrage spécial, des observations détaillées.

Le 1er février, la comète de 1744, célèbre par ses queues multiples, était, d’après Chéseaux, plus lumineuse que la plus brillante étoile du ciel, c’est-à-dire que Sirius ;

Le 8, elle égalait Jupiter ;

Quelques jours après, elle ne le cédait en éclat qu’à Vénus ;

Au commencement du mois suivant, elle se voyait en présence du Soleil. En se plaçant d’une manière convenable, de façon à ne pas être éblouies par la lumière solaire, le 1er mars, plusieurs personnes l’aperçurent, même sans lunettes, à une heure après-midi.

Si nous ajoutons la comète du commencement de 1843 (n° 164 du catalogue), qui a été aperçue en plein midi à une distance de moins de 2° du Soleil, nous aurons seulement un total de huit comètes qui, d’après les récits exacts des historiens, ont été vues pendant le jour, savoir : celle de 43 ans avant Jésus-Christ, les deux comètes de 1402, celles de 1532, de 1577, de 1618, de 1744 et de 1843.