Au pôle Sud/04

La bibliothèque libre.


À FRAMHEIM : LE MAGASIN À VIANDE.


AU PÔLE SUD[1]

PAR ROALD AMUNDSEN


IV. — TENTATIVE INFRUCTUEUSE VERS LE PÔLE


Anomalies climatiques. — Températures extrêmes. — Préparatifs de départ. — Un duel au fouet. — Notre équipement. — Départ pour le Pôle. — 56° au-dessous de zéro. — Le froid nous oblige bientôt à la retraite. — Nous rentrons à Framheim. — Nous soignons les invalides du froid.


SORTIE D’UN TRAÎNEAU DU MAGASIN D’HABILLEMENT.


Après le solstice d’hiver, le temps s’écoule très vite. La période la plus obscure est passée ; chaque jour le soleil se rapproche davantage.

Très singulier est le régime météorologique régnant à Framheim. Dans toutes les parties du continent antarctique pour lesquelles nous possédons des observations, le temps est remarquablement variable. À bord de la Belgica, pendant notre détention dans la banquise à l’ouest de la Terre de Graham, les coups de vent ont été très fréquents[2]. Durant les deux hivers qu’il a passés à l’est de cette terre, Nordenskjöld a observé le même régime venteux. Enfin Scott et Shackleton ont subi de longues séries d’ouragans dans le détroit Mac Murdo. Au contraire, à Framheim souvent nous avons des calmes plats ou de faibles brises, alors qu’à la même époque, à 650 kilomètres dans l’ouest, l’expédition anglaise observait de fréquentes tempêtes.

Je pensais qu’à notre station la température hivernale resterait relativement élevée en raison du voisinage de la mer. Lorsque les circonstances atmosphériques sont favorables, on découvre un ciel sombre dans le nord, indice que sur une grande étendue la mer de Ross demeure libre. Quoi qu’il en soit, nous éprouvons des froids excessifs. La température moyenne annuelle, calculée d’après nos observations, est certainement la plus basse qui ait été encore enregistrée. Le record thermique que nous ayons noté est −59°, le 18 août 1911. Pendant cinq mois, des températures inférieures à 50° ont été relevées. Le thermomètre montait par tous les vents, sauf par celui de sud-ouest, qui déterminait au contraire une baisse. L’aurore australe fut fréquente et souvent intense. Parmi ses formes très diverses, celles en arcs étaient le plus fréquentes, généralement avec des colorations rouges et vertes.

Nos observations pendant notre séjour d’un an sur la Grande Barrière confirment mon opinion sur sa solidité et montrent qu’elle repose sur le sol. Pendant l’hiver et le printemps, poussée contre le front du glacier par les vents et par les courants, la banquise se brise élevant son escarpement terminal, et s’y accumule en toross qui atteignent une hauteur de 12 mètres. Des pressions aussi énergiques se manifestèrent à 2 kilomètres seulement de nos quartiers, sans que nous ayons ressenti le plus léger mouvement. Si la Barrière était à flot, de pareils chocs non seulement auraient été perceptibles à la distance où nous nous trouvions du théâtre du phénomène, mais encore auraient secoué la maison. Pendant la construction de la cabane, Stubberud et Bjaaland entendirent une rumeur confuse à une grande distance, mais n’éprouvèrent pas même un frémissement. Durant l’hivernage, nous n’observâmes ni bruit ni secousse. Une autre preuve importante est fournie par la stabilité gardée par le grand théodolite de Presterude. Si la Barrière avait flotté, cet instrument extrêmement délicat, se serait décalé.

VU DE FRAMHEIM EN HIVER.

Le jour de notre arrivée dans la baie des Baleines, un pan du cap Ouest s’éboula, et, au printemps, une toute petite des nombreuses indentations que présente le bord du glacier fut démolie par les chocs de la banquise. À ces deux exceptions près, le front de la Barrière autour de Framheim ne subit aucun changement pendant un an. Chaque fois que le Fram s’approchait au bord du glacier, il trouvait des fonds de plus en plus petits, preuve évidente que la côte n’était pas loin. Enfin comment expliquer l’altitude de 330 mètres, observée à 50 kilomètres dans le sud de nos quartiers, sans la présence du sol à une faible profondeur ?

On travaille activement aux traîneaux. À la date du 15 août, tous les préparatifs pour l’expédition au Pôle doivent être achevés. Hansen et Wisting sont chargés de remonter les véhicules. Confier la fabrication des engins aux hommes qui doivent s’en servir est le meilleur moyen d’obtenir un travail aussi parfait que possible. Connaissant le but à atteindre, ils mettent leur honneur à en assurer le succès, et, devant participer à l’entreprise, ils se préoccupent en même temps d’assurer leur sécurité. Les diverses pièces des traîneaux sont assujetties avec un soin méticuleux ; pour les faire sauter, il faudrait une hache ou un couteau. Et cette besogne essentiellement délicate, nos camarades l’exécutent dans une pièce glacée ! Le « magasin d’habillement » où ils sont installés est la partie la plus froide de Framheim. Ayant accès d’un côté sur la Barrière, et de l’autre sur le couloir conduisant à la maison, il est balayé par un courant d’air ; quoiqu’il soit assez faible, on le sent, lorsque le thermomètre marque à l’extérieur −60° et que l’on travaille les mains nues !

