Aventures d’Arthur Gordon Pym/Le Revenant

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Traduction par Charles Baudelaire.
Michel Lévy frères (Collection Michel Lévy) (p. 98-110).

VIII

LE REVENANT.

Lorsque enfin je me contemplai dans un fragment de miroir qui était pendu dans le poste, à la lueur obscure d’une espèce de fanal de combat, ma physionomie et le ressouvenir de l’épouvantable réalité que je représentais me pénétrèrent d’un vague effroi, si bien que je fus pris d’un violent tremblement, et que je pus à peine rassembler l’énergie nécessaire pour continuer mon rôle. Il fallait cependant agir avec décision, et Peters et moi nous montâmes sur le pont.

Là, nous vîmes que tout allait bien pour le moment, et suivant de près la muraille du navire, nous nous glissâmes tous les trois jusqu’au capot-d’échelle de la chambre. Il n’était pas entièrement fermé, et des bûches avaient été placées sur la première marche, précaution qui avait pour but de faire obstacle à la fermeture et d’empêcher que la porte ne fût soudainement poussée du dehors. Nous pûmes sans difficulté apercevoir tout l’intérieur de la chambre à travers les fentes produites par les gonds. Il était vraiment bien heureux que nous n’eussions pas essayé de les attaquer par surprise, car ils étaient évidemment sur leurs gardes. Un seul était endormi et couché juste au pied de l’échelle, avec un fusil à côté de lui. Les autres étaient assis sur quelques matelas qu’ils avaient tirés des cadres et jetés sur le plancher. Ils étaient engagés dans une conversation sérieuse, et bien qu’ils eussent fait carrousse, à en juger par deux cruches vides et quelques gobelets d’étain éparpillés çà et là, ils n’étaient pas aussi déplorablement ivres que d’habitude. Tous avaient des pistolets, et de nombreux fusils étaient déposés dans un cadre à leur portée.

Nous prêtâmes pendant quelque temps l’oreille à leur conversation, avant de nous décider sur ce que nous avions à faire, n’ayant rien résolu jusque-là, si ce n’est que, le moment de l’attaque venu, nous tenterions de paralyser leur résistance par l’apparition du Rogers. Ils étaient en train de discuter leurs plans de piraterie ; et tout ce que nous pûmes entendre fut qu’ils devaient se réunir avec l’équipage de la goëlette le Hornet, et même commencer, s’il était possible, par s’emparer de la goëlette elle-même, comme préparation à une tentative d’une plus vaste échelle ; quant aux détails de cette tentative, aucun de nous n’y put rien comprendre.

L’un des hommes parla de Peters ; le second lui répondit à voix basse, et nous ne pûmes rien distinguer ; peu après il ajouta, d’un ton plus élevé, « qu’il ne pouvait pas comprendre ce que Peters avait à faire si souvent dans le gaillard d’avant avec le marmot du capitaine, et qu’il fallait que tous les deux filassent par-dessus bord, et que le plus tôt serait le meilleur ». À ces mots on ne fit pas de réponse ; mais nous pûmes aisément comprendre que l’insinuation avait été bien accueillie par toute la bande, et plus particulièrement par Jones. En ce moment j’étais excessivement agité, d’autant plus que je voyais qu’Auguste et Peters ne savaient que résoudre. Toutefois, je me décidai à vendre ma vie aussi chèrement que possible et à ne me laisser dominer par aucun sentiment d’effroi.

