Augusta Holmès et la femme compositeur/17

La bibliothèque libre.
Librairie Fischbacher (p. 74-77).


XVII

« Au pays bleu »
Deux contemporaines d’Holmès


Au pays bleu est une suite symphonique pour voix et orchestre, elle est dédiée à Édouard Colonne et comprend trois parties intitulées : Oraison d’aurore, En mer, Fête à Sorrente[1]. Ces pièces sont agréables, elles évoquent une Italie plus conventionnelle qu’originale mais colorée, mélodique, sans les lourdes erreurs de Pologne et d’Irlande. « En mer » surtout rend bien l’allure cadencée de la barcarolle ; le chant a de la souplesse, de la séduction, il se meut caressant sur un dessin persistant à l’accompagnement dont la monotonie berce doucement.

« Oraison d’Aurore » met en contraste un chant pieux et un hymne païen ; l’effet est heureux, le phrases ont de l’élan, de la sincérité et se combinent harmonieusement ; on regrette que l’orchestre ne soutienne pas d’une façon plus symphonique et plus variée. Avec « Sorrente » nous tombons dans la tarentelle bruyante et commune que ne relève ni la science harmonique, ni l’ingéniosité dans la forme. Vers la fin, la Barcarolle se rappelle à notre bon souvenir ; cette attention n’est pas maladroite, mais ne peut nous dédommager du manque d’éducation rencontré tout le long de cette tarentelle en tenue par trop « peuple ».

Pourtant toutes ces compositions furent jouées jadis dans nos plus sérieux concerts, elles reçurent un accueil chaleureux du public et attirèrent l’attention sur leur auteur qui, par la suite, devait atteindre à la plus brillante notoriété. En 1902, une revue, Les Annales, proposa à ses lecteurs un plébiscite pour établir une sorte d’académie féminine en désignant les quarante femmes les plus appréciées du public et choisies parmi les femmes de bien, les reines, les littératrices, les savantes, les artistes. Augusta Holmès obtint les plus nombreux suffrages comme musicienne et se trouva, de toutes les femmes, une des plus nommées : 3.996 voix lui échurent, alors que Sarah Bernhardt, classée première des artistes dramatiques et lyriques, en eut 4.010, et Madeleine Lemaire, l’emportant sur toutes, 4.122.

Certes, nos idées actuelles ne seraient pas aussi avantageuses pour une « compositrice » identique à Holmès, mais il y a aussi lieu de supposer que dans l’atmosphère présente, un tempérament tel que celui de l’ardente musicienne se développerait tout autrement. À son époque on ne s’ingéniait pas à bouleverser de fond en comble l’architecture musicale, la moindre dissonance semblait bien osée et la mélodie facile à retenir régnait encore.

Deux contemporaines de l’auteur des Argonautes coulaient, également sereines et talentueuses, leur inspiration dans le moule en usage ; c’étaient Cécile Chaminade et la comtesse de Grandval ; cette dernière, élève de Flotow et de Saint-Saëns, n’aurait dû, d’après sa situation et son état de fortune, compter que comme « amateur » ; cependant ses facultés et une puissance de production assez rare, surtout pour une femme, lui méritèrent le titre d’artiste auquel elle tenait fort. En dix ans, de 1859 à 1869, elle fit représenter, sur divers théâtres lyriques, cinq opéras, dont un, Piccolino, en trois actes ; et bien plus tard, en 1892, au grand théâtre de Bordeaux, son œuvre capitale, Mazeppa, opéra en cinq actes. Dans l’intervalle elle avait obtenu le prix Rossini avec une cantate, la Fille de Jaïre, et donné aux Concerts des poèmes lyriques, un grand nombre de mélodies, des morceaux d’ensemble, des pièces pour piano. Enfin elle avait traité la musique religieuse avec un oratorio, deux messes, des motets, un Stabat Mater. Mme de Grandval, musicienne vaillante et bien douée, est morte en janvier 1907 à Paris ; elle avait soixante-dix-sept ans.

Cécile Chaminade, qui était à son printemps lorsque pour Mme de Grandval l’hiver commençait, nous reste, et sa musique de chant et de piano est encore interprétée. Cette délicieuse artiste eut un vogue énorme ; elle a écrit un nombre considérable de morceaux pour le chant et pour le piano ; un trio, un Concert-Stuck pour deux pianos, des chœurs, une symphonie lyrique, les Amazones ; un Ballet-symphonie, Callirhoë ; deux pièces pour orchestre, le Matin et le Soir, d’un joli sentiment poétique ; etc. Au concert, au salon, toutes ces œuvres remportèrent les plus vifs succès.

Chaminade visait moins haut, moins grand qu’Holmès, elle n’avait pas son envergure et ne s’imposait pas aussi brillamment ; en revanche, ses qualités plus féminines, l’allure spirituelle, gracieuse et légère de ses compositions, la laissent plus intacte et d’une fréquentation aimable et agréable.



  1. Ces trois morceaux sont transcrits pour piano à 2 et à 4 mains par Messager, « En mer » pour piano, orgue, violon et violoncelle.