LES TRAÎNEAUX SONT CHARGÉS DANS LE MAGASIN D’HABILLEMENT.

En plus du montage des traîneaux, Hansen et Wisting ont nombre d’autres occupations. Lorsque Wisting n’est pas absorbé par la carrosserie, il coud ; souvent il n’arrive pour souper qu’à huit heures et demie, au moment du jeu des fléchettes. S’il n’avait été marqueur, Dieu sait quand il aurait quitté sa machine. Il transforme d’abord en deux tentes quatre tentes pour trois hommes. Bien qu’il n’ait guère d’espace pour couper ou pour faire courir l’ouvrage, le travail est parfait et semble l’œuvre d’un spécialiste.

L’ATELIER DE WISTING CREUSÉ DANS LA GRANDE BARRIÈRE.

L’expédition Sverdrup dans l’archipel polaire américain avait employé des tentes à double paroi. Ce que l’on ne possède pas est toujours ce qu’il y a de mieux ; aussi mes camarades vantent-ils ce modèle sur tous les tons. Une maison avec des murs doubles est naturellement plus chaude qu’une maison n’ayant qu’un mur simple ; en revanche, elle est deux fois plus lourde ; lorsqu’il faut tenir compte du poids d’un mouchoir de poche, la question mérite d’être étudiée à fond avant de se prononcer. Si deux toiles évitent le dépôt de givre à l’extérieur, ce serait un grand avantage. Or, la discussion qui s’engage à ce sujet prouve que ce produit de la condensation se formera aussi rapidement sur les deux modèles. Dès lors, la tente à double paroi me paraît inutile. Quelques degrés de plus dans notre intérieur ne constituent pas un avantage suffisant pour compenser l’augmentation de poids. D’ailleurs, avec nos abondantes fourrures, nous n’avons pas à redouter le froid pendant la nuit.

UNE SOIRÉE À FRAMHEIM.

Cette discussion en amène une autre au sujet de la couleur la plus pratique que doit avoir une tente. Pour plusieurs raisons, une toile sombre est préférable : d’abord elle reposera les yeux, après une longue étape sur la Barrière éblouissante ; en second lieu, un abri foncé sera beaucoup plus chaud, les jours ensoleillés, et visible de très loin sur la surface du glacier. Toutes nos tentes étant blanches, avec de l’encre, nous en teignons deux en bleu foncé. Cette couleur tiendra-t-elle ? Sceptiques à cet égard, nous cherchons quelque chose de mieux. L’un de nous propose de recouvrir nos abris de housses formées avec les rideaux rouges de nos couchettes. L’idée est adoptée : malheureusement la quantité d’étoffe dont nous disposons n’est suffisante que pour une tente. Une fois prête, la tente rouge, soumise à l’examen, est unanimement approuvée. On la voit de très loin, et sa teinte repose les yeux. Cette housse a en outre le grand avantage de protéger la toile.

Wisting confectionne ensuite pour chaque homme des blouses et des pantalons d’une étoffe légère et très serrée, impénétrable au vent. Les costumes de cette sorte que nous avons apportés sont trop petits. Une fois agrandi, tellement large est mon pantalon qu’il pourrait loger deux autres hommes ; d’aussi énormes dimensions sont nécessaires ; dans ces régions, seuls les vêtements amples sont chauds et commodes. Wisting fabrique en plus des bas de cette étoffe qui serviront d’isolants entre les autres paires. À mon avis, — et c’est également celui de mes quatre compagnons de voyage au Pôle, — ces bas nous rendirent de très grands services. Un coup de brosse suffisait pour enlever le givre qui s’y déposait, et, lorsqu’ils étaient mouillés, ils séchaient rapidement, quel que fût le temps. Ces bas garantissaient les autres et, par suite, les préservaient de l’usure. Je recommande tout particulièrement cet article aux futurs explorateurs. Si on l’adopte, il importe de se déchausser chaque soir, et de secouer le givre qui s’est formé sur cette jambière ; sans cette précaution, le givre fond pendant la nuit, et, le lendemain matin, vous vous réveillez les pieds mouillés.

WISTING TRAVAILLANT À LA MACHINE À COUDRE.

Nous nous occupons ensuite de la lingerie. C’est encore du domaine de Wisting. Notre camarade est capable de nous fournir un trousseau aussi bien qu’un complet. Dans une belle-flanelle très fine et très légère que renferme la boîte de pharmacie, il taille des gilets et des caleçons. Ceux que nous portons actuellement étant très épais, nous craignons qu’ils ne soient trop chauds. Pendant toute la marche vers le Pôle, je portai ceux fabriqués par Wisting ; jamais je n’ai eu des dessous meilleurs. Ce travail terminé, notre camarade n’en a pas fini avec la couture ; après cela, il remet en état les housses des sacs de couchage. Hansen est, comme je l’ai déjà raconté, chargé des traîneaux. Je lui commande en outre quatorze fouets, dont Stubberud lui fournira les manches.

