Astronomie populaire (Arago)/XXII/08

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 3p. 564-568).

CHAPITRE VIII

histoire des éclipses — calculs des éclipses par les anciens — de la période appelée saros


Les éclipses de Lune et de Soleil, ces phénomènes qui n’excitent aujourd’hui, presque dans le monde entier, que la curiosité et l’intérêt des populations, étaient jadis l’objet des préoccupations les plus vives et de craintes superstitieuses ; laissons, à cet égard, parler Fontenelle :

« Dans toutes les Indes orientales, on croit que quand le Soleil et la Lune s’éclipsent, c’est qu’un certain dragon qui a les griffes fort noires, les étend sur ces deux astres dont il veut se saisir, et vous voyez pendant ce temps là les rivières couvertes de têtes d’Indiens qui se sont mis dans l’eau jusqu’au cou, parce que c’est une situation très-dévote, selon eux, et très-propre à obtenir du Soleil et de la Lune qu’ils se défendent bien contre le dragon. En Amérique, on était persuadé que le Soleil et la Lune étaient fâchés quand ils s’éclipsaient, et Dieu sait ce qu’on ne faisait pas pour se raccommoder avec eux. Mais les Grecs qui étaient si raffinés, n’ont-ils pas cru longtemps que la Lune était ensorcelée et que les magiciens la faisaient descendre du ciel pour jeter sur les herbes une certaine écume malfaisante ? Et nous, n’eûmes-nous pas une belle peur en 1654, à une certaine éclipse de Soleil qui, à la vérité, fut totale ? Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas enfermés dans les caves ? » (Fontenelle. Entretiens sur la Pluralité des Mondes ; second soir.)

Les historiens ont fait mention d’une éclipse totale de Soleil qui arriva en 480 avant notre ère et qui fit presque naître une révolte dans l’armée de Xercès.

Une autre éclipse du même astre qui arriva en 375 avant notre ère, répandit la terreur chez les Thébains, comme on le voit dans la Vie de Pélopidas.

On peut citer au nombre des éclipses qui ne furent pas sans influence, sur les événements politiques de l’époque où elles arrivèrent, l’éclipse totale de Soleil qui eut lieu quand Périclès partit pour le Péloponèse en 431 avant notre ère, et celle qui coïncida avec la marche d’Agathocle contre Carthage en 310.

Il fallut, pour ôter à ces phénomènes leur prestige, qu’on en découvrît nettement la cause et qu’on trouvât le moyen de les calculer et de les annoncer d’avance.

Suivant Plutarque, au temps de Nicias, 413 ans avant notre ère, les Athéniens commençaient à concevoir la possibilité des éclipses de Soleil par l’interposition de la Lune, mais ils n’avaient pas deviné ce qui pouvait occasionner les éclipses de pleine Lune.

Au rapport de Diodore de Sicile, les Chaldéens étaient plus avancés que les Grecs à ce sujet ; ils savaient que la Lune n’a qu’une lumière empruntée et que ses éclipses sont produites par le passage de l’astre dans l’ombre de la Terre.

Nous avons indiqué précédemment comment à l’aide des tables du Soleil et de la Lune on peut déterminer d’avance avec précision, combien il y aura d’éclipses durant une certaine année et quels seront leurs caractères. Mais ce moyen n’a pu être mis en usage par les anciens, car les tables du Soleil et de la Lune ont été le produit de l’astronomie perfectionnée par les modernes. Cependant, il est certain que les anciens étaient arrivés, en discutant une longue suite d’observations, à prédire longtemps d’avance les éclipses ; voici l’indication abrégée de la méthode dont ils firent usage et des principes sur lesquels elle repose.

Les éclipses, comme on l’a vu (chap. iii), ne peuvent avoir lieu que lorsque la Lune est en conjonction ou en opposition avec le Soleil. Deux conjonctions ou deux oppositions sont séparées par un intervalle de temps égal à 29j,53, durée du mois lunaire ; ce sera donc après une période composée de multiples de mois lunaires, c’est-à-dire de 29j,53 que les éclipses peuvent se reproduire.

Pour qu’il y ait éclipse, il faut que la latitude de la Lune, au moment de l’opposition ou de la conjonction, ne surpasse pas certain nombre que nous avons fait connaître (chap. iv}). Mais cette latitude, à l’époque de la conjonction ou de l’opposition, est liée à la distance du Soleil au nœud de l’orbite de la Lune.

Il ne suffira donc pas, pour qu’une éclipse se reproduise, qu’il se soit écoulé entre la première date et la seconde un nombre exact de fois 29j,53, il faudra de plus que le Soleil soit revenu à la même position relativement aux nœuds de l’orbite lunaire. Or, le temps que le Soleil emploie à revenir au même nœud est de 346j,62, à cause du déplacement considérable de chaque nœud d’orient en occident (liv. xxi, chap. i). Ce sera donc après des multiples exacts de 346j,62 que le Soleil se retrouvera dans des positions où, une première fois, des éclipses étaient arrivées.

Ainsi, en résumé, deux conditions sont nécessaires pour que les éclipses, observées dans une certaine période, se reproduisent : il faut que l’intervalle écoulé entre ces deux périodes soit d’une part égal à un certain nombre exact de fois 29j,53, et de l’autre, qu’il se soit écoulé un nombre rond de fois 346j,62.

Eh bien, en faisant ce calcul numérique, on trouve que 223 fois 29j,53 font 6 585,19 ; que 19 fois 346j,62 donnent 6 585,78 ; divisons maintenant 6585j,19 durée de 223 mois lunaires par 365j,2422, durée de l’année solaire, nous trouvons pour quotient 18. Donc, à la suite de dix-huit années solaires, le Soleil se retrouve soit en opposition, soit en conjonction, à la même distance des nœuds de l’orbite de la Lune où il était placé à l’origine de la période ; les éclipses après dix-huit ans doivent se reproduire dans le même ordre aux mêmes jours de l’année et dans les mêmes conditions de grandeur. Il suffit donc d’avoir observé les éclipses pendant une période de dix-huit ans pour pouvoir prédire celles qui auront lieu dans une seconde, dans une troisième, dans une quatrième période de même durée. C’est ce moyen que les Chaldéens employaient pour prédire les éclipses ; cette période de dix-huit ans, qu’ils appelaient Saros, n’est pas parfaitement exacte, les perturbations que la Lune éprouve dans son mouvement autour de la Terre l’empêchent d’être rigoureuse ; les calculateurs modernes y ont cependant recours pour trouver d’avance quelles sont les conjonctions ou les oppositions qui peuvent devenir écliptiques, et sur lesquelles ils doivent porter leur attention pour déterminer les effets de la parallaxe lunaire et de l’inclinaison de l’orbite relativement à la grandeur de l’éclipse.