Astronomie populaire (Arago)/XXIII/13

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 70-72).

CHAPITRE XIII

attraction des montagnes


La généralité des lois de l’attraction universelle doit évidemment conduire à penser qu’un objet quelconque placé en relief à la surface de la Terre, qu’un mur, qu’un édifice, qu’une montagne doivent empêcher un corps qui tombe ou le plomb suspendu à l’extrémité d’un fil de se diriger exactement vers le centre de la Terre. Toutefois, à cause de l’immensité de la grandeur de la Terre comparée même avec les plus grosses montagnes, on doit concevoir que la déviation du fil à plomb ne peut être que très-petite. Il faut avoir recours, pour la mettre en évidence, à des observations délicates. Si l’on suppose qu’on détermine par les méthodes astronomiques que nous avons fait connaître (liv. xx, chap. xix), les latitudes des deux stations situées sur un même méridien, l’une d’un côté, l’autre de l’autre côté d’une montagne, la différence de ces deux latitudes donnera l’angle des verticales réelles des deux lieux. Si maintenant, par des opérations géodésiques, on mesure la distance qui existe entre les deux stations, on calculera, dans l’hypothèse de l’aplatissement connu de la Terre, quelle doit être aussi la différence de leurs latitudes. Cette différence sera l’angle des deux verticales hypothétiques non déviées par la montagne. La comparaison des deux nombres obtenus par les deux méthodes, tout compte tenu des erreurs d’observation, donnera le double de la déviation cherchée.

La première tentative qu’on ait faite pour évaluer la déviation qu’une montagne peut occasionner dans la direction du fil à plomb, date de 1738, c’est-à-dire de l’époque où une commission de membres de l’Académie de Paris mesuraient le degré du Pérou. Le voisinage du Chimboraço semblait singulièrement propre à ce genre de recherches ; Bouguer avait trouvé par un calcul approximatif, et en supposant la montagne entièrement solide, que l’effet surpasserait 1′ 30″ ; mais malheureusement les observations donnèrent un nombre beaucoup plus petit, car par une moyenne la double déviation ne s’éleva qu’à 15″. Du reste, si, vu la petitesse du quart de cercle dont on se servait et les discordances des mesures partielles, on peut à peine conclure de ce travail que la montagne avait exercé une action sensible sur le fil à plomb, à plus forte raison n’est-il pas permis de compter sur l’évaluation numérique de l’effet.

En 1773, Maskeline a répété les mêmes expériences au pied des monts Shéhalhiens, en Écosse, et de la déviation qu’il constata, il chercha à déduire le rapport de la masse de la Terre à celle de la montagne et par suite la densité de la Terre elle-même prise dans son ensemble ; il trouva un nombre plus faible d’environ une unité que celui qui fut plus tard déterminé par Cavendish à l’aide des expériences que nous avons fait connaître (ch. viii). Nous avons déjà vu que la différence entre la longueur calculée et la longueur observée de l’arc d’un degré du méridien correspondant à l’opération géodésique exécutée en Italie par MM. Plana et Carlini, entre Andrate et Mondovi, ne peut s’expliquer que par l’attraction exercée sur le fil à plomb par la chaîne des Alpes (liv. xx, chap. xxiii).

Je ne puis pas cependant m’empêcher de faire remarquer que les astronomes font peut-être jouer un trop grand rôle aux attractions locales, et qu’ils ont voulu expliquer par là des discordances que très-souvent il eût été peut-être plus naturel d’attribuer à de simples erreurs d’observation.