Après consultation avec les menuisiers, j’ai choisi comme modèle un manche composé de trois lames d’hickory, solidement assemblées et recouvertes de lanières de cuir. Les manches d’une seule pièce ne font pas un long usage. Hassel fabrique des mèches rondes et épaisses sur le modèle de celles employées par les Eskimos. Maniées par une main expérimentée, elles laissaient des traces cuisantes. À Hansen incombe le soin de monter les différentes parties des fouets. Quoiqu’il ne soit pas partisan des trois tiges, il n’en exécute pas moins le travail, sans élever la moindre objection. Pendant qu’il se livre à cette besogne, contrairement à son habitude, il reste en conférence avec Wisting après souper. Ces apartés m’étonnent, car notre ami aime à faire son whist après dîner, et il n’y manque jamais, à moins qu’il ne soit retenu par une commande urgente. Un soir, ayant exprimé mon étonnement de l’absence de Hansen, Stubberud répond aussitôt : « Il est en train de fabriquer de nouveaux manches de fouet, et pourtant je garantis la solidité des miens. » Sur ce chapitre, Stubberud est très chatouilleux.

Quand on parle du loup, on en voit la queue. À ce moment, Hansen entre, un fouet à la main. « Quoi, dis-je, de nouveaux fouets ? — Oui, répond-il, ceux à trois tiges que je monte dans la journée, je ne les crois pas susceptibles de fournir une longue carrière. En voici un dans lequel j’ai toute confiance. » Il a, ma foi ! bon air. « Mais es-tu sûr qu’il soit aussi bon que les autres ? lui demandai-je. — Oh ! oui ! répond-il, je suis même prêt à parier n’importe quoi contre les sales fouets que les menuisiers me livrent. » Sous l’insulte, Stubberud bondit : « Nous allons voir cela ! s’écrie-t-il. Approche, si tu as la prétention de croiser ton fouet contre le mien. » Hansen accepte immédiatement le défi. Stubberud et lui prennent chacun leur arme ; d’après les conventions du duel, ils devront lutter jusqu’à ce que l’un des manches soit brisé.

Au commandement « Allez, messieurs ! » les adversaires avancent l’un contre l’autre en fermant les yeux, et les deux manches s’abattent avec force l’un contre l’autre. La première passe ne donne aucun résultat ; les reprises se succèdent, ensuite, très rapides. Stubberud, qui tourne le dos à la table, est si échauffé par la lutte que, sans s’en apercevoir, chaque fois qu’il lève son arme, il donne sur le bord de la table un coup retentissant. Tout à coup, j’entends un craquement. « Tiens, tu vois, mon vieux ! Tu n’es pas de force !» s’écrie Stubberud.

L’arme de Hansen gît par terre, brisée. Les fouets que nous emportâmes dans notre expédition au Pôle, furent remarquablement solides ; toutefois, avant la fin du voyage, ils n’étaient plus intacts. Si l’on ne se servait que de la mèche, ces instruments seraient éternels, mais, dans les cas graves, on emploie le bois. Nous appelions ce châtiment la « confirmation ». On la donnait habituellement, lorsqu’un chien tirait mollement ou refusait d’obéir. En pareil cas, quand la colonne s’arrêtait, on saisissait le délinquant et on lui administrait une volée avec le manche. Les « confirmations », si elles sont fréquentes, entraînent la consommation d’un grand nombre de fouets.

JOHANSEN EMBALLE LE BISCUIT DANS LE « PALAIS DE CRISTAL ».

Au prix d’un travail minutieux, Stubberud allège les cantines des traîneaux en rabotant leurs planches. Malgré cette diminution d’épaisseur, ces caisses résistèrent aux chocs les plus violents. Bjaaland garnit les skis d’attaches très larges pour que nos énormes chaussures puissent s’y adapter. Il en est des courroies qui entourent le pied comme des lunettes : chacun a son modèle préféré. Celui adopté par ce skieur de première force pour ses propres patins me paraît si pratique que je lui en commande pour moi. Ces courroies, imitées du système jadis en usage chez les paysans de Norvège, pourvues de crochets et d’œillets, m’ont donné toute satisfaction. Il importe que ces lanières ne serrent pas étroitement le pied et qu’elles puissent être facilement mises en place et détachées. Pendant le voyage, il faut à chaque instant les déplacer ; le soir, arrivé au bivouac, il est nécessaire de les démonter et de les prendre avec soi dans la tente. Sans cette précaution, pendant la nuit, elles seraient avalées par les chiens ; ces animaux considèrent ces bandes de cuir comme des friandises. Johansen empaquette les vivres dans les cantines, et fabrique des piquets de tente.

