Augusta Holmès et la femme compositeur/Préface

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AUGUSTA HOLMÈS
ET LA FEMME COMPOSITEUR



Le génie est une longue patience.

(Buffon.)


PRÉFACE



C’est, d’habitude, inspiré par des sentiments profondément admiratifs qu’on entreprend l’analyse des œuvres ou du caractère d’un personnage célèbre ; je suis loin de cet enthousiasme sans réserve pour parler d’Augusta Holmès, et peut-être l’utilité de le faire, pour blâmer autant que louer, n’existerait-elle pas si mes critiques allaient uniquement à la musicienne, dont les triomphes furent tout au plus viagers. Mais, dans mon esprit, Holmès symbolise la femme compositeur avec son maximum de qualités et ses principales imperfections ; en méditant, d’après son exemple, on doit s’acheminer vers un progrès. Cette raison est une de celles qui m’incitent à l’étude qui va suivre ; malgré les dures vérités qu’on pourra y relever, soit envers Holmès soit envers les musiciennes, on y reconnaîtra, si l’on veut bien ne pas s’en tenir à une attention superficielle, plus de véritable considération, plus d’espoir, plus de confiance, que n’en prouvent les flots d’encens lancés au nez de jeunes artistes, chez lesquelles on provoque, ainsi, une agréable mais dangereuse griserie.

Bien souvent on nous traite comme on traite des enfants irraisonnables, des êtres imperfectibles ou des malades dont on juge l’état désespéré : des gâteries, des approbations, des flatteries exagérées, tel est le régime débilitant auquel on nous abandonne, sans estimer que nous valions la peine d’observations consciencieuses ou de réactifs efficaces ; puis, un jour, l’hiver remplaçant le printemps, on se détourne, avec dédain ou pitié, des faiblesses qu’on a contribué à entretenir[1].

Au sujet d’Augusta Holmès il n’en fut pas tout à fait ainsi, en ce sens qu’elle parut bien réellement intéressante et qu’elle a laissé, chez ceux qui l’approchèrent, le souvenir d’une artiste de grande valeur, libérée de féminité mièvre, originale, remarquablement douée pour tout ce qui se rapportait aux arts ; mais pour le public elle ne compte plus ! Nous sommes sans pitié envers ceux que le succès abandonne, nous n’accordons plus un regard à qui ne se maintient pas au sommet : « Tout ou rien » est notre axiome sans rémission à l’égard des artistes. N’est-ce pas excessif, un peu cruel aussi ?

Bien des choses m’ont choquée dans les compositions d’Holmès ; je ne pourrai m’empêcher de l’exprimer franchement, car ce qui blesse la musique m’est infiniment sensible — tous les musiciens me comprendront. — D’ailleurs l’indulgence est inadmissible lorsque l’art est en jeu. C’est donc sans indulgence que je parlerai d’Augusta Holmès ; elle eût préféré la sévérité à l’indifférence et des critiques partielles à l’oubli.



  1. Il y a plusieurs années, on citait dans un salon les compositions d’une femme des plus réputées ; un jeune musicien ayant émis sur elle un jugement peu flatteur, j’éprouvai le désir de la défendre ; elle ne me semblait pas sans mérite et pour la première fois je l’entendais maltraitée, mais voici que je fus vite à bout d’argument et je ne trouvai plus à opposer à son détracteur que cette piètre phrase : — « Je vous assure que, pour une femme, elle a un certain talent. » – « Ah ! s’écria mon interlocuteur, pour une femme !!… Vous avez bien défini son cas, mais vous lui portez le dernier coup ! » Je restai frappée du peu d’estime qu’en effet je témoignais ainsi à l’égard des musiciennes que sans discuter, tant la chose me paraissait naturelle, je m’étais habituée à classer bien inférieures aux compositeurs hommes. Et une petite mélancolie féminine me vint devant un fait paraissant si irrévocablement établi, si universellement reconnu, si définitivement admis et accepté.