Le vacarme effroyable produit par le mugissement du vent dans le gréement et par les coups de mer qui balayaient le pont nous empêchait d’entendre ce qui se disait, excepté durant quelques accalmies momentanées. Ce fut dans un de ces intervalles que nous entendîmes distinctement le second dire à l’un des hommes « d’aller à l’avant et d’ordonner à ces faillis chiens de descendre dans la chambre, parce que là il pourrait au moins avoir l’œil sur eux, et qu’il n’entendait pas qu’il y eût des secrets à bord du brick ». Très-heureusement pour nous, le tangage du navire était si vif à ce moment-là que l’ordre ne put pas être mis immédiatement à exécution. Le coq se leva de son matelas pour venir nous trouver, quand une embardée, si effroyable que je crus qu’elle allait emporter la mâture, lui fit piquer une tête contre la porte d’une des cabines de bâbord, si bien qu’il l’ouvrit avec son front, ce qui augmenta encore le désordre. Heureusement, aucun de nous n’avait été culbuté, et nous eûmes le temps de battre précipitamment en retraite vers le gaillard d’avant et d’improviser à la hâte un plan d’action, avant que le messager fit son apparition, ou plutôt qu’il passât la tête hors du capot-d’échelle ; car il ne monta pas jusque sur le pont. De l’endroit où il était placé, il ne pouvait pas remarquer l’absence d’Allen, et, en conséquence, le croyant toujours là, il se mit à le héler de toute sa force et à lui répéter les ordres du second. Peters répondit en criant sur le même ton et en déguisant sa voix : Oui ! oui ! et le coq redescendit immédiatement, sans avoir même soupçonné que tout n’allait pas bien à bord.

Alors mes deux compagnons se dirigèrent hardiment vers l’arrière et descendirent dans la chambre, Peters refermant la porte après lui de la même façon qu’il l’avait trouvée. Le second les reçut avec une cordialité feinte, et dit à Auguste que, puisqu’il s’était conduit si gentiment dans ces derniers temps, il pouvait s’installer dans la cabine et se considérer désormais comme un des leurs. Il lui remplit à moitié un grand verre de rhum, et l’obligea à boire. Je voyais et j’entendais tout cela, car j’avais suivi mes amis vers la cabine aussitôt que la porte avait été refermée, et j’avais repris mon premier poste d’observation. J’avais apporté avec moi les deux bringuebales de pompe, dont j’avais caché l’une près du capot-d’échelle, pour l’avoir au besoin sous la main.

Je m’affermis alors aussi bien que possible pour ne rien perdre de tout ce qui se passait en bas, et je m’efforçai de raidir ma volonté et mon courage pour descendre chez les révoltés aussitôt que Peters me ferait un signal, comme il avait été convenu. Il s’efforçait en ce moment de tourner la conversation sur les épisodes sanglants de la révolte, et graduellement il amena les hommes à causer des mille superstitions qui sont généralement si répandues parmi les marins. Je ne distinguais pas tout ce qui se disait, mais je pouvais aisément voir l’effet de la conversation sur les physionomies des assistants. Le second était évidemment très-agité, et quand, un moment après, l’un d’eux parla de l’aspect effrayant du cadavre de Rogers, je crus vraiment qu’il allait tomber en faiblesse. Peters lui demanda alors s’il ne pensait pas qu’il vaudrait mieux décidément le jeter par-dessus bord ; car c’était, dit-il, une trop horrible chose de le voir ainsi se débattre et nager dans les dalots. Alors le misérable respira convulsivement et promena lentement autour de lui ses regards sur ses compagnons, comme s’il voulait supplier l’un d’eux de monter pour faire cette besogne. Néanmoins personne ne bougea ; et il était évident que toute la compagnie était arrivée au plus haut degré d’excitation nerveuse. Peters me fit alors le signal ; j’ouvris immédiatement la porte du capot-d’échelle, et, descendant sans prononcer une syllabe, je me dressai tout d’un coup au milieu de la bande.

