Astronomie populaire (Arago)/XX/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 32-55).

CHAPITRE VI

preuves matérielles du mouvement de rotation de la terre


N’y a-t-il pas des preuves matérielles du mouvement de rotation de la Terre ? Ces preuves existent, je vais les expliquer succinctement.

Admettons que la Terre soit, en effet, douée d’un mouvement de rotation dirigé de l’occident à l’orient, et cherchons les conséquences mécaniques de cette hypothèse.

Tout le monde sait que lorsqu’un corps est assujetti à tourner suivant une circonférence de cercle, il tend à être jeté en dehors de cette circonférence avec une violence proportionnelle au carré de la vitesse de sa rotation, et dans un rapport inverse avec le rayon de sa circonférence. La force centrifuge est connue de tous ceux qui ont fait tourner une fronde ; on en perçoit l’effet chaque jour dans les courbes des chemins de fer. Un point qui est placé à la surface de la Terre est soumis à l’action de la pesanteur qui le fait tomber suivant la verticale ; en outre, si la Terre tourne, il subit l’influence de la force centrifuge dans le sens de la perpendiculaire à l’axe de rotation, force qui sera d’autant plus grande que la distance à l’axe de rotation sera elle-même plus grande.

Eh bien, supposons qu’on fixe un fil à plomb au sommet d’une tour, et que le poids qui le tend descende jusqu’à la surface du sol. La direction de ce fil à plomb dépendra de la direction de la pesanteur et de la force centrifuge résultant de la rotation de la Terre mesurée au pied de la tour. Un second fil à plomb dont le point de suspension serait à une petite distance à l’est, à 20 millimètres, par exemple, du point de suspension du premier fil, et qui serait tendu par un poids à une petite distance au-dessous du point d’attache, n’aurait pas la direction du premier. En effet, la direction de ce second fil s’obtiendrait en combinant la direction de la pesanteur, direction qui est absolument la même que pour le premier, avec la force centrifuge plus grande au sommet de la tour qu’à la base. La résultante de ces deux forces porterait donc ce second fil prolongé à plus de 20 millimètres à l’est du point auquel correspond le premier poids. Que, dans l’impossibilité de s’assurer directement du défaut de parallélisme des deux fils, on détache le poids suspendu à l’extrémité du second, dans sa descente ce poids suivra la direction suivant laquelle il avait tendu le second fil. Si donc la supposition dont nous sommes partis est exacte, si notre globe tourne de l’ouest à l’est, ce poids tombant touchera la Terre à l’orient du point auquel aboutit le premier de plus de 20 millimètres.

Les expériences faites d’abord en Italie par Guglielmini, répétées en Allemagne par Benzemberg et par M. Reich, ont constamment donné une déviation orientale comme l’indiquait la théorie. Mais ce que ne donnait pas le calcul de Laplace et de M. Gauss, c’est que le corps tombant tombe avec une petite déviation au sud, en sorte que la déviation totale se trouve être est-sud-est. Laplace a trouvé par le calcul qu’à l’équateur la déviation pour 100 mètres de hauteur devrait être de 22 millimètres. Les expériences de Guglielmini ont donné une déviation de 18mill,05 pour une hauteur de 78m,28, et celles de Benzemberg une déviation de 11mill,28 pour une hauteur de 84m,46. M. Reich, en répétant les mêmes expériences, a trouvé une déviation de 28mill,3 pour une hauteur de chûte de 158m,5 ; la théorie indiquerait une déviation de 27mill,6. Ce phénomène délicat et sur la mesure duquel les moindres courants d’air peuvent exercer une influence notable, devrait être soumis à un nouvel examen.

Il est dès ce moment parfaitement certain que la déviation est ou sud-est ne peut pas se concilier avec l’immobilité de la Terre. Qu’on me permette de faire remarquer que l’idée de cette expérience appartient à Newton ; qu’elle fut communiquée à la Société royale de Londres le 28 novembre 1679 ; que Hooke crut avoir trouvé que partout ailleurs qu’à l’équateur la déviation devait se faire au sud-est, conclusion à laquelle Newton adhéra peut-être sans avoir examiné suffisamment le sujet.

