Astronomie populaire (Arago)/XXVI/03

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 216-224).

CHAPITRE III

sur l’origine des aérolithes


Nous avons dit qu’on ne devait pas chercher la cause des pierres météoriques dans les phénomènes qui se produiraient dans l’atmosphère même dont notre Terre est entourée ; qu’il était probable que ces pierres circulaient dans l’espace, et que notre planète venait à les rencontrer dans sa course annuelle autour du Soleil. Dès le xviie siècle, des astronomes et des géomètres cherchèrent, en conséquence, si l’on ne pouvait pas les attribuer à quelque émission provenant de l’un des astres du système solaire, par exemple de la Lune. L’existence d’anciens volcans, sur le satellite de la Terre, est démontrée en effet, comme nous l’avons vu par l’étude des montagnes lunaires (liv. xxi, ch. xi). On y trouve de vastes et profonds cratères, qui ont dû vomir une immense quantité de matériaux. Voyons s’il est possible d’admettre que les produits volcaniques, partant de la Lune, viennent tomber sur la Terre.

Un corps pesant qu’on soulève se précipite vers la surface de la Terre, ou plutôt vers son centre, avec d’autant moins de vitesse qu’il part de plus haut et en vertu d’une cause qu’on a appelée la pesanteur. Nul doute que le même phénomène ne doive se réaliser pour les corps lunaires qu’on élèverait au-dessus de la surface de notre satellite. Nul doute que ces corps, en pareilles circonstances, ne doivent tomber vers la Lune.

Concevons maintenant une ligne droite qui joigne le centre de la Lune et le centre de la Terre. Il y a nécessairement une région intermédiaire entre ces deux globes où les corps qui s’y trouveraient placés seraient en équilibre également attirés par la Terre et par la Lune. En deçà de ce point, tout corps pesant tomberait vers la Terre ; au delà, la chute aurait lieu vers la Lune.

Il suffirait donc, pour qu’un corps provenant de la Lune tombât sur la Terre, qu’il fût projeté de la surface de notre satellite avec une vitesse assez grande pour dépasser la région où les corps resteraient en équilibre entre les deux tendances contraires, où ils ne seraient pas plus portés à tomber sur la Lune que sur la Terre.

La pesanteur à la surface de la Lune est environ six fois plus faible que sur la Terre ; en sorte que celui qui voudrait y sauter de bas en haut avec une force musculaire égale à celle que nous possédons, s’élèverait à une grande hauteur. Est-il possible d’animer un corps d’une assez grande vitesse d’impulsion pour que, lancé de la surface de la Lune, il ne vienne pas y retomber ?

La question, envisagée ainsi, a pu être soumise au calcul, et l’on a trouvé, vu le peu de volume et de masse de la Lune, et l’absence d’atmosphère autour de cet astre, qu’un corps lancé dans la direction de la Terre entrerait dans sa sphère d’attraction s’il était projeté de la Lune avec une vitesse égale à 2 500 mètres par seconde.

Cette vitesse n’est pas au-dessus des vitesses de projection dont les volcans terrestres nous offrent les effets. Le Cotopaxi, par exemple, en Amérique, a lancé quelquefois des roches ardentes avec une force plus grande que celle dont le calcul précédent a assigné la valeur ; une telle puissance n’est peut-être pas au-dessus des forces que l’industrie de l’homme peut créer dès aujourd’hui avec certaine poudre connue des chimistes sous le nom de poudre fulminante, en sorte qu’il est vrai de dire, quelque extraordinaire que l’assertion puisse paraître au premier abord, que des hommes situés sur la Lune pourraient se mettre en communication journalière avec la Terre à l’aide de projectiles.

Lorsque, au commencement de ce siècle, Olbers, Laplace, Poisson et M. Biot s’occupèrent des spéculations dont je viens de donner un aperçu, ils avaient en vue de vérifier, si, suivant l’opinion émise par Terzago, en 1660, il ne serait pas absurde de chercher dans la Lune l’origine des masses solides qui, dans tous les siècles, sont tombées de temps à autre sur la Terre.