Le prodigieux effet créé par cette soudaine apparition ne surprendra personne, si l’on veut bien considérer les diverses circonstances dans lesquelles elle se produisait. D’ordinaire, dans les cas de cette nature, il reste dans l’esprit du spectateur quelque chose comme une lueur de doute sur la réalité de la vision qu’il a devant les yeux ; il conserve jusqu’à un certain point une espérance, si faible qu’elle soit, qu’il est la dupe d’une mystification, et que l’apparition n’est vraiment pas un visiteur venu du pays des ombres. On peut affirmer que ce doute opiniâtre a presque toujours accompagné les visitations de cette nature, et que l’horreur glaçante qu’elles ont quelquefois produite doit être attribuée, même dans les cas les plus marquants, dans ceux qui ont causé l’angoisse la plus vive, à une espèce d’effroi anticipé, à une peur que l’apparition ne soit réelle plutôt qu’à une croyance ferme à sa réalité. Mais, pour le cas présent, on verra tout de suite qu’il ne pouvait pas y avoir dans l’esprit des révoltés l’ombre d’une raison pour douter que l’apparition de Rogers ne fût vraiment la résurrection de son dégoûtant cadavre, ou au moins son image incorporelle. La position isolée du brick et l’impossibilité de l’accoster en raison de la tempête restreignaient les moyens possibles d’illusion dans de si étroites limites, qu’ils durent se croire capables de les embrasser tous d’un coup d’œil. Depuis vingt-quatre jours qu’ils tenaient la mer, ils n’avaient eu de communication avec aucun navire, un seul excepté, qu’on avait simplement hélé. Tout l’équipage d’ailleurs, — tous ceux du moins qui, croyant former l’équipage complet, étaient à mille lieues de soupçonner la présence d’un autre individu à bord, — était rassemblé dans la chambre, à l’exception d’Allen, l’homme de quart ; et quant à celui-ci, leurs yeux étaient trop bien familiarisés avec sa stature gigantesque (il avait six pieds six pouces de haut) pour que l’idée qu’il pût être la terrible apparition entrât un instant dans leur esprit. Ajoutez à ces considérations le caractère effrayant de la tempête et la nature de la conversation amenée par Peters, l’impression profonde que la hideur du véritable cadavre avait produite dans la matinée sur l’imagination de ces hommes, la perfection de mon travestissement, et la lumière vacillante et incertaine à travers laquelle ils me voyaient, le fanal de la chambre oscillant violemment çà et là avec le navire et jetant sur moi des éclairs douteux et tremblants, et vous ne trouverez pas étonnant que l’effet de la supercherie ait été beaucoup plus grand que nous n’avions osé l’espérer.

Le second se dressa sur le matelas où il était couché, et, sans proférer une syllabe, retomba à la renverse, roide mort, sur le plancher de la chambre ; un fort coup de roulis le roula sous le vent comme une bûche. Des sept qui restaient, il n’y en eut que trois qui montrèrent d’abord quelque présence d’esprit. Les quatre autres restèrent assis pendant quelque temps, comme s’ils avaient pris racine dans le plancher ; — c’étaient bien les plus pitoyables victimes de l’horreur et du désespoir que mes yeux aient jamais contemplées. La seule résistance que nous rencontrâmes vint du coq, de Jones Hunt et de Richard Parker ; mais leur défense fut faible et sans résolution. Les deux premiers furent immédiatement frappés par Peters, et avec la bringuebale que j’avais apportée avec moi j’assommai Parker d’un coup sur la tête. En même temps, Auguste s’emparait d’un des fusils déposés sur le plancher, et le déchargeait dans la poitrine de Wilson, un des autres révoltés. Il n’en restait donc plus que trois ; mais, pendant ce temps-là, ils s’étaient réveillés de leur stupeur, et commençaient peut-être à voir qu’ils avaient été dupes d’un stratagème ; car ils combattirent avec beaucoup de résolution et de furie, et, sans l’effroyable force musculaire de Peters, ils auraient bien pu finalement avoir raison de nous. Ces trois hommes étaient Jones, Greely et Absalon Hicks. Jones avait renversé Auguste ; il l’avait déjà frappé en plusieurs endroits au bras droit et l’aurait sans doute bientôt expédié (car, Peters et moi, nous ne pouvions pas nous débarrasser immédiatement de nos adversaires), si un ami sur l’assistance duquel nous n’avions certes pas compté n’était venu très à propos à son aide. Cet ami n’était autre que Tigre. Avec un sourd grondement il bondit dans la chambre au moment le plus critique pour Auguste, et, se jetant sur Jones, le cloua en un instant sur le plancher. Mon ami, toutefois, était trop gravement blessé pour nous prêter le moindre secours, et j’étais si empêtré dans mon déguisement, que je ne pouvais pas faire grand’chose. Le chien s’obstinait à ne pas lâcher la gorge de Jones ; — cependant Peters était bien assez fort pour venir à bout des deux hommes qui restaient, et il les aurait sans doute expédiés plus tôt, s’il n’avait pas été gêné par l’étroit espace dans lequel il lui fallait agir et par les effroyables embardées du brick. Il venait de s’emparer de l’un des lourds escabeaux qui gisaient sur le plancher. Avec cela, il défonça le crâne de Greely au moment où celui-ci allait décharger son fusil sur moi, et immédiatement après, un roulis du brick l’ayant jeté sur Hicks, il le saisit à la gorge et l’étrangla instantanément à la force du poignet. Ainsi, en moins de temps qu’il ne m’en a fallu pour le raconter, nous nous trouvions maîtres du brick.