On dit généralement que les phénomènes apparents du ciel étoilé doivent être les mêmes, soit que la Terre exécute toutes les 24 heures de l’occident à l’orient une révolution entière autour d’un axe déterminé, soit que la Terre étant immobile, l’ensemble de toutes les étoiles exécute autour du même axe une révolution complète dans le même espace de temps. Cette proposition est parfaitement exacte si la vitesse de la lumière est infinie ; il n’en est pas de même dans le cas où la lumière emploie un temps appréciable pour venir des astres à la Terre ; c’est ce que nous nous proposons d’établir dans ce qui va suivre.

Supposons qu’un astre soit entraîné de l’orient à l’occident autour de la Terre immobile. L’astre est sans cesse le centre de rayons divergents, mais la position de ce centre, relativement à l’horizon d’un lieu donné, et aussi relativement au méridien de ce même lieu, sera perpétuellement variable. Les rayons dardés par l’astre se meuvent en ligne droite, il ne paraîtra donc à l’horizon que par des rayons lumineux lancés de ce corps lorsqu’il était réellement dans l’horizon. L’astre semblera au méridien à l’aide d’un rayon coïncidant exactement avec ce plan. Or, les seuls rayons partant d’un astre qui se confondent avec le prolongement du méridien immobile, sont ceux que l’astre nous a dardés au moment de son passage réel par ce plan. Le même raisonnement s’appliquerait à la partie occidentale de l’horizon, celle où l’astre se couche, ou à tout autre plan dans lequel il a pu être observé.

Ne retenons de tout ceci que ce fait, qu’un astre, quel qu’il soit, si la Terre est immobile et la sphère étoilée tournante, ne se voit dans l’horizon ou dans le méridien qu’à l’aide de rayons qu’il nous a dardés lorsqu’il était en réalité et non pas en apparence dans le prolongement de l’un ou de l’autre de ces plans.

Supposons maintenant que la vitesse de la lumière soit appréciable ; admettons de plus que la lumière d’un astre, d’une étoile, par exemple, emploie 6 heures à nous parvenir, ce sera 6 heures après son passage véritable par le méridien que nous l’observerons dans ce plan. Or, il y a des astres, ceux qui sont situés sur le plan de l’équateur, qui dans l’intervalle de 6 heures parcourent les 90 degrés compris entre l’horizon et le méridien. Un de ces astres, dans la supposition que nous avons faite, se lèverait en apparence, que déjà il serait dans le méridien, et il se coucherait en réalité lorsque en apparence il culminerait.

Si l’on supposait l’astre équatorial à une distance de la Terre telle que la lumière employât 12 heures à la parcourir, il ne paraîtrait se lever qu’au moment de son coucher réel. Admettez la distance plus grande encore, et l’astre se verra à l’horizon oriental ou à son lever longtemps après son coucher réel.

En suivant les mêmes raisonnements et supposant les distances à la Terre différentes et dans une relation convenable avec leurs positions réelles, on trouverait que deux astres qui paraîtraient se toucher pourraient occuper en réalité dans l’espace les régions les plus éloignées.

Avant de rechercher si ces conséquences singulières, déduites de la double supposition de l’immobilité de la Terre et de la vitesse successive de la lumière, peuvent se concilier avec les faits, examinons le cas où la Terre se meut dans l’espace, le firmament et tous les astres qui le composent étant immobiles[1].

Les centres rayonnants, d’où la lumière part en ligne droite et suivant des directions divergentes, sont alors immobiles dans l’espace. Un de ces points rayonnants paraîtra se lever lorsque l’horizon, dans son mouvement de rotation dirigé de l’occident à l’orient, viendra coïncider avec une des lignes droites qui en émanent. Un astre passera au méridien quand le prolongement de ce plan, par l’effet du mouvement de rotation de la Terre, viendra coïncider avec la position invariable de l’astre vers laquelle convergent tous les rayons qui nous le font voir.

Peu importe, quant au lever de l’astre et à son passage au méridien, que les molécules lumineuses à l’aide desquelles les deux phénomènes se sont manifestés, soient parties de l’astre plusieurs heures, plusieurs semaines, plusieurs années et même plusieurs siècles avant leur observation, puisque ces molécules se meuvent toutes suivant des lignes droites aboutissant aux points fixes du firmament où les astres sont situés.