Pendant que nous travaillons avec ardeur aux préparatifs du grand voyage, Presterud dessine des cartes et copie des tableaux. Chaque traîneau doit emporter un carnet renfermant la liste des vivres contenus dans les cantines et les tables nécessaires au calcul des observations. Sur ces livres, on inscrira chaque jour les provisions consommées ; à tout instant, nous pourrons ainsi connaître le contenu des caisses. À la suite on notera les observations, ainsi que la distance couverte durant l’étape, la route suivie, etc.

JOHANSEN CHARGEANT UNE CANTINE DE LAIT EN POUDRE.

Telles sont nos diverses besognes pendant les « heures de travail ». Mais ce ne sont pas les seules. J’ai distribué à mes compagnons leur vestiaire, afin qu’ils puissent le modifier si bon leur semble. En fait de fourrures de renne, chaque homme a reçu deux complets, avec moufles et jambières, l’un épais, l’autre plus léger ; en outre, des jambières en peau de chien et des mocassins en peau de phoque. De plus à tous ont été donnés des lainages et des vêtements pour se préserver du vent. Les fourrures furent mises au point les premières ; un long travail, car aucune n’avait été faite sur mesure. L’un trouvait le capuchon de son anorak trop long, l’autre trop petit ; un troisième devait raccourcir son pantalon, tandis qu’un quatrième était obligé de l’allonger. Sans répit, tous nous tirons l’aiguille, soit pour ajouter une pièce, soit pour ourler un morceau.

Nous confectionnons des masques pour nous protéger la figure contre les morsures du froid ; j’en coupai un que je crus naturellement supérieur à tous les modèles en usage. Le premier jour où je l’employai je revins le visage à moitié gelé.

Les sacs de couchage sont l’objet de nos soins les plus attentifs. Johansen travaille avec assiduité à un sac double de son invention. Dieu sait combien de peaux il y emploie ! Bjaaland est non moins absorbé par les changements qu’il apporte au sien. Les autres se déclarent satisfaits du modèle adopté et se bornent à raccourcir ou à allonger les leurs. Chaque sac est enfermé dans une enveloppe en toile mince, destinée à empêcher la neige de pénétrer pendant la marche dans nos lits roulés sur les traîneaux. En outre cette housse protège la fourrure contre la condensation de l’haleine pendant le sommeil. Au lieu de se déposer sur les poils, les produits de cette condensation demeurent sur la toile, où ils forment une couche de glace ; il est par suite aisé de se débarrasser de ce dépôt. L’enveloppe doit être plus longue que le sac, de manière à pouvoir être enroulée autour du cou et empêcher ainsi l’haleine de pénétrer dans le lit. Nos sacs sont doubles, l’un intérieur en peau mince de faon ou de femelle de renne, l’autre, plus épais, en peau de mâle. Ce dernier pèse environ 6 kilogrammes. Ces deux poches se ferment en les serrant autour du cou au moyen de lacets. Ce modèle m’a paru le plus commode, le plus simple et le plus agréable ; aussi, je ne saurais trop le recommander.

Les lunettes sont un article fort important de l’équipement polaire. Pendant l’automne, j’en portai de jaune clair. Pour l’expédition au Pôle, craignant qu’elles ne fussent insuffisantes, j’ouvris un concours pour le meilleur type. Celui qui fut primé se composait de disques de cuir percés d’une très petite fente. Durant le voyage au Sud, je me servis d’un modèle que m’avait envoyé le Dr Schanz, de Dresde. Grâce à lui, je n’ai pas éprouvé la moindre ophtalmie.

Un autre chapitre de la plus haute importance est celui de la chaussure. Mes cinq compagnons dans l’expédition vers le Pôle devront emporter des brodequins destinés à la marche sur les glaciers. Pour le reste, je les laisse libres de prendre le type qui leur conviendra. Avant le départ, Wisting à l’obligeance de retoucher encore une fois mes bottes. En les démontant, nous reconnaissons le soin apporté à leur fabrication par notre fournisseur de Kristiania. Dans cette opération, deux semelles sont enlevées. Combien en reste-t-il encore ? Je ne me le rappelle plus. En tout cas, mes chaussures sont maintenant suffisamment amples pour que je puisse mettre sept paires de bas et une semelle de bois. Maintenant, quel que soit le froid, je suis gréé.

Nous avons également les harnais des chiens à mettre en état. Lors de la dernière expédition sur la Barrière, deux bêtes sont tombées dans une crevasse à la suite de la rupture des traits. Il faut éviter le renouvellement de pareils accidents, sinon notre meute serait promptement décimée. À cette révision nous apportons la plus grande attention et nous veillons à employer les meilleures qualités que nous possédons. Ce long travail terminé, chaque attelage possède désormais des harnais parfaits.

Tous ces détails, que le lecteur trouvera peut-être fastidieux, montrent la longueur des préparatifs d’une expédition comme celle que nous allons entreprendre. Le succès dépend non seulement de l’abondance des ressources pécuniaires, mais encore et surtout de l’équipement et des mesures prises à l’avance pour triompher de toutes les difficultés qui pourront se présenter. La victoire est réservée à celui qui a su tout prévoir et la défaite à celui qui a négligé de prendre à temps les précautions utiles. Aussi est-ce à mes compagnons si dévoués qui, par leur patience et leur persévérance, amenèrent notre équipement au maximum de perfection, que je reporte l’honneur de notre succès.

