Aux paysans de l’Eure

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Le Fer rouge : nouveaux châtiments[Poulet-Malassis] (p. 57-61).


 
Sache-le, paysan, la terre
Que tu vois n’est pas seulement
La matrice où, dans le mystère,
Germe la vie en pur froment.

Ce n’est pas seulement de l’orge
Du trèfle pour tes bestiaux,
Ou du minerai pour ta forge,
Du bois pour tes matériaux.

C’est mieux encor, c’est la patrie,
La patrie, entends-tu ? Le sol
D’où vers la lumière fleurie
L’âme immortelle prend son vol.


C’est la tombe verte où ton père
Ne se sent pas abandonné ;
Le lieu saint qui te dit : espère !
Le berceau de ton premier né !

O paysan de Normandie !
Te faut-il répéter cela,
Fils de Rollon, race hardie
Que toute aventure appela ?

Prends ton fusil, entre en campagne,
Dépouille les doutes amers,
Toi qui fis trembler Charlemagne,
O mon vieil écumeur de mers !

Le prussien hurle à ta porte,
Prends ton fusil. Ne reste pas,
Comme si ton âme était morte,
Inerte et te croisant les bras.

Prends ton fusil, saisis ta fourche !
Derrière les bois, les récifs,
Embusque-toi ! Sois brave ; enfourche
Ton vieux cheval aux reins massifs.

O paysan ! Tu m’épouvantes ;
Est-ce que tu n’as plus de cœur ?
Ainsi que les pâles servantes,
Ne sais-tu que blêmir de peur ?


À l’heure où la France oppressée
Lutte avec les cieux pour témoins,
Tu sembles n’avoir de pensée
Que pour ton bétail et tes foins.

Ah ! Pauvre brute de l’empire,
Réveille-toi ! Ne sens-tu pas
Que c’est l’heure où chacun respire
L’air enflammé des grands combats ?

Ah ! Par pitié pour toi, secoue
Cet horrible engourdissement,
Qu’un peu de sang monte à ta joue,
Le reste du pur sang normand !

Rien qu’à ton aspect, on ricane ;
On dit : « Il n’est bon, à présent,
Qu’aux batailles de la chicane,
Ce gars narquois, au bras pesant.

Pourvu qu’il vende et qu’il trafique,
Il trouve tout bien. Il est doux.
C’est un bonhomme pacifique
Qui ne s’expose point aux coups.

Que l’auguste France périsse,
Pâle, dans les plis du drapeau,
Bah ! Qu’importe à son avarice !
Il dort tranquille dans sa peau. »


Voilà ce que l’on dit, ô honte !
Dis qu’on a menti. Prouve-nous
Que ta main est solide et prompte
À servir un mâle courroux.

Trop longtemps, machine rustique
Aux mains du maire et du curé,
Dans l’obéissance gothique,
O paysan ! Tu t’es muré.

Sois homme, enfin ! Ouvre ton être
Aux libres aspirations.
Le clair soleil vient de renaître,
Répudîras-tu ses rayons ?

Culbutant les troupeaux serviles
Guidés par Tropmann empereur,
Ton frère, l’ouvrier des villes,
T’enseigne la sainte fureur.

Vois donc un peu comme il bouscule
Ce trône qui t’éblouissait,
Comment il peut, nouvel Hercule,
Dire au crime : « Qu’est-ce que c’est ? »

Comment, au poltron qui lui montre
Le toit paisible où l’on s’endort
À l’abri de toute rencontre,
Il dit : « Etre libre d’abord ! »


Allons donc, paysan, aux armes !
Assez de regrets superflus.
Des plaintes encore ? Des larmes ?
Mais les femmes n’en veulent plus !

Rachète ta lâche inertie,
Tes votes honteux, la torpeur
Qui te faisait voir un messie
Dans l’épouvantable trompeur,

Dans cet immonde Bonaparte
Qui maintenant porte à son cou,
En gros traits, sur une pancarte,
L’arrêt qui le sacre filou !

Allons, aux armes ! L’heure presse.
L’ennemi gronde. Il faut agir.
Devant la France qui se dresse
Il faut n’avoir pas à rougir !

Et si la terre mal fumée
Pendant un mois, se plaint, eh bien !
À cette robuste affamée,
Donne du guano prussien !


12 octobre