On voit que, dans cette nouvelle hypothèse, la vitesse de la lumière n’influe pas sur les positions apparentes ; que lorsqu’un astre paraît passer au méridien, c’est qu’il y passe en réalité, et que, quand deux astres semblent voisins l’un de l’autre, c’est que les lignes qui partant de la Terre aboutissent à leurs centres, sont voisines en effet.

Les déductions que nous avons tirées de l’hypothèse de l’immobilité de la Terre, ont dû paraître bien étranges ; mais dans les études scientifiques, l’extraordinaire n’est pas toujours la preuve de la fausseté des suppositions.

Voyons s’il n’y a pas dans le mouvement des astres quelques faits qui soient inconciliables avec cette conséquence, que nous les voyons dans des positions apparentes dépendantes de leur distance rectiligne à la Terre.

Eh bien, envisageons Mars, par exemple, en conjonction. Le moment apparent de son passage au méridien sera égal au moment de son passage réel, augmenté du temps que la lumière emploie à venir de cet-astre à la Terre, c’est-à-dire à franchir l’intervalle MT (fig. 233).

Fig. 233. — Observations des passages an méridien d’une planète supérieure au moment de la conjonction et au moment de l’opposition, pour prouver la mobilité de la Terre.
Considérons Mars en opposition M′, le moment où on le verra passer au méridien sera de même égal au temps de son passage réel augmenté du temps que la lumière emploie à parcourir la distance TM′ qui, à cette époque, sépare la planète de la Terre. Mais la distance de Mars à la Terre à la première époque, je veux dire le jour de la conjonction, surpasse cette même distance, le jour de l’opposition, du double de la distance TS du Soleil à la Terre. Il y aurait donc entre l’opposition et la conjonction, quant aux passages au méridien observés, comparés aux passages réels, une inégalité ou perturbation, qui, exprimée en temps, serait égale au double du temps que la lumière emploie à venir du Soleil à la Terre, c’est-à-dire en définitive une perturbation de 16m 1/2 environ, d’après la valeur que nous déterminerons pour la vitesse de la lumière. On voit de plus que par la cause indiquée le mouvement apparent de la planète se ferait entre la conjonction et l’opposition, de l’orient à l’occident. Or, l’existence de pareilles perturbations n’est nullement indiquée par les observations. Un raisonnement analogue s’appliquerait à Jupiter et à Saturne. On découvrirait que la même supposition de l’immobilité de la Terre conduirait à des résultats plus inadmissibles encore, si on considérait les étoiles doubles. Lorsque l’étoile principale et l’étoile satellite se trouveraient à la même distance de la Terre, elles paraîtraient très-voisines, comme elles le sont en effet. Mais supposons que, par son mouvement de circulation autour de l’étoile principale, l’étoile satellite prît une position plus éloignée de la Terre d’une quantité égale au diamètre de l’orbite terrestre, et alors loin de sembler presque en contact avec le centre de son mouvement, elle paraîtrait s’en être éloignée en ascension droite d’une quantité qui, exprimée en temps, se monterait à plus de huit minutes, résultat tellement en désaccord avec tout ce que donnent les observations, qu’on peut vraiment le regarder comme une démonstration mathématique de la fausseté de l’hypothèse dont nous sommes partis, c’est à-dire de l’immobilité de la Terre.

Les astres mobiles, dans la supposition d’une vitesse successive de la lumière, devant être vus dans des positions fort éloignées de leurs positions réelles au moment où s’effectue la vision, il s’ensuit que deux astres inégalement éloignés et occupant des régions du ciel fort dissemblables, peuvent paraître en contact.

Au premier aspect on est disposé à déduire de ce résultat la conséquence qu’il ne doit pas y avoir une occultation proprement dite, immédiatement après le moment où Mars, Jupiter et Saturne paraissent en contact avec les étoiles plus orientales que ces planètes, mais ce serait là une erreur dont les commençants eux-mêmes s’apercevront facilement en remarquant que, vu les distances extrêmement considérables des étoiles par rapport à celles des planètes à la Terre, on peut regarder les rayons de lumière envoyés par une étoile comme étant parallèles entre eux.