Le 16 août, nous commençons le chargement des traîneaux. C’est un grand avantage de pouvoir exécuter ce travail à l’abri, d’autant que la température varie entre −50° et −60°, avec accompagnement d’une brise de 6 mètres à la seconde. Par un pareil froid, il eût été presque impossible d’accomplir au dehors cette besogne avec le soin nécessaire. Les plaques de zinc placées sous les traîneaux pour les empêcher d’enfoncer dans la neige molle sont enlevées et remplacées par une paire de skis de rechange. Le 22 août, le train d’équipage est paré pour le départ.

HASSEL DANS LE MAGASIN À PÉTROLE.

Les chiens n’aiment pas les froids excessifs que nous subissons depuis si longtemps. Lorsque le thermomètre descend à −50° et à −60°, leur attitude indique qu’ils souffrent. Ils restent debout et soulèvent leurs pattes alternativement, les laissant en l’air quelque temps avant de les reposer sur la neige. Quelles bêtes rusées ! Les jours où ils savent leur souper composé de poisson sec dont ils ne sont guère friands, quelques-uns refusent de rentrer le soir dans leurs tentes. Stubberud, notamment, à beaucoup de mal avec un de ses élèves, du nom de Funcho. I] était né pendant notre relâche à Madère en septembre 1910. Les soirs où l’on distribue de la viande aux chenils, chacun de nous, après avoir attaché son attelage, va chercher la boîte contenant sa ration, laquelle est déposée près de la tente renfermant les carcasses de phoques. Funcho guette toujours ce moment. S’il voit Stubberud se mettre en quête de la fameuse boite, il rentre tranquillement comme ses camarades. Si, au contraire, son maître n’apporte pas de viande, il prend le large. Pour rattraper le fugitif, Stubberud recourt alors à la ruse. Un soir que l’animal ne veut pas rentrer, notre camarade prend la boîte vide et s’achemine vers le chenil. Funcho, qui a épié tous ses mouvements, rentre aussitôt dans la tente, ravi à la pensée de manger du phoque deux soirs de suite. Sa joie fut courte ; aussitôt il est saisi, enchaîné, et mis en tête-à-tête avec un poisson sec pour souper. Funcho lança alors un regard de travers à la boîte vide et à son maître. Après cela, la ruse n’eut plus guère de succès.

Un très petit nombre de chiens succomba pendant l’hiver. Deux moururent de maladie. Un qui avait perdu une partie de sa fourrure dut être abattu et deux disparurent, probablement engloutis dans des crevasses. Deux fois nous vîmes un chien tomber dans une fente du glacier. Au fond du gouffre, il se promenait tranquillement de long en large, sans aboyer. Ces crevasses n’étaient pas profondes, mais leurs parois très escarpées formaient des murs lisses ; par suite, nos bêtes ne pouvaient en sortir seules.

Les deux disparus moururent sans doute de faim au fond de quelque trou : une mort lente, car le chien eskimo a la vie dure. À diverses reprises, plusieurs de nos animaux demeurèrent absents quelque temps ; suivant toute probabilité, ils avaient glissé dans une crevasse, puis avaient réussi à en sortir. Quand l’envie leur en prenait, les chiens partaient en bordée, quelque temps qu’il fît, par 50° de froid, comme par un coup de blizzard. Ainsi, un beau jour, une chienne appartenant à Bjaaland s’enfuit avec trois amoureux pour aller filer le parfait amour derrière un monticule de glace, sur la banquise. Ils restèrent là huit jours, sans manger, par une température de −50°.

Le 23 août par un temps calme, sous ciel en partie couvert et avec un froid de −42°, nous décidons d’entreprendre la définitive épreuve ! On conduit les traîneaux à la Place du Départ. Ce n’est pas une petite besogne de les sortir du Magasin d’habillement. Il faut d’abord déblayer l’entrée de la neige qui l’obstrue. Après cela, à l’aide d’une poulie, on hisse les véhicules ; chacun pèse dans les 400 kilogrammes. Une fois sortis du magasin, les traîneaux sont amenés devant l’abri thermométrique. Aussitôt après, les conducteurs vont harnacher leurs attelages, restés consignés dans les chenils.

À la vue des préparatifs, les chiens sont dans un état d’excitation indescriptible. Impossible de les faire demeurer tranquilles une minute. Les uns essaient de se libérer pour aller retrouver un ami, tandis que d’autres veulent s’élancer sur un ennemi. Lorsque les bêtes grattent la neige avec leurs pattes de derrière, c’est l’annonce que cela va fumer, et, pour le conducteur, le moment d’ouvrir l’œil et d’être prêt à intervenir. D’un coup de fouet rapide, il empêche la bataille, mais il ne peut être partout à la fois, et, malgré sa vigilance, de furieux combats s’engagent. Quels étranges animaux ! Alors que pendant l’hiver ils ont été relativement paisibles, maintenant qu’ils sont attelés, ils veulent à tout prix se battre.

