Astronomie populaire (Arago)/XXXIV/02

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GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 760-762).

CHAPITRE II

l’astronomie pour un observateur placé successivement au centre et à la surface du soleil


À ceux qui s’étonneraient de me voir d’abord décrire les phénomènes du firmament pour un observateur situé sur le Soleil, je dirai qu’une telle supposition n’entraîne nullement la conséquence que cet astre peut être habité, surtout par des observateurs de l’espèce humaine ; qu’en cela je ne fais que suivre l’exemple que m’ont donné divers écrivains ecclésiastiques, tels que l’abbé Hervas y Pandum. jésuite, dans son ouvrage en quatre volumes, intitulé Viago estatico al mundo planetario, imprimé à Madrid en 1763. Enfin, pour rassurer les consciences les plus timorées, j’ajouterai que le cardinal de Cusa fit paraître dans le xve siècle un ouvrage dans lequel il cherchait à établir que le Soleil est habité.

Pour un observateur situé au centre du globe solaire, toutes les étoiles sembleraient attachées, comme elles le paraissent à un observateur terrestre, à une sphère solide ; mais dans le cas actuel cette sphère paraîtrait immobile, tandis que sur notre globe elle semble douée d’un mouvement général dirigé de l’orient à l’occident. Ce mouvement très-rapide a fourni aux astronomes de la Terre une unité de temps (le jour sidéral) sur laquelle ils ont réglé la marche de leur pendule, et dont ils ont tiré le plus grand parti dans l’étude des phénomènes célestes. Privé de cette ressource, puisque les étoiles seraient complétement immobiles à ses yeux, un astronome, situé au centre du Soleil, pourrait, j’imagine, régler sa pendule sur le temps que la Lune semblerait employer à faire le tour de la Terre. Du reste, rien de plus simple que l’astronomie pour un observateur ainsi placé.

Les phases de Mercure et de Vénus, ce phénomène si remarquable quand on l’observe de la Terre, n’existeraient ni pour ces deux planètes ni pour les autres. On n’aurait donc aucun moyen de savoir si les planètes sont lumineuses par elles-mêmes.

Les mouvements des planètes à travers les constellations se feraient tous dans le même sens, mais avec des vitesses inégales. Les planètes, dans leur course, se seraient assujetties ni aux stations ni aux rétrogradations qui avaient si fort embarrassé les astronomes de l’antiquité et les observateurs modernes.

L’astronome solaire pourrait bien, avec un micromètre très-exact, déterminer les variations de distance de chaque planète, et trouver jusqu’à un certain point que ces astres ne se meuvent pas dans des cercles, mais il ne posséderait aucun moyen de déterminer les distances absolues, ni même les rapports de ces distances. Ainsi, pour lui, les belles lois de Kepler seraient lettres closes. Quant aux distances relatives, il n’aurait aucune méthode pour les découvrir, seulement il arriverait conjecturalement à supposer que les planètes les plus voisines sont celles qui emploient le moins de temps à revenir aux mêmes constellations, et que les plus éloignées doivent être celles qui mettent le plus de temps à faire une révolution entière ; ainsi, il admettrait que Mercure est la plus voisine et Saturne la plus éloignée de toutes les planètes anciennement connues.

Tous ces moyens d’investigation si imparfaits pour l’astronome central se perfectionneraient notablement si nous le transportions sur la surface solaire. Alors les étoiles se lèveront et se coucheront aux limites de l’horizon de chaque lieu. Ce mouvement s’exécutera pour toutes les étoiles d’orient en occident, l’intervalle qui s’écoule entre deux levers et deux couchers consécutifs, l’intervalle compris entre deux passages successifs d’une étoile quelconque au méridien, sera de 25j,34. L’astronome pourra donc puiser dans les mouvements célestes la mesure du temps.

Nous venons de dire que l’observateur placé à la surface du Soleil verrait la sphère des étoiles se mouvoir de l’orient à l’occident ; ajoutons que l’axe autour duquel ce mouvement de rotation paraîtrait s’exécuter différerait notablement de l’axe autour duquel nous voyons de la Terre le ciel tourner ; les pôles de rotation au lieu d’aboutir à la petite Ourse passeraient par la position excentrique de l’observateur relativement au point autour duquel tous les mouvements planétaires s’exécutent ; il en résulterait, pour ces mouvements, des inégalités dont on pourrait déduire les distances de ces divers astres au Soleil.

Ainsi un observateur situé à la surface du Soleil pourrait jusqu’à un certain point, à l’aide de ses seules observations, arriver à la connaissance des lois de Kepler.