Le seul de nos adversaires resté vivant était Richard Parker. On se rappelle qu’au commencement de l’attaque j’avais assommé cet homme d’un coup de ma bringuebale. Il gisait immobile à côté de la porte de la cabine défoncée ; mais, Peters l’ayant touché avec le pied, il retrouva la parole et demanda grâce. Sa tête n’était que légèrement fendue, et il n’était pas autrement blessé, le coup l’ayant simplement étourdi. Il se releva, et pour le moment nous lui attachâmes les mains derrière le dos. Le chien était encore sur Jones, grondant toujours avec fureur ; mais en regardant attentivement, nous vîmes que celui-ci était tout à fait mort ; un ruisseau de sang jaillissait d’une blessure profonde à la gorge, que lui avaient faite les crocs puissants de l’animal.

Il était alors une heure du matin, et le vent soufflait toujours d’une manière effroyable. Le brick fatiguait évidemment beaucoup plus qu’à l’ordinaire, et il devenait indispensable de faire quelque chose pour l’alléger. Presque à chaque coup de roulis sous le vent il embarquait une lame, et quelques-unes s’étaient même répandues dans la chambre pendant notre lutte ; car, en descendant, j’avais laissé l’écoutille ouverte. Toute la muraille de bâbord avait été emportée, ainsi que les fourneaux et le canot de l’arrière. Les craquements et les vibrations du grand mât nous prouvaient aussi qu’il allait bientôt céder. Pour faire une plus grande place à l’arrimage dans la cale d’arrière, le pied de ce mât avait été fixé dans l’entre-pont (exécrable méthode à laquelle ont souvent recours les constructeurs ignorants), de sorte qu’il courait grand risque de sortir de son emplanture. Mais, pour mettre le comble à nos malheurs, nous sondâmes l’archipompe, et nous ne trouvâmes pas moins de sept pieds d’eau.

Nous laissâmes donc les cadavres des hommes dans la chambre, et nous fîmes immédiatement jouer les pompes, — Parker, naturellement, ayant été relâché pour nous assister dans ce travail. Nous bandâmes le bras d’Auguste de notre mieux, et le pauvre garçon fit ce qu’il put, c’est-à-dire pas grand’chose. Cependant nous vîmes qu’en faisant fonctionner une pompe sans interruption, nous pouvions tout juste maîtriser la voie d’eau, c’est-à-dire l’empêcher d’augmenter. Comme nous n’étions que quatre, c’était un rude labeur ; mais nous tâchâmes de ne pas nous laisser abattre, et nous attendîmes le petit jour avec inquiétude, espérant soulager alors le brick en coupant le grand mât.