Enfin tout est paré, en route donc ! Pour la première fois, les attelages sont composés de douze bêtes. Comment cela marchera-t-il ? Nous sommes bientôt délivrés de toute inquiétude à cet égard. La vitesse n’est pas très grande ; il ne saurait d’ailleurs en être autrement au début. Si plusieurs chiens trop gros ont de la peine à suivre, les autres filent très bien. L’escalade du talus de la Barrière est rapidement opérée, quoique la plupart s’arrêtent à mi-hauteur pour reprendre haleine. Le glacier a le même aspect qu’en avril. Le pavillon est toujours debout là où il a été planté et relativement en bon état. Nos anciennes traces vers le Sud sont encore visibles.

UN CAP DE LA BARRIÈRE VOISIN DE FRAMHEIM.

24 août. — Pour la première fois, le soleil, absent depuis quatre mois, reparaît. Malheureusement le froid est des plus vifs. Force nous est d’attendre un relèvement de la température. Tant qu’elle demeurera aussi basse, nous ne pouvons songer à poursuivre notre route. Et nous demeurons sur place.

Les jours passent, jamais le moindre signe de l’approche du printemps ; parfois le thermomètre remonte à −30°, puis aussitôt après retombe à −50°. Cette attente est énervante ; j’ai peur que les autres explorateurs, mes rivaux, soient déjà près du but, et ce sentiment est partagé par mes camarades, comme en témoigne leur conversation. « Je serais curieux de savoir à quelle distance, sur la route du Pôle, Scott se trouve aujourd’hui, dit l’un. — Oh ! il n’est pas encore sorti, reprend un autre. Il fait bien trop froid pour ses poneys. » À quoi je réponds : « Oui, si dans le détroit Mac Murdo la température est aussi rigoureuse qu’ici, mais à mon avis dans les montagnes elle doit être moins basse. Vous pouvez donc croire que nos concurrents ne restent pas inactifs. Ces gaillards-là ont montré ce dont ils sont capables. »

Je suis décidé à tenter la chance à la première occasion tant soit peu favorable. Si ensuite le froid devient trop intense, nous reviendrons en arrière… Et voilà que septembre arrive, avec 40° sous zéro. Quoique cette température soit supportable, je décide de patienter encore. Le 2, le thermomètre tombe à −53°, puis le 6 remonte à −29°, et le 7 à −22°. Une légère brise d’est semble un souffle printanier. Aussi bien le départ est fixé à demain.

LES DIFFÉRENTS MODÈLES DE LUNETTES DE NEIGE.

8 septembre. — Nous nous levons et déjeunons à l’heure habituelle, puis commençons immédiatement le branle-bas de l’appareillage. Nous avons à atteler douze chiens aux traîneaux vides, qui nous ont voiturés à la Place du Départ. L’opération est terriblement laborieuse ; pour amener les bêtes et les harnacher, deux hommes sont nécessaires à chaque véhicule. Les conducteurs prudents ont solidement attaché leurs traîneaux à un piquet profondément enfoncé dans la neige ; d’autres se sont contentés de retourner les leurs ; d’autres enfin n’ont pris aucune précaution. Tout le monde doit être prêt au moment où le véhicule de tête s’ébranlera, sans quoi il sera impossible de retenir les chiens.

Au moment où le signal du départ va être donné, éclate un hurlement formidable : deux attelages détalent à fond de train sans maîtres. On se met aussitôt à leur poursuite, mais impossible de les joindre. Dans ces conditions, nous prenons le parti de nous acheminer vers la Place du Départ et d’y attendre les équipages en bordée. Au cours de cette promenade, je vais juger si les conducteurs ont bien en main leurs bêtes ; toutes vont, en effet, essayer de prendre la direction suivie par les fugitifs. Trois de mes compagnons réussissent à maintenir leurs attelages dans la bonne voie, tandis que deux autres filent d’un autre côté.

Enfin, à midi, la caravane se trouve réunie sur les bords de la Grande Barrière. Les chiens sont attelés aux traîneaux chargés et, à 1 h. 30 du soir, la colonne s’ébranle. Perdant bientôt nos anciennes traces, nous nous guidons sur la ligne de cairns surmontés de pavillons qui s’espacent de 2 kilomètres en 2 kilomètres. La piste est excellente, par suite la marche rapide. Aujourd’hui, l’étape est courte : 19 kilomètres.

9 septembre. — La première nuit au bivouac n’est jamais agréable ; celle-ci fut particulièrement mauvaise. Nos quatre-vingt-dix chiens font un tel vacarme qu’il est impossible de fermer l’œil une minute. Aussi dès quatre heures du matin nous nous levons.