La remarque que, par suite de la double supposition de l’immobilité de la Terre et d’une vitesse successive de la lumière, les astres ne se montreraient pas dans leurs positions réelles, se trouve imprimée pour la première fois, je crois, dans les Opuscules mathématiques de d’Alembert. Je lis en outre, dans le premier tome de l’Histoire des mathématiques de Montucla, le passage suivant, qui mérite certainement d’être cité :

« Nous apprenons d’Aristote, qu’Empédocle faisait consister la lumière en un écoulement continu hors du corps lumineux, et je me rappelle avoir lu, je ne sais plus dans quel commentateur, qu’il répondait avec beaucoup de justesse à une objection qu’on lui faisait à ce sujet. Si la lumière du Soleil, disait-on, consiste dans une émission de corpuscules partant de cet astre, nous ne le verrions jamais à sa vraie place, car il en aurait changé dans l’intervalle de temps que le corpuscule de la lumière arriverait à nous. Empédocle, sans recourir à l’instantanéité de cette émission ou à sa prodigieuse vélocité, disait que cette objection serait vraie si le Soleil était lui-même en mouvement, mais que la Terre, tournant autour de son axe, venait au-devant du rayon et voyait l’astre dans sa prolongation. On ne répondrait pas mieux aujourd’hui à cette objection, si quelqu’un la proposait, contre la propagation successive de la lumière et de son émission. »

Après avoir consciencieusement reporté à leurs auteurs la remarque que les astres ne se verraient pas dans leurs vraies places si la Terre était immobile, je dois ajouter que ni d’Alembert, ni Montucla n’ont cherché, dans les observations astronomiques, des phénomènes en désaccord avec cette hypothèse.

Des personnes auxquelles je citais la remarque du grand géomètre et celle de l’historien de mathématiques, ne manquaient pas de me répondre immédiatement : « Comme vous ne connaissez rien des positions réelles des astres, comme vous les avez toujours observées dans les mêmes circonstances, comme l’immobilité de la Terre a dû avoir les mêmes conséquences dans tous les temps, qui nous empêche d’admettre que des astres voisins en apparence sont en réalité très-éloignés les uns des autres ? »

Le seul mérite, si mérite il y avait, que je pusse m’attribuer dans la discussion qui précède, consisterait donc à avoir signalé dans les mouvements célestes des phénomènes en désaccord complet avec les observations si la Terre ne tournait pas ; à avoir enfin fait servir la remarque de d’Alembert à démontrer le mouvement de rotation de la Terre.

Pour qu’on ne prétende pas qu’il y a en tout ceci un cercle vicieux, et que la détermination de la vitesse de la lumière implique déjà la connaissance du vrai système du monde, je ferai remarquer que depuis des recherches récentes que j’aurai l’occasion de décrire, la mesure de cette vitesse ne repose plus exclusivement sur l’observation des satellites de Jupiter, et qu’elle a été déduite d’expériences faites sur la Terre elle-même.

Un jeune physicien français d’un grand mérite a, du reste, doté les sciences dans ces dernières années de deux expériences faciles à répéter en tous lieux avec des appareils simples, et qui sont des démonstrations matérielles de la rotation diurne de notre globe.

Nous avons vu que le pendule dans sa plus grande simplicité (liv. ii, chap. x) consiste dans un corps pesant suspendu par un fil très-délié, mobile lui-même autour d’un point, de telle sorte qu’on peut l’écarter de la position verticale qu’il occupe, comme le fil à plomb, lors de l’équilibre, pour l’amener à droite ou à gauche, en avant ou en arrière, et l’abandonner ensuite à lui-même. Cet appareil, mis en mouvement, oscille autour de la verticale et d’abord dans le plan suivant lequel on l’a écarté de cette verticale. Mais doit-il ou peut-il rester dans ce plan primitif ? Les académiciens del Cimento, à Florence, ont fait sur le pendule de nombreuses observations d’où il résulte qu’ils avaient constaté la variation du plan des oscillations. Voici, par exemple, un passage que M. Antinori, directeur du Musée de physique et d’histoire naturelle de Florence, a trouvé dans les manuscrits autographes de Vincent Viviani sur le mouvement du pendule, et qui ne peut laisser aucun doute sur l’ancienneté de la constatation des circonstances particulières que présente le pendule à fil : « Nous observons, dit la Note inédite exhumée à la fin d’avril 1851 par M. Antinori, que tous les pendules à un seul fil dévient du premier plan vertical constamment dans la même direction, c’est-à-dire suivant les lignes AB, CD, EF, etc. (fig. 234), de la droite à la gauche des parties antérieures. »

Fig. 234. — Déplacement du plan des oscillations du pendule à un seul fil.