On voit, par les résultats que je viens de rapporter, qu’il y avait tout lieu d’admettre la possibilité que les aérolithes fussent des portions de la Lune.

Certaines circonstances, signalées par l’analyse chimique, semblaient venir à l’appui de cette origine.

De ce nombre était l’absence de fer oxydé, ce qui semblait impliquer que ces corps, dans leur gîte naturel, n’étaient pas entourés d’une atmosphère renfermant de l’oxygène.

On insistait aussi, pour donner aux aérolithes une identité d’origine, sur leur identité de composition. Mais cet argument perdit beaucoup de sa valeur, lorsque Laugier publia l’analyse de l’aérolithe tombé à Juvénas (1821).

Ce chimiste trouva, en effet, que cet aérolithe ne renfermait pas de traces de nickel, tandis que ce métal est une partie constituante très-appréciable des aérolithes tombés dans d’autres lieux.

Quelle ressemblance, d’ailleurs, aurait-on aujourd’hui le droit d’établir entre le fer météorique dont on a pu former des armes en le forgeant, et les pierres, car ce nom leur a été donné justement, qui dans leurs cassures semblent une simple agrégation de matières terreuses et de petites parcelles de métal disséminées çà et là ? Les aérolithes, en effet, ont des compositions chimiques qui signalent une certaine variété d’origine. Voici comment s’exprime à cet égard M. le professeur Rammelsberg, dans le Cosmos de M. de Humboldt :

« On a coutume de diviser les pierres météoriques proprement dites en deux classes, d’après leur aspect extérieur. Les unes contiennent dans leur masse, en apparence homogène, des grains et des paillettes de fer météorique, attirables à l’aimant, et qui présentent absolument les mêmes caractères que les aérolithes de la même substance. À cette classe appartiennent les pierres de Blansko (1833), de Lissa (1808), de l’Aigle (1808), d’Ensisheim (1492), de Chantonnay (1812), de Kleinwenden, près de Nordhausen, d’Ersleben (1812), de Château-Renard (1841) et d’Utrecht (1843). La seconde classe est pure de tout alliage métallique et se présente plutôt sous l’aspect d’un mélange cristallin de diverses substances minérales. Telles sont, par exemple, les pierres de Juvénas (1821), de Lontalar (1813) et de Stannern (1808).

« Après les premières analyses chimiques des pierres météoriques, faites par Howard, Klaproth et Vauquelin, on fut longtemps sans songer que ces corps pouvaient être formés par l’assemblage de combinaisons différentes. On se bornait à chercher en général les éléments qui les composaient, à extraire à l’aide d’un aimant le fer métallique qu’elles pouvaient contenir. Lorsque Mohs eut appelé l’attention sur l’analogie que présentaient quelques aérolithes avec certaines pierres telluriques, Nordenskjöld entreprit de prouver que l’aérolithe de Lontalar, en Finlande, était un composé d’olivine, de leucite et de fer magnétique ; mais c’est à Gustave Rose que l’on doit d’avoir démontré par ses belles observations, que la pierre de Juvénas est formée de pyrite magnétique, d’augite et d’un feldspath très-semblable au labrador. Guidé par ces résultats, et appliquant, comme Gustave Rose, l’analyse chimique, Berzélius, dans un travail plus étendu, publié en 1834, rechercha la composition minérale de diverses combinaisons que présentent les aérolithes de Blansko, de Chantonnay et d’Alais. Depuis, beaucoup de savants ont suivi la route heureusement frayée par Berzélius.

« Dans la première classe des pierres météoriques proprement dites, qui est aussi la plus nombreuse, dans celle qui contient des parties de fer métallique, ce métal existe, tantôt en parcelles semées çà et là, tantôt en masses plus considérables, qui offrent quelquefois l’aspect d’un squelette de fer, et forment une transition entre les aérolithes purs de tout mélange métallique et les masses de fer météorique dans lesquelles, ainsi qu’on le voit dans la masse de Pallas, les autres éléments disparaissent.

