Astronomie populaire (Arago)/XXXII/06

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 535-540).

CHAPITRE VI

comment les corps se refroidissent en rayonnant leur chaleur vers les régions de l’espace


Cherchons si les objets dont se compose un horizon déterminé, celui de Paris, par exemple, se trouvent en communication rayonnante avec des corps qui peuvent contribuer à leur refroidissement. Tout ce que nous dirons de cet horizon s’appliquera, mot pour mot, à un espace de même étendue semblablement situé.

Toutes les observations aérostatiques ont montré qu’à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère, la température est de plus en plus basse. Aux hauteurs où l’on est parvenu, à 7 000 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, dans les ascensions de Gay-Lussac et de MM. Barral et Bixio, cette température était déjà, en été, de 40 à 60 degrés au-dessous de celle des régions inférieures. Nul doute qu’on n’eût trouvé une température plus faible si l’on était monté plus haut, et que l’espace au delà des limites de l’atmosphère ne soit encore plus froid.

Les couches solides de la Terre enverront donc leur chaleur vers les régions supérieures de l’atmosphère, vers l’espace, sans qu’elles puissent recevoir, de ce côté, des rayons en nombre suffisant pour compenser leur perte. Ces couches solides devront donc se refroidir. Examinons jusqu’à quel point les faits sont d’accord avec cette théorie.

En un lieu où l’horizon est entièrement libre, suspendons dans l’air, la nuit, à un ou deux mètres du sol, des flocons de laine, de coton, de duvet de cygne ; établissons au-dessus de ces flocons un écran qui leur dérobe presque entièrement la vue du ciel ; supposons que l’écran soit en bois et d’une certaine épaisseur.

Ces dispositions convenues, des thermomètres placés sous l’écran, dans l’air, à peu de distance de la surface inférieure du bois, ou dans la matière même des trois flocons, marqueront sensiblement le même degré.

Tout restant dans cet état, enlevons l’écran. Aussitôt les thermomètres en contact avec le duvet de cygne, le coton et la laine descendront. Si le ciel est serein, le thermomètre dont la boule est enveloppée de duvet de cygne baissera de 7 à 8 degrés centigrades ; les deux autres thermomètres baisseront aussi, mais un peu moins.

L’herbe, dans les mêmes circonstances, accusera des variations de température de 6 à 7 degrés.

Avec de la neige, on a trouvé jusqu’à ,9 d’abaissement.

Répétons l’expérience en substituant des plaques métalliques, polies et de quelque épaisseur, aux matières filamenteuses. Les thermomètres en contact avec ces métaux accuseront aussi un abaissement de température quand on enlèvera l’écran, mais cet abaissement ne sera que de 1 à 2 degrés centigrades.

Nous venons d’analyser les mouvements descendants qu’éprouvent des thermomètres en contact avec des matières filamenteuses, avec de l’herbe, avec de la neige, avec des métaux, lorsqu’on enlève l’écran qui les recouvre. Que devient, dans les mêmes circonstances, le thermomètre plongé dans l’air, et que l’écran recouvrait aussi ? Il reste sensiblement stationnaire.

Ces expériences mettent en évidence plusieurs faits d’une immense importance :

Certains corps, tels que l’édredon, la neige, etc., se refroidissent rapidement et d’une manière notable, lorsque dans une nuit sereine aucun écran ne leur dérobe la vue du firmament ;

D’autres corps, tels que les métaux, se refroidissent aussi, mais beaucoup moins que les matières filamenteuses et la neige ;

D’un métal à l’autre il existe des différences ;

Enfin l’atmosphère, substance gazeuse, ne se refroidit pas sensiblement.

Abordons sans plus tarder deux difficultés qui se présenteraient à tous les esprits. Elles sont relatives, la première, au rôle de l’écran de bois ; la seconde, à celui du thermomètre.

Cet écran ne peut-il pas, en sa qualité de corps solide, se refroidir par voie de rayonnement, dans la première période de l’expérience ?