Dans la journée, à la halte du dîner, nous abattons une chienne et trois jeunes chiens qui nous ont suivis, et dont la présence serait encombrante. Piste excellente. Les pavillons des cairns sont en parfait état ; depuis que nous les avons plantés, aucune chute de neige n’a dû se produire. Longueur de l’étape : 25 kilomètres. Les attelages ne sont pas encore entraînés, toutefois, d’heure en heure, ils font des progrès.

10 septembre. — Nos bêtes paraissent avoir retrouvé leur vigueur ; il est impossible de les retenir. C’est à qui passera en tête, d’où, à chaque instant, des collisions et une confusion extrême. Dans ces luttes de vitesse les chiens se fatiguent inutilement, et nous perdons du temps à les séparer. Toute la bande est dans un état de surexcitation indescriptible. Lassesen, apercevant son ennemi Hans dans un autre attelage, demande aussitôt l’aide de son ami Fix. Tous deux se précipitent alors à toute vitesse en avant, entraînant dans une course folle leurs compagnons de chaîne. Malgré ses efforts, le conducteur ne réussit pas à les maintenir. Lassesen et Fix ayant bientôt rejoint le groupe de Hans, les deux attelages se jettent l’un contre l’autre, dans une mêlée effroyable. Ne pouvant maîtriser nos bêtes, nous détachons les plus turbulentes et les amarrons par derrière aux traîneaux. Avec le temps et la patience, une paix relative s’établit. Ce jour-là, nous couvrons 30 kilomètres.

11 septembre. — Au réveil, 55°,5 sous zéro ! Le temps est splendide, calme et clair. La nuit, les chiens se sont tenus relativement tranquilles, preuve qu’ils n’aiment pas de pareilles températures. Ce froid intense rend la neige moins bonne, par suite la marche plus lente et plus pénible.

Dans la journée, rencontré plusieurs crevasses. Le traîneau de Hansen manque de culbuter dans l’un de ces trous ; on peut le retenir à temps. Pendant la marche, nous ne souffrons pas du froid ; par moments, nous avons même trop chaud. L’haleine des chiens, en se condensant, forme au-dessus des traîneaux un nuage si épais que le conducteur ne peut distinguer l’équipage qui le précède, quoique l’intervalle soit très court.

12 septembre. — 52° sous zéro, avec vent debout. Les chiens souffrent de cette température excessive. Ce matin, leur aspect est lamentable, tous demeurent pelotonnés les uns contre les autres, le nez sous la queue, secoués à chaque instant par de gros frissons ; plusieurs, à la vérité, tremblent constamment. Ils refusent de se lever, et, pour les harnacher, nous devons les mettre debout. Tout cela est grave. Pourrons-nous. par ce froid, aller jusqu’au bout ? J’ai peur qu’à vouloir continuer, par un temps pareil, nous ne risquions un désastre. La prudence semble me conseiller de pousser simplement jusqu’au dépôt du 80e parallèle, d’y laisser les charges des traîneaux, puis de revenir sur nos pas.

Dans la journée, le liquide de nos compas à alcool gèle. Le ciel tout embrumé masque le soleil. N’étant plus certains de notre route, à dix heures du matin, nous prenons le parti de camper et d’attendre une éclaircie. Ce que nous maudissons le fabricant des boussoles !

Afin de nous procurer un gîte confortable pendant cette longue journée d’attente, nous édifions deux huttes. La neige qui couvre les environs n’est pas bonne pour la construction ; nous nous procurons les matériaux convenables, en allant chercher des blocs de droite et de gauche. Par une température aussi basse, ces abris sont préférables aux tentes. Nous y éprouvons un véritable bien-être, lorsque le Primus en a élevé la température intérieure.

La nuit suivante, nous sommes réveillés par un bruit étrange. Immédiatement, je regarde sous mon sac pour m’assurer qu’il ne s’enfonce pas dans quelque abîme subitement ouvert. Non, le terrain ne s’est pas affaissé. Dans l’autre hutte, on n’a rien entendu. Nous découvrîmes plus tard que ce bruit était causé par un tassement en masse de la neige. Une large surface de la nappe superficielle de la Barrière se détache et s’enfonce. Lorsque ce mouvement se produit, on a l’impression que le sol se dérobe ; ce tassement est accompagné d’un grondement sourd, qui souvent effraie les chiens et aussi leurs conducteurs. Sur le plateau polaire, nous entendîmes une fois comme une décharge d’artillerie.

UN GROUPE SUR LA BANQUISE. À L’ARRIÈRE-PLAN LA FALAISE TERMINALE DE LA BARRIÈRE.

13 septembre. — Température : 52°,5 sous zéro ; temps calme et très clair. Nous parcourons 30 kilomètres en nous guidant sur le soleil. Au moment où nous campons, le thermomètre marque −56°,2 ! Contrairement au règlement, j’ai apporté une bouteille d’aquavit et une de genièvre. C’est le moment ou jamais de les déboucher. Lorsque je retire le genièvre du caisson, il est transformé en bloc de glace. En essayant de la dégeler, la bouteille éclate. L’aquavit n’est pas en meilleur état ; au prix de minutieuses précautions, nous réussissons cependant à la ramener à l’état liquide. Nous attendons d’être couchés pour déguster cette excellente eau-de-vie. Hélas ! grande est notre déception : elle est sirupeuse, et, en l’avalant, nous ne ressentons pas dans l’estomac l’éblouissement sur lequel nous comptions.

