Astronomie populaire (Arago)/XXIII/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 27-32).

CHAPITRE VI

de l’éther


Les calculs dont nous venons d’exposer les bases dans les chapitres précédents sur les perturbations des mouvements planétaires et cométaires, supposent que les astres se meuvent dans le vide ; ils ne tiennent aucun compte de la matière éthérée qui remplit l’univers et dont les vibrations constituent la lumière. Tout milieu matériel tend à diminuer les dimensions de l’orbite parcouru par un corps qui le traverse ; mathématiquement parlant, si l’on ne parvient pas à trouver une cause compensatrice de la résistance éprouvée, il sera établi qu’après un laps de temps suffisant, composé peut-être de plusieurs milliards d’années, la Terre, par exemple, ira se réunir au Soleil. La recherche de la cause compensatrice, si elle existe, est bien digne de fixer l’attention des géomètres. Dans tous les cas, il est facile de comprendre pourquoi on n’aperçoit pas, quant à présent, d’effet appréciable sur les planètes, tandis que la marche des comètes en est affectée d’une manière sensible. Cela provient encore de ce que les planètes ont une assez forte densité. Les comètes peuvent être, au contraire, notablement retardées dans leur marche. Pour sentir la justesse de la distinction que je fais ici quant aux phénomènes de résistance entre les corps denses et rares, on n’a qu’à comparer les distances, si dissemblables, que franchissent dans l’air, des balles de plomb, de liége ou d’édredon, lorsque, projetées d’un canon de fusil par des poids égaux de poudre, elles avaient cependant reçu les mêmes vitesses initiales.

En déterminant théoriquement l’orbite de la comète à courte période (liv. xvii, chap. vii), M. Encke a tenu un compte scrupuleux des dérangements qu’elle devait éprouver par l’action des planètes. Néanmoins, dans chacune de ses apparitions, le calcul et l’observation présentèrent, toujours dans le même sens, des différences évidemment supérieures aux erreurs possibles des mesures.

La cause de ces discordances ne paraît pouvoir être que la résistance de l’éther. En effet, les deux seuls éléments de l’orbite qui, d’une révolution à la suivante, n’éprouvent pas de changement, sont l’inclinaison et la position du nœud. Cette invariabilité est une suite inévitable de notre hypothèse, car la résistance d’un gaz, quelque diminution qu’elle fasse subir à la vitesse d’un corps, ne saurait détourner ce corps ni à droite ni à gauche, ni conséquemment l’entraîner à se mouvoir hors du plan primitif de son orbite.

L’effet de la résistance de l’éther sur la durée totale de cinq révolutions de la comète à courte période, s’élève actuellement, d’après les recherches de M. Encke, à environ deux jours. Si cette influence, comme on doit le croire, est du même ordre pour les autres comètes périodiques, il n’y aura aucune modification essentielle à faire dans les résultats auxquels nous sommes arrivés relativement à la marche des astres chevelus. J’aurais donc pu me dispenser de signaler ici ce nouveau genre de perturbation. Si j’en ai parlé, c’est parce que des esprits inquiets se sont emparés de cette résistance de l’éther, encore très-peu étudiée, pour en conclure qu’on ne pouvait prédire avec certitude le moment du passage d’une comète par le plan de l’écliptique, et qu’ainsi on ne devait pas accorder une confiance absolue à tout ce qui a été dit de rassurant sur la marche de la comète de six ans trois quarts ou de Gambart (liv. xvii, chap. viii). Voici l’objection développée et dans toute sa force.

La comète, se mouvant dans le vide, arriverait en un certain point de l’orbite terrestre 31 jours avant la Terre. Mais l’effet naturel d’une résistance doit être de retarder ; la comète, se mouvant dans l’éther, se trouvera donc au point de l’orbite dont il s’agit, plus tard qu’on ne l’avait d’abord indiqué. Ainsi, il est déjà permis d’affirmer que sa plus petite distance à la Terre sera moindre que ne la donnait le calcul. Il est vrai qu’on ne pourrait pas dire à combien se montera cette diminution ; mais serait-il donc impossible que, dans certains états physiques de la comète, le retard provenant de la résistance éthérée fût d’un mois entier sur la durée totale de la révolution ? Les astronomes jusqu’ici n’ont donné, sur cet objet, que des probabilités, et il reste encore à démontrer que la Terre ne peut pas recevoir un choc violent.

Je manquerais le but que je me suis proposé en rédigeant ce chapitre, si je laissais sans réponse des difficultés qui se présentent d’une manière qu’on pourrait trouver spécieuse. Heureusement peu de mots suffiront pour montrer qu’elles reposent sur une erreur de fait incontestable.

Considérons la comète d’Encke dans sa propre orbite, et reconnaissons de nouveau, sans détour, que la position calculée dans l’hypothèse du vide et la position observée ne coïncident pas parfaitement. Mais voyons dans quel sens se manifeste la différence ? D’après l’objection, la position réelle serait moins avancée que la position calculée. Eh bien, c’est tout l’opposé qui a lieu : pendant les apparitions observées la comète réelle à courte période a toujours précédé dans le sens de son mouvement (qu’on me pardonne cette expression) la comète théorique.

Il ne saurait donc plus être question, quant à la comète de six ans trois quarts, d’un passage par le plan de l’écliptique qui s’opérerait plus tard que le premier calcul ne l’a donné. Une action de résistance analogue à celle que la comète à courte période a subie, hâterait l’arrivée au nœud, et le minimum de distance de l’astre à la Terre grandirait en proportion.

Cette seule remarque suffit pour réduire au néant les objections que je m’étais proposé de discuter. Il ne me reste plus qu’à faire entrevoir comment une accélération dans le mouvement de la comète, peut être le résultat d’une résistance.

Je conviens d’abord qu’au premier coup d’œil, une pareille accélération doit paraître assez étrange, et que ce qui résiste semblerait seulement propre à retarder. La difficulté disparaît, toutefois, dès qu’on remarque que le résultat immédiat de l’action d’un milieu résistant sur un astre qui le traverse, étant une diminution dans sa vitesse tangentielle, ou, ce qui est la même chose, dans ce qu’on est convenu d’appeler la force centrifuge, c’est précisément comme si la puissance attractive du Soleil augmentait. L’effet nécessaire de cet accroissement de puissance sera toujours un rapprochement de l’astre et du Soleil, une diminution dans les dimensions de l’orbite primitive. Mais le lecteur sait que les vitesses et les distances de tous les astres de notre système, se trouvent liées entre elles par un des trois grands principes astronomiques connus sous le nom de lois de Kepler ; que les carrés des temps des révolutions sont entre eux comme les cubes des grands axes des ellipses parcourues. Cette loi emporte la conséquence que les planètes et les comètes se meuvent d’autant plus vite qu’elles sont plus près du Soleil.

En y songeant bien, on reconnaîtra que la difficulté sur laquelle nous venons de nous arrêter, provenait de ce que chacun, dans sa pensée intime et sans peut-être s’en rendre compte, supposait l’orbite de l’astre invariable. Il est bien certain qu’un corps astreint à parcourir une certaine courbe en vertu d’une impulsion primitive, se mouvrait plus vite dans le vide que dans une matière gazeuse ; mais un pareil corps ne peut pas être assimilé à une comète, car celle-ci, dès qu’elle éprouve quelque résistance, change de route. Que peut-il donc y avoir d’extraordinaire à ce qu’alors elle arrive plus tôt ? C’est encore ici le cas d’appliquer la remarque de Fontenelle, que « quand une chose peut être de deux façons, elle est presque toujours de celle qui d’abord semble la moins naturelle. »