Cette Note n’a été imprimée qu’après la publication des expériences de M. Foucault sur le pendule. Mais voici deux paragraphes qui ont rapport au sujet en question et qui sont imprimés l’un dans les Saggi di Naturali Esperienze, edizione del 1841, page 20, et l’autre dans les Notizie degli Aggrandimenti délle scienze fisiche in Toscana, publiées par Targioni, tome ii, 2e partie, p. 669. Nous traduisons d’abord le premier passage, ainsi conçu : «Mais comme le pendule ordinaire à un seul fil, ayant ainsi la liberté de se mouvoir (quelle qu’en soit d’ailleurs la raison), va en s’éloignant insensiblement de sa première situation jusqu’à son repos, à mesure qu’il s’approche du repos, son mouvement ne s’opère plus selon un arc vertical, mais par le fait suivant une spirale ovale (ma par fatto per una spirale ovata) dans laquelle on ne peut plus distinguer ni compter les vibrations, il s’ensuit que c’est seulement dans le but de lui faire suivre jusqu’à la fin le même plan que l’on a eu l’idée de suspendre la boule à un fil double. »

Voici maintenant la traduction du passage des Notices publiées par Targioni : « Le 28 novembre 1661. Si on reçoit sur du marbre en poudre la pointe d’un pendule attachée à un seul fil, alors qu’il commence à se ralentir dans son mouvement, lequel, abandonné à ses propres vibrations, s’opère suivant une spirale, elle y trace sa course qui est représentée par une spirale ovale (che è una spirale ovata) qui va toujours en se rétrécissant vers le centre. »

Les textes qu’on a sous les yeux, s’ils prouvent que les académiciens del Cimento avaient reconnu les déplacements du plan des oscillations du pendule à un fil, ne démontrent nullement qu’ils eussent pensé à la dépendance de ces déplacements avec le mouvement de rotation de la Terre. Le mérite de M. Foucault est d’avoir mis en évidence la relation nécessaire des deux mouvements, et d’en avoir tiré une démonstration physique de la rotation de notre globe.

M. Foucault a communiqué les détails de son expérience à l’Académie des sciences de Paris, dans la séance du 3 février 1851. Elle consiste à encastrer un fil d’acier (fig. 235) par son extrémité supérieure dans une plaque métallique A, fixée solidement à une voûte ou à un plafond. Ce fil supporte à son extrémité inférieure une boule de cuivre P d’un poids assez fort. Une pointe est attachée au-dessous de la boule. On dispose deux petits monticules de sable fin m et m′ en les allongeant chacun suivant une direction perpendiculaire au plan vertical, dans lequel on fera commencer les oscillations du pendule. Il est nécessaire que le pendule parte pour osciller sans avoir de vitesse initiale. Pour cela on le dérange de la position verticale et on le maintient dans un écartement convenable en attachant la boule par un fil de matière organique à un objet fixe. Lorsque la boule est bien en repos dans la position particulière qu’on lui a ainsi donnée, on brûle le fil organique à l’aide de la flamme d’une allumette. On voit alors le pendule partir aussitôt ; la pointe de la boule entame peu à peu les monticules de sable, de manière à montrer manifestement une déviation du plan des oscillations de l’orient vers l’occident.