14 septembre. — La température a encore baissé : −56° ! Aujourd’hui vraiment on sent le froid ! Heureusement le ciel est découvert ; nous pouvons donc nous diriger à coup sûr. Peu de temps après le départ, au milieu de la plaine blanche qui s’étend à perte de vue devant nous on voit se détacher un monticule. Aussitôt les jumelles sortent de leurs étuis. C’est le dépôt du 80° ! là, juste devant nous ! Hansen, qui depuis Framheim a marché à l’avant-garde le plus souvent sans boussole, mérite d’être félicité pour nous avoir si bien guidés.

Arrivés à 10 h. 15 du matin, au magasin, nous déchargeons tout de suite les traîneaux. Pendant ce temps, Wisting prépare une tasse de lait chaud, sur un Primus, qui flambe derrière une caisse. Bien abrité dans les caissons, le pétrole est encore liquide ; à ce moment pourtant, le thermomètre marque −56°. Jamais tasse de lait chaud ne me parut meilleure.

LE DÉPÔT QUE NOUS AVONS ÉTABLI AU 80° DE LATITUDE.

Mon projet de revenir en arrière a pris corps ces jours derniers. Il serait décidément plus que téméraire de persévérer davantage sur la route du Pôle et je décide, quoi qu’il m’en coûte, de rebrousser chemin.

C’en est fait ! nous nous installons sur les traîneaux, et en route pour Framheim. La piste est mauvaise ; très légèrement chargés les chiens n’en filent pas moins bon train. J’ai pris place à côté de Wisting, dont l’attelage me paraît le plus vigoureux. Je m’étonne que par un froid aussi intense on puisse rester immobile sur le traîneau sans être gelé ; néanmoins, pas d’accident. Toute la journée, un ou deux camarades marchent pour se réchauffer ; d’autres se bornent à sauter à terre de temps en temps. Je chausse mes skis et me laisse traîner eu tenant une corde attachée à un véhicule, suivant la méthode du snörrekjöring. Ce sport n’a jamais eu d’attraits pour moi, mais aujourd’hui il me permet de me réchauffer les pieds.

15 septembre. — Nous préparions dans la tente le souper lorsque Hansen annonce qu’il a un talon mordu par la gelée. En effet, la partie postérieure de son pied est insensible et blanche comme un morceau de suif. Nous la frottons énergiquement jusqu’à ce que la sensibilité paraisse revenue. Après cela c’est au tour de Stubberud. Même opération, même résultat. La situation est agréable, deux hommes avec des talons gelés, à 75 kilomètres de Framheim !

16 septembre. — Aujourd’hui, température moins terrible. Le thermomètre marque seulement 40° sous zéro. En comparaison des 56° de froid éprouvés avant-hier, c’est presque l’été. Par ces froids extrêmes, on sent fort bien quelques degrés de plus ou de moins, et la différence entre −40° et −60° est très grande. Au cours de l’étape, plusieurs chiens qui ne peuvent pas suivre, sont détachés ; nous pensions que nos traces les guideraient pour retrouver leur route, mais nous ne les revîmes jamais. Un peu plus loin, Sara tombe morte.

Pour ce voyage de retour vers Framheim, nous observons le même ordre de marche qu’à l’aller. Hansen et Wisting tiennent la tête, en général très loin en avant du gros de la caravane ; lorsqu’ils ont pris une bonne avance, ils attendent les autres.

Au cairn situé à 30 kilomètres de Framheim, j’avais songé à m’arrêter afin de rallier les retardataires. Le temps étant superbe et les traces encore très visibles, je décide de continuer. Plus tôt nos malades seront à la maison, mieux cela vaudra. Les deux premiers traîneaux arrivèrent donc à notre quartier d’hiver à 4 heures du soir ; le troisième à 6, deux autres à 6 h. 30, le dernier à minuit.

Aussitôt arrivés dans notre « home », nous nous occupons des invalides du froid. Presterud a les deux talons gelés, l’un légèrement, l’autre plus sérieusement. Stubberud et Hansen sont gravement atteints. Après avoir percé les grosses ampoules formées au-dessus des « morsures » et expulsé le liquide qu’elles contiennent matin et soir, nous appliquons sur les parties malades des compresses boriquées. Ce traitement fut très long ; à la fin, la vieille peau put être enlevée, et la nouvelle apparut, fraîche et saine. Les talons étaient réparés.


(À suivre.) Traduit et adapté par M. Charles Rabot.


PRESTERUD ET HANSEN TRAVAILLANT DANS LE PALAIS DE CRISTAL.
  1. Suite. Voyez pages 25, 37 et 49.
  2. Le capitaine Roald Amundsen a fait partie de l’expédition de la Belgica en qualité de lieutenant. (Note du Traducteur.)