L’écran doit se refroidir, et se refroidit, en effet, par sa surface supérieure. Mais nous avons supposé l’écran d’une certaine épaisseur et en bois ; or le bois possède une très-faible conductibilité. Il résulte de ces deux circonstances que la surface inférieure de l’écran n’éprouve pas de refroidissement sensible, et que le thermomètre en contact avec cette surface marque, comme nous l’avons dit, le même degré que les thermomètres plongés dans l’air, dans le duvet de cygne, etc., etc.

La seconde difficulté concerne le thermomètre lui-même. On peut se demander si cet instrument ne doit pas se refroidir comme l’édredon, le duvet, les métaux. La difficulté est réelle, mais il faut remarquer que la boule du thermomètre est polie et de verre, matière très-peu rayonnante, en sorte que les résultats obtenus ne doivent être que très-légèrement modifiés par le rayonnement de l’instrument employé.

Si maintenant on considère que les matières qui, dans ces épreuves, se refroidissent le plus fortement, sont exactement celles chez lesquelles les physiciens, par des expériences de cabinet, ont trouvé les pouvoirs rayonnants les plus développés ; si l’on remarque encore que dans la série des métaux l’ordre des refroidissements observés coïncide avec l’ordre des pouvoirs émissifs, personne ne pourra s’empêcher de regarder ces phénomènes comme déterminés par les rayons de chaleur plus ou moins abondants que tous les corps mis en expérience envoient, sans une équivalente compensation, vers les régions très-froides de l’espace. Il demeurera aussi établi que notre atmosphère ne rayonne pas d’une manière sensible.

Nous avons fait cette première série d’expériences par un temps serein. Répétons-la par un temps entièrement couvert : alors l’enlèvement de l’écran amènera à peine un refroidissement sensible dans les substances que le rayonnement vers le ciel serein affectait le plus ; quant aux métaux, ils n’éprouveront aucun changement de température appréciable.

Ici, chacun le concevra, les nuages font l’office de l’écran de bois des expériences antérieures ; comme cet écran, ils empêchent les communications rayonnantes des corps terrestres avec les plus hautes régions de l’atmosphère et de l’espace ; seulement, comme les nuages sont à la température de la couche d’air qui les enveloppe, leur rayonnement devra compenser d’autant moins exactement celui des corps terrestres, qu’ils flotteront dans des zones atmosphériques plus élevées ou plus froides. Ce résultat est conforme aux observations[1].

Par hypothèse, l’horizon était parfaitement libre en tout sens dans le lieu où nous étions d’abord établis. Si une portion du ciel est masquée, toutes circonstances restant les mêmes, les abaissements de température éprouvés par les corps mis en expérience seront proportionnellement amoindris.

Si le ciel, au lieu d’être parfaitement serein ou entièrement couvert, est nuageux, les refroidissements seront compris entre ceux qu’on aurait observés dans les deux premiers états de l’atmosphère.

Un vent d’une certaine force prévient les abaissements de température dont il est question ici. Est-ce à dire que le vent empêche le rayonnement vers l’espace ? Nullement : le rayonnement a toujours lieu, mais les couches non refroidies de l’atmosphère, quand elles se déplacent rapidement, vont, sans relâche, restituer aux corps la chaleur que le rayonnement leur enlève.

Les expériences dont nous venons de rendre compte réussissent, même de jour, quand elles sont faites avec une délicatesse suffisante, et dans des lieux où les rayons solaires n’arrivent pas directement.

Les considérations précédentes joueront un grand rôle dans la théorie des températures terrestres ; disons de plus qu’elles servent à rendre raison, comme le docteur Wells l’a si bien établi, des phénomènes du serein et de la rosée.

  1. S’il arrivait que des nuages, par des circonstances particulières, quoique placés à des hauteurs modérées, eussent des températures excessivement basses, comme le nuage que traversèrent MM. Barral et Bixio dans leur célèbre ascension du 27 juillet 1850, les phénomènes de rayonnement des corps terrestres pourraient, en pareille circonstance, ressembler à ceux qu’on observe par un temps serein.