Le mouvement qu’on observe ainsi dans le plan des oscillations n’est qu’apparent ; en réalité ce plan reste immobile, c’est la Terre qui tourne au-dessous, d’occident
Fig. 235. — Démonstration physique de la rotation de la Terre par le pendule
de M. Foucault.
en orient. Le point de suspension du pendule est lié, il est vrai, à la Terre, et tourne avec elle, mais la torsion qui peut en résulter sur le fil n’exerce pas d’influence sensible sur l’ensemble du pendule. Les figures 236 et 237 montrent le système d’attache que M. Foucault a adopté pour la partie supérieure du fil dans la plaque métallique fixée à la voûte par les écrous e. Il est évident qu’avec un fil très-long et une boule relativement très grosse, il ne peut pas s’exercer d’action perturbatrice énergique sur le plan dans lequel se font les oscillations, par l’intermédiaire de la plaque de suspension.
Fig. 230. — Mode d’attache du fil du pendule de M. Foucault
(projection verticale).
Fig. 237. — Mode d’attache du fil du pendule de M. Foucault
(plan suivant la ligne ab de la projection verticale).

Après la communication des expériences de M. Foucault à l’Académie des sciences, M. Liouville a démontré par une méthode bien simple la dépendance du déplacement du plan des oscillations du pendule avec le mouvement de rotation de notre globe. Si on suppose qu’on se transporte d’abord au pôle nord pour y établir le pendule de M. Foucault, de façon que le point de suspension soit sur le prolongement de l’axe de rotation de la Terre, il est évident que tout étant symétrique par rapport au plan dans lequel on aura fait mouvoir arbitrairement le pendule, le mouvement de la Terre deviendra sensible par le contraste de l’immobilité du plan d’oscillation. En effet, un observateur placé sur la Terre sera entraîné avec elle de l’ouest à l’est, et comme il ne s’aperçoit pas de son propre mouvement, ce sera le plan d’oscillation du pendule qui lui semblera tourner en vingt-quatre heures de l’est à l’ouest.

Au pôle austral, le pendule présentera les mêmes phénomènes ; seulement, le plan d’oscillation semblera tourner en sens contraire, à cause de la position inverse de l’observateur, c’est-à-dire que le mouvement apparent du plan d’oscillation s’effectuant de gauche à droite au pôle boréal, il semblera avoir lieu de droite à gauche au pôle austral.

D’une manière générale, il est clair que si le plan d’oscillation semble tourner dans un certain sens d’un côté de l’équateur terrestre, il paraîtra tourner en sens contraire de l’autre côté. Par conséquent, sur l’équateur même, le plan d’oscillation devra paraître immobile ; il n’y a pas de raison pour qu’il semble y tourner dans un sens plutôt que dans l’autre, l’observateur placé à l’équateur terrestre étant toujours, pendant les vingt-quatre heures du mouvement de rotation de notre globe, dans la même position par rapport au pendule oscillant.

Maintenant voyons ce qui se passera en un point A (fig. 238) quelconque de la surface de la Terre.

Fig. 238. — Détermination de la vitesse du déplacement apparent du plan d’oscillation d’un pendule en un point quelconque de la surface de la Terre.

Supposons qu’on représente par OG la valeur de la rotation de la Terre autour de son axe PP′ en un temps très-court, et menons la verticale OA du lieu A, puis une perpendiculaire FF′ à cette verticale par le centre O de notre globe. On peut appliquer aux mouvements le théorème du parallélogramme des forces que nous avons signalé au commencement de cet ouvrage (liv. ii, ch. ii). Donc si on construit le rectangle ODCG, on pourra remplacer la rotation OC par les deux rotations composantes OD et OG. Mais par rapport à la rotation OG de la Terre autour de l’axe FF′, le pendule placé au point A se trouve évidemment dans les mêmes conditions que s’il était placé sur l’équateur EE′, et qu’on considérât la rotation autour de l’axe de la Terre PP′. La direction du plan d’oscillation du pendule et la vitesse de son déplacement apparent ne sont donc pas affectés par la rotation composante OG autour de l’axe FF′. On peut donc dire que tout doit se passer comme si la rotation OD existait seule. Or, par rapport à cette rotation, le pendule situé en A se trouve exactement comme le pendule situé au pôle par rapport à la véritable rotation de la Terre. Nous devons donc conclure de cette analyse que le plan d’oscillation du pendule situé en A doit sembler tourner de l’est à l’ouest autour de la verticale de ce lieu avec une vitesse de rotation égale à celle dont la Terre serait animée si elle ne possédait que la rotation composante OD au lieu de la rotation résultante OC. En d’autres termes, la vitesse du plan d’oscillation en A sera à celle de la Terre comme OD est à OC. L’expérience vérifie complétement ce résultat du raisonnement.

Au mois de septembre 1852, M. Foucault a présenté à l’Académie des sciences une autre démonstration physique du mouvement de rotation de la Terre, fondée non plus sur la fixité du plan d’oscillation d’un pendule, mais sur celle du plan de rotation d’un corps librement suspendu par son centre de gravité et tournant autour d’un de ses axes principaux. M. Foucault a appelé gyroscope l’appareil nouveau. Dans cet appareil il y a un plan fixe parfaitement défini, sous lequel tourne réellement la Terre ; seulement l’observateur, se mouvant avec la Terre, croit voir, comme dans l’expérience du pendule, le plan dont nous parlons se déplacer de l’est à l’ouest. Nous allons résumer la description que l’auteur a lui-même donnée de son appareil ingénieux.

Le corps que M. Foucault a choisi pour lui communiquer un mouvement de rotation rapide et durable est un tore T circulaire, que l’on voit en projection verticale et en projection horizontale dans les deux figures 239 et 240.

Fig. 239. — Tore du gyroscope de M. Foucault (projection verticale).
Fig. 240. — Tore du gyroscope de M. Foucault (projection horizontale).

Ce tore est en bronze ; il est monté à l’intérieur d’un cercle métallique dont un diamètre est figuré par l’axe d’acier qui traverse le mobile ; le diamètre perpendiculaire est représenté par les tranchants de deux couteaux implantés dans le même alignement, sur le contour extérieur du même cercle.
Fig. 241. — Machine destinée à donner le mouvement au tore du gyroscope de M. Foucault.

Les couteaux sont dirigés de telle sorte que les tranchants regardant en bas, le plan du cercle et l’axe du tore soient horizontalement situés. C’est dans cette position qu’on place le tore sur une machine spéciale (fig. 241), afin de lui imprimer une grande vitesse. La roue dentée B, dont est muni l’axe du tore, est mise pour cela en communication avec un système d’engrenages convenable que fait tourner une manivelle. Le cercle dans lequel est monté le tore est fixé sur la machine par des pièces A que l’on retire afin de pouvoir l’enlever, quand la rapidité du mouvement est jugée suffisante. On introduit alors le système dans un autre appareil (fig. 242), de telle sorte que les deux couteaux reposent sur un cercle vertical supporté par un fil sans torsion, et reposant très-légèrement sur un pivot. Les petites masses m, m′, n et n′, mobiles les unes dans le sens horizontal, les autres dans le sens vertical, servent à amener, dans une expérience préalable, le centre de gravité du système exactement sur le prolongement du fil de suspension. On est certain ainsi que l’action de la pesanteur n’a aucune influence ni sur le mouvement de rotation du tore autour de son axe de figure, ni sur l’ensemble du système. Par conséquent, le plan de rotation du tore se conserve d’une manière fixe dans la position où on le met d’abord. Le tore ne participe plus au mouvement diurne de notre globe, et on constate facilement (fig. 242) le déplacement relatif qui en résulte, soit en regardant avec un microscope installé à côté de l’appareil, le passage des traits d’une division tracée sur le cercle vertical de suspension, devant les fils d’un réticule adapté à ce microscope, soit en suivant sur un arc horizontal gradué les mouvements d’une longue aiguille attachée au même cercle vertical.
Fig. 242. — Gyroscope de M. Foucault.

Le mouvement de rotation de la Terre est ainsi rendu sensible à tous les yeux par un instrument réduit à de petites dimensions et aisément transportable. A moins de nier l’évidence, nul ne peut plus aujourd’hui mettre en doute un mouvement démontré par l’accumulation de tant de preuves astronomiques et physiques.

  1. Je ne tiens pas compte ici du petit déplacement journalier des planètes ; ce déplacement a donné lieu au phénomène connu sous le nom d’aberration, et dont l’importance numérique, comme on le verra, ne s’élève qu’à quelques secondes.