« La seconde classe, beaucoup moins nombreuse, a été aussi moins étudiée. Parmi les aérolithes qui la composent, les uns contiennent du fer magnétique, de l’olivine et un peu de substances feldspathiques et augitiques ; les autres sont formés uniquement de ces deux derniers minéraux simples, et le feldspath y est représenté par l’anortite.

« Les pierres météoriques de la seconde classe sont, par l’effet de la présence de l’olivine, riches en magnésie ; l’olivine est l’élément qui est décomposé lorsque ces pierres sont traitées par les acides.

« Comme l’olivine ordinaire, l’olivine météorique est un silicate de magnésie et de protoxyde de fer. La partie qui résiste à l’action des acides est un mélange de substances feldspathiques et augitiques dont on ne peut déterminer la nature qu’en calculant les éléments qui le composent, et qui sont : le labrador, l’hornblende, l’augite et l’oligoclase.

« Le chromate de fer, produit par la combinaison du protoxyde de fer et de l’acide chromique, se trouve, en petite quantité, dans presque toutes les pierres météoriques. L’acide phosphorique et l’acide titanique, découverts dans la pierre si remarquable de Juvénas, peuvent faire soupçonner la présence de l’apatite et de la titanite. »

Si l’on ne doit pas absolument nier que quelques-uns des aérolithes peuvent provenir des volcans lunaires, il faut cependant admettre que d’autres causes leur donnent aussi parfois naissance. N’y a-t-il pas, dans les espaces planétaires, une sorte d’anneau plus ou moins épais, formé par des corps animés d’un mouvement de circulation rapide autour du Soleil ? Cet anneau couperait le plan de l’écliptique sur une certaine largeur, et lorsque la Terre arriverait vers ces régions, elle rencontrerait quelques-unes de ces masses errantes et les soumettrait à son attraction, les ferait tomber à sa surface, après les avoir fait pénétrer dans son atmosphère, où elles subiraient souvent une incandescence momentanée. Ne pourrait-on pas concevoir aussi un grand nombre de petits corps répandus dans l’espace et formant dans le système solaire comme une sorte de nébuleuse dont les divers éléments seraient en quelques points moins éloignés les uns des autres que dans d’autres régions ?

Dans ces hypothèses, il devrait y avoir une certaine périodicité dans l’apparition des chutes d’aérolithes. En résumant dans un tableau les chutes certaines des aérolithes proprement dits et des poussières météoriques dont la date a été constatée, on trouve 206 phénomènes de ce genre pour lesquels on connaît le mois de l’événement, et ils se partagent de la manière suivante entre les douze mois de l’année :


Mois. Chutes d’aérolithes.
Janvier 
14
Février 
10
Mars 
22
Avril 
15
Mai 
20
Juin 
18
Juillet 
23
Août 
16
Septembre 
17
Octobre 
18
Novembre 
20
Décembre 
13

On voit que les météores qui viennent rencontrer la surface de notre planète sont en moindre quantité de décembre à juin (seize par mois en moyenne), et plus fréquents, au contraire, de juillet à novembre (dix-neuf par mois en moyenne). Les mois de mars, de mai, de juillet, d’octobre et novembre présentent d’ailleurs des maxima. La Terre, en circulant dans son orbite autour du Soleil, rencontrerait donc plus d’aérolithes en allant de l’aphélie au périhélie, ou du solstice d’été au solstice d’hiver ; elle en trouverait sur sa route un moins grand nombre en marchant du périhélie à l’aphélie, ou du solstice d’hiver vers le solstice d’été.

On doit cependant remarquer que les chutes d’aérolithes, constatées dans les pays dont la civilisation est assez avancée pour avoir des annales historiques, ne peuvent être qu’une fraction du nombre total des phénomènes de ce genre dont l’existence serait authentiquement prouvée si l’on avait de constants observateurs sur toute la surface des mers et dans toutes les parties de la terre ferme. Quoi qu’il en soit, en parcourant les catalogues on est porté à admettre non-seulement une certaine périodicité des phénomènes selon que la Terre occupe telle ou telle position sur l’écliptique, mais encore entre de certaines années où l’on voit les chutes d’aérolithes se presser en quelque sorte après qu’il s’est écoulé de longs intervalles pendant lesquels elles ont été assez rares.