Nous passâmes ainsi une nuit pleine d’une anxiété et d’une fatigue horribles ; quand enfin le jour parut, la tempête n’était pas le moins du monde calmée, et il n’y avait même aucun symptôme d’une prochaine embellie. Nous tirâmes alors les corps sur le pont, et nous les jetâmes par-dessus bord. Ensuite nous pensâmes à nous débarrasser du grand mât. Les préparatifs nécessaires ayant été faits, Peters, qui avait retrouvé les haches dans la cabine, entama le mât, pendant que, nous autres, nous veillions aux étais et aux garants. Comme le brick donnait une effroyable embardée sous le vent, le signal fut donné pour couper les garants, et, cela fait, toute cette masse de bois et de gréement tomba dans la mer, et débarrassa le brick sans nous faire d’avarie notable. Nous vîmes alors que le navire fatiguait moins qu’auparavant, mais notre situation était toujours extrêmement précaire, et en dépit des plus grands efforts, nous ne pouvions pas maîtriser la voie d’eau sans l’aide des deux pompes. Les services qu’Auguste pouvait nous rendre étaient vraiment insignifiants. Pour ajouter à notre détresse, une lame énorme frappant le brick du côté du vent le jeta à quelques points hors du vent, et avant qu’il pût reprendre sa position, une autre lame déferlait en plein dessus et le roulait complètement sur le côté. Alors le lest se déplaça en masse et passa sous le vent (quant à l’arrimage, il était depuis quelque temps ballotté absolument à l’aventure), et pendant quelques secondes nous crûmes que nous allions inévitablement chavirer. Cependant nous nous relevâmes un peu ; mais le lest restant toujours à bâbord, nous donnions tellement de la bande qu’il était inutile de songer à faire jouer les pompes, ce qu’en aucun cas d’ailleurs nous n’aurions pu faire plus longtemps, nos mains étant complètement ulcérées par notre excessif labeur et saignant d’une manière affreuse.

Contrairement à l’avis de Parker, nous commençâmes alors à abattre le mât de misaine ; nous y réussîmes à la longue, avec la plus grande difficulté, à cause de notre position inclinée. En filant par-dessus bord il emporta avec lui le beaupré et laissa le brick à l’état de simple ponton.

Jusqu’alors nous avions lieu de nous réjouir d’avoir pu conserver notre chaloupe, qui n’avait pas été endommagée par tous ces gros coups de mer. Mais nous n’eûmes pas longtemps à nous féliciter ; car le mât de misaine et la misaine, qui maintenaient un peu le brick, étant partis ensemble, chaque lame à présent venait briser complètement sur nous, et en cinq minutes notre pont fut balayé de bout en bout, la chaloupe et la muraille de tribord furent enlevées, et le guindeau lui-même mis en pièces. Il était vraiment presque impossible d’être réduits à une condition plus déplorable.

À midi, nous eûmes quelque espoir de voir la tempête diminuer ; mais nous fûmes cruellement désappointés, car elle ne se calma pendant quelques minutes que pour souffler ensuite avec plus de furie. À quatre heures de l’après-midi, elle avait pris une telle intensité qu’il était impossible de se tenir debout ; et, quand vint la nuit, je n’avais plus conservé l’ombre d’une espérance. Je ne croyais pas que le navire pût tenir jusqu’au matin.

À minuit l’eau nous avait considérablement gagnés ; elle montait alors jusqu’au faux pont. Peu de temps après, le gouvernail partit, et le coup de mer qui l’emporta souleva toute la partie de l’arrière hors de l’eau, de sorte qu’en retombant le brick talonna et donna une secousse semblable à celle d’un navire qui échoue. Nous avions tous calculé que le gouvernail tiendrait bon jusqu’à la fin, parce qu’il était singulièrement fort, et installé comme je n’en avais jamais vu jusqu’alors et comme je n’en ai pas vu depuis. Le long de sa pièce principale s’étendait une série de forts crochets de fer, et une autre semblable tout le long de l’étambot. À travers ces crochets passait une tige de fer forgé très-épaisse, le gouvernail étant ainsi rattaché à l’étambot et jouant librement sur la tige. La force terrible de la mer qui l’avait arraché peut être appréciée par ce fait, que les crochets de l’étambot, qui, comme je l’ai dit, s’étendaient d’un bout à l’autre et étaient rivés de l’autre côté, furent complètement retirés, tous sans exception, de la pièce de bois.

Nous avions à peine eu le temps de respirer après cette violente secousse, qu’une des plus épouvantables lames que j’eusse jamais vues vint briser d’aplomb par-dessus bord, emportant le capot-d’échelle, enfonçant les écoutilles et inondant le navire